Oliver Twist. Dickens Charles
le journal.
Enfin, après plus d'une heure d'attente, M. Bumble, Sowerberry et le clerc se dirigèrent en hâte vers la fosse, et en même temps parut le prêtre, qui mettait son surplis en marchant. M. Bumble gourmanda un ou deux enfants pour sauver les apparences; et le respectable ecclésiastique, après avoir lu l'office des morts pendant quatre minutes, remit son surplis au clerc et s'en alla.
«Maintenant, Bill, remplis,» dit Sowerberry au fossoyeur. La tâche était facile; car la fosse était si pleine que le dernier cercueil était à quelques pieds seulement du niveau du sol. Le fossoyeur jeta sur la bière quelques pelletées de terre qu'il foula sous ses pieds, mit sa pelle sur son épaule, et s'éloigna, suivi des enfants, qui se plaignaient que leur amusement fût si vite terminé.
«Allons, venez, mon brave homme, dit Bumble en frappant doucement sur l'épaule du pauvre malheureux; on va fermer le cimetière.»
Celui-ci, qui n'avait pas fait un mouvