Contes bruns. Honore de Balzac

Contes bruns - Honore de Balzac


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Il y avait un prêtre de garde près de la chapelle mortuaire, et les familles payaient les prières de surérogation qui se disaient pendant la nuit ou pendant le jour qui s'écoulait entre l'enterrement factice et l'inhumation définitive. Excusez-moi de vous donner ces détails; mais aujourd'hui, pour beaucoup de personnes, ils sont de l'histoire…

      Un pauvre prêtre, nouveau venu à Saint-Sulpice, débuta dans l'emploi de garder les morts… Un vieux maître des requêtes de l'hôtel avait été enterré la matin. Au commencement de la nuit, le prêtre de province fut installé dans la chapelle, et chargé de dire les prières à la lueur des cierges. Le voilà seul, au coin d'un pilier, dans cette grande église. Il dit un psaume, et quand le psaume est fini:

      – Pan! pan!..

      Il entend trois petits coups frappés faiblement.

      Les oreilles lui tintent; il regarde la voûte, les dalles, les piliers… et finit par croire que ses confrères veulent lui jouer quelque tour, comme cela se fait dans les couvens pour les novices. Alors il se remet à dépêcher un autre psaume; et de verset en verset:

      – Pan! pan! pan!

      La prêtre répondit:

      – Oui! oui! frappe!.. Je t'en casse!..

      Enfin les coups diminuèrent, et ne se firent plus entendre que de loin à loin.

      Vers le matin, un vieux prêtre vint relever de faction le débutant. Celui-ci lui donne le livre, la chaise, et s'en va.

      – Pan! pan! pan!

      – Qu'est-ce que c'est que ça?.. demanda le vieux prêtre.

      – Oh! ce n'est rien, répondit le nouveau; c'est le mort qui a un tic…

      – Je croirais volontiers que ce mot est vrai… dit un professeur d'histoire. Il est saturé de cet esprit rustique si précieux chez les vieux auteurs, et qui se retrouve souvent peut-être chez le paysan. Ce prêtre venait d'en-deçà la Loire… Le villageois est une nature admirable. Quand il est bête, il va de pair avec l'animal; mais quand il a des qualités, elles sont exquises; malheureusement personne ne l'observe. Il a fallu je ne sais quel hasard pour que Goldsmith ait fait le Vicaire de Vakefield. Aussi la vie campagnarde et paysanne attend un historien.

      – Votre observation me rappelle, dit un ancien fonctionnaire impérial, un trait qui peut servir de preuve à votre opinion. Il donne tout-à-fait l'idée d'un homme trempé comme devait l'être le paysan du Danube.

      En 1813, lors des dernières levées d'hommes dont Napoléon eut besoin, et que les préfets firent avec une rigueur qui contribua peut-être à la première chute de l'empire, le fils d'un pauvre métayer des environs d'une ville que je ne vous nommerai pas, car ce serait vous désigner le préfet, refusa de partir, et disparut.

      Les premières sommations exécutées, l'on en vint aux mesures de rigueur contre le père et la mère. Enfin un matin, le préfet, ennuyé de voir cette affaire traîner en longueur, mande le père devant lui.

      Le paysan vint à la préfecture; et là, le secrétaire général d'abord, puis le préfet lui-même, essayèrent par des paroles de persuasion de convertir à l'évangile impérial le père du réfractaire, et de lui arracher le secret de la retraite où son fils était caché.

      Ils échouèrent contre le système de dénégation dans lesquels les paysans se renferment avec l'instinct de l'huître, qui défie ses agresseurs à l'abri de sa rude écaille. Des douceurs, le préfet et son secrétaire passèrent aux menaces, et ils se mirent très-sérieusement en colère, et rudoyèrent le pauvre homme, qui les regardait avec un grand flegme, en tortillant son chapeau à bords rabattus.

      – Nous saurons bien te faire retrouver ton fils, disait le secrétaire.

      – Je le voudrais bien, monseigneur, répondait le paysan.

      – Il me le faut mort ou vif, s'écria le préfet, en forme de conclusion.

      Là dessus le père s'en revint désolé chez lui; car il ne savait réellement pas où était son fils et se doutait bien de ce qui allait arriver.

      En effet, le lendemain, il vit dès le matin, en allant aux champs, le chapeau bordé d'un gendarme qui galopait le long des haies, et que le préfet envoyait loger chez lui, jusqu'à ce que le réfractaire se fût retrouvé.

      Il fallut donc chauffer, blanchir, éclairer le garnisaire et le nourrir son cheval et lui. Le paysan y mangea ses économies, vendit la croix d'or, les boucles d'oreilles, de souliers, les agrafes d'argent et les hardes de sa femme; puis un champ qu'il avait, et enfin sa maison.

      Avant de vendre la maison et le morceau de terre dont elle était environnée, il y eut une horrible dispute entre la femme et le mari, celui-ci prétendait qu'elle savait où était son fils… Le gendarme fut obligé de mettre le holà, au moment où le paysan s'emporta, car il avait pris son sabot pour le jeter à la tête de sa femme.

      Depuis cette soirée, le garnisaire ayant pitié de ces deux malheureux menait son cheval paître le long des chemins et dans les prés communaux. Quelques voisins se cotisèrent pour lui fournir de l'avoine et de la paille; la plupart du temps le gendarme achetait de la viande, et l'on s'entendait pour soutenir ce pauvre ménage. Le paysan avait parlé de se pendre.

      Enfin, un jour qu'il fallait du bois pour cuire le dîner du gendarme, le père du réfractaire était allé dès le matin dans une forêt voisine pour ramasser des branches mortes et faire provision de bois.

      A la nuit, il aperçut dans un fourré, près des habitations, une masse blanche, et ayant été voir ce que cela pouvait être, il reconnut son fils. Il était mort de faim, et avait encore entre les dents l'herbe qu'il avait essayé de manger.

      Le paysan chargea son enfant sur ses épaules, et, sans le montrer à personne, sans rien dire, il le porta pendant trois lieues; il arriva à la préfecture, s'enquit où était le préfet, et, apprenant qu'il était au bal, il l'attendit; et quand celui-ci rentra, sur les deux heures du matin, il trouva le paysan à sa porte, qui lui dit:

      – Vous avez voulu mon fils, monsieur le préfet, le voilà!

      Il mit le cadavre contre le mur et s'enfuit.

      Maintenant, lui et sa femme mendient leur pain.

      – Ceci est tout bonnement sublime, reprit le médecin; mais je crois que si les actions des paysans sont si complètes, si simplement belles, c'est que, chez eux, tout est naturel et sans art; ils obéissent toujours au cri de la nature; leur ruse même, leur astuce, si célèbres et si formidables, sont un développement de l'instinct humain. Ils sont cauteleux dans les affaires, et dissimulés, comme tous les gens faibles, en présence d'un ennemi puissant; et, ne faisant pas abus de la pensée, ils la trouvent comme la foi, très-robuste dans leur ame, au moment où ils en font usage. La foi du charbonnier est un proverbe.

      Ce qui m'étonne le plus en eux, ajouta-t-il, c'est leur détachement de la vie, et je ne comprends pas qu'en estimant si peu une existence si chargée de peines et de travail, ils soient si peu vindicatifs, et ne la risquent pas plus souvent, par calcul. Ils n'ont pas le temps peut-être de réfléchir ou de combiner de grandes choses.

      – C'est ce qui sauve la civilisation de leurs entreprises, dit quelqu'un.

      – Encore la civilisation!.. répéta le médecin d'un air comi-tragique.

      – Mais, docteur, lui dis-je, je vous assure que je connais un petit pays de Touraine où les gens de la campagne font mentir vos observations. Du côté de Chinon, les naturels de notre pays sont possédés d'une fureur courte et vive qui leur donne l'énergie de se livrer à leurs passions, puis ils rentrent soudain dans cette douceur spirituelle et railleuse qui distingue le caractère tourangeau. Serait-ce que Caïn aurait peuplé les environs de Chinon, dont les habitans sont nommés Caïnones dans les cartulaires, ou faut-il attribuer ce sentiment de vengeance immédiate à la vie sauvage que mènent les habitans des campagnes? Le docteur Gall aurait bien dû venir visiter le Chinonnais, où, du reste, il y a de fort honnêtes gens. Un des avocats les plus distingués de ce pays me disait en riant que cet arrondissement devrait


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