De l'origine et de l'institution du notariat. Fabre Euryale
a conservé les testaments des patriarches. Eusèbe dans sa chronique, Cedrenus dans ses annales, imprimées à Basle en 1566, rapportent l'un et l'autre le testament de Noé; l'ancienneté de cet acte ne lui a rien fait perdre de sa grandeur et de sa majesté; et combien paraissent mesquines nos plus importantes transactions d'aujourd'hui, mises en regard de cet acte unique, contenant à lui seul le partage des trois parties du monde alors connu.
Voici une partie de ce testament, tel qu'il est rapporté par les auteurs latins: «Anno ab origine mundi bis millesimo quingentesimo septuagesimo secundo, Noë annum ætatis agens nongentesimum trigesimum, oraculo nimirum divinitus accepto, tribus suis filiis terram distribuit, hoc modo, Semo, primogenito suo filio, dedit quidquid terræ in longum à Perside et Bactris usque ad Indiam porrigitur, in latus ab Indiâ usque ad Rhinocorura Ægypti. Chamo autem, secundo suo filio, terram addixit quæ Austro et Africo est exposita, et partem Occidentis à Rhinocoruris Ægypti Ethiopiam, etc. Japeto, tertio filio, attribuit quidquid à Media ad Septentrionem, et solis occasum pertinet, usque ad Gades, insulasque britannicas, Armeniam, etc.»
Ce testament pourrait bien ne pas être tout à fait apocryphe. Des textes précis des livres sacrés nous indiquent que la manière de disposer par testament, était en usage longtemps avant la loi de Moïse; et Philastrius, évêque d'Italie, qui vivait au IVe siècle, déclare que de son temps l'on regardait et l'on traitait comme hérétiques tous ceux qui doutaient de son authenticité.
Le testament d'Abraham est encore plus certain; on voit dans le chapitre 15 de la Genèse, que se voyant sans enfants, il nomma pour son héritier le fils d'Eliezer, son intendant.
«Mihi autem non dedisti semen, et ecce vernaculus meus heres meus erit.»
L'historien sacré, après avoir parlé du mariage d'Abraham avec Céthura, ajoute:
«Deditque Abraham cuncta quæ possederat Isaac; filiis autem concubinarum largitus est munera.»
Voilà bien une institution d'héritier en faveur d'Isaac et des legs en faveur d'autres enfants.
C'est dans le livre de Josué, chapitre 14, que l'on retrouve le testament de Jacob, par lequel il distribue ses biens entre ses enfants, en laissant une double part à Joseph. Cette disposition s'exécuta, même à l'égard de la Terre promise, puisque, après que Josué en eut fait la conquête, il en accorda une double part aux descendants de Manassé et d'Ephraïm, enfants de Joseph.
Nous pourrions étendre ces citations, rappeler les testaments anciens faits en faveur des archanges, des martyrs ou des saints, tous empreints d'une originalité curieuse, et que la jurisprudence avait validés, en substituant à ces créatures spirituelles les églises ou les oratoires; mais qu'il nous suffise de les avoir ici cotés.
Nous avons trouvé dans les scribes les premières traces du notariat; examinons, au flambeau de l'histoire, sa marche qui a toujours suivi à travers les siècles les oscillations progressives ou rétrogrades de la civilisation.
Les premiers scribes furent ceux d'Egypte et ceux des Hébreux. Ces derniers en avaient de trois espèces différentes; les uns, appelés scribes de la loi, transcrivaient et interprétaient les livres saints; les autres étaient les scribes du peuple, et, comme en Egypte, ils formaient une espèce de magistrature qui a quelques traits de ressemblance avec le notariat du moyen âge; les autres enfin étaient les scribes du gouvernement, et l'une de leurs fonctions était de sceller les actes judiciaires et conventionnels: sous la robe de ces derniers magistrats on entrevoit facilement les gardes-scels et les tabellions de Rome et de France qui pouvaient seuls donner la forme exécutoire.
C'est aussi chez les Hébreux que nous découvrons l'origine des actes sous seings privés faits doubles: ces actes n'étaient alors ni écrits ni signés par les contractants; mais ils les faisaient rédiger par un écrivain quelconque, devant témoins et en deux doubles; l'un était clos et scellé du sceau public, l'autre restait ouvert, ainsi que le constate Jérémie dans le chapitre 32, où il parle de la vente qu'Hanaméel, son cousin, lui avait consentie du champ Anatho, situé sur la terre de Benjamin.
Les scribes furent d'abord les écrivains purement passifs des conventions; plus tard ils en devinrent les rédacteurs, et quoiqu'ils fussent dans les premiers temps sans qualité officielle, les contractants rendaient hommage à leur probité, puisque ceux qui ne savaient pas lire apposaient leur sceau sur l'écrit qu'ils avaient rédigé pour eux, après en avoir entendu la lecture; les autres lisaient eux-mêmes, et ils écrivaient au bas le mot approuvé, qui s'est perpétué jusqu'à présent. L'usage de la signature n'existait pas encore.
Les scribes organisés, chez le peuple hébraïque, étaient reconnus comme officiers publics; leur intervention ne donnait cependant à leurs actes aucun caractère d'authenticité, mais elle leur transmettait la force d'un acte sous seing privé.
Des institutions semblables existaient en Grèce et en Macédoine.
Les argentarii d'Athènes étaient très-connus alors pour constater les transactions financières. Les actes, en sortant de leurs mains, n'avaient aussi que la valeur d'un écrit privé, en ce sens qu'ils n'étaient pas exécutoires, mais ils le devenaient par la présentation qu'on pouvait en faire au magistrat en présence de témoins; ce dernier, après information, y apposait le sceau public qui leur servait d'exequatur.
Nous observons déjà chez les Hébreux et en Grèce deux fonctionnaires nécessaires pour l'authenticité; chez les uns, le scribe du peuple et celui du gouvernement; chez les autres, l'argentarius et le magistrat. Nous retrouverons ces deux officiers à Rome et en France, avec cette seule différence que celui qui sera chargé de conférer l'exécution aux contrats, aura le nom de tabellion.
Aristote, le précepteur d'Alexandre, parle aussi des notaires qui existaient dans ces temps reculés (300 ans avant J. – C.), et en faisant l'énumération des hommes publics nécessaires à une cité policée, il y fait entrer les rédacteurs des conventions (Aristote, de Republica, liv. 6, cap. 8).
Dans les premiers temps, les fonctions de scribe ou de notaire furent remplies par des esclaves, dont la mission toute mécanique était nécessairement fort restreinte.
Du reste, il est naturel de penser que les hommes ne se sont soumis qu'à regret à la vie bureaucratique et même à l'étude des sciences. L'abord glacial et sévère de l'une et de l'autre, une utilité fort suspecte, si on les considère en elles-mêmes, et abstraction faite des bienfaits de leurs applications; la résistance naturelle à se livrer aux occupations purement spéculatives, qui s'opposent aux exercices naturels du corps et contrarient ainsi les premiers sentiments de liberté, furent autant de motifs pour éloigner les adeptes.
A Rome, les scribes ou les notaires datent de l'origine du droit; en effet, le notariat n'est que la mise en œuvre, l'application des règles du droit civil à la rédaction des contrats; c'est une des branches de la théorie générale.
Il n'eût donc pas suffi de créer des lois, de proclamer les droits de chacun, si l'on n'avait indiqué en même temps la manière de les exercer et de les transmettre; car, nous l'avons déjà dit, le droit de transmission est le corollaire le plus direct du droit de propriété.
Les premières lois, celles de Moïse et des douze tables, ne contenaient cependant que les principes de la justice positive sans s'occuper des formes.
Les lois royales ou le Droit papyrien, qui est le seul qui ait été connu jusqu'à la République romaine, ne s'en occupait pas non plus.
Le droit existait, mais la manière d'agir n'était pas déterminée; pour y suppléer, les jurisconsultes romains créèrent les actions, et, sous ce nom, l'on comprenait, non-seulement les formes judiciaires, mais encore celles des actes qui se faisaient hors la présence du juge et qui avaient également leurs solennités.
Il y eut d'abord à Rome des scribes (scribæ), mais ce titre devint générique et commun à tous ceux qui savaient écrire; plus tard, parurent les écrivains rapides (cursores), les écrivains publics (censuales), les calculateurs (logographi), leurs clercs (boeti), enfin, les notaires (tabularii), qui furent au commencement sans caractère public, comme l'indique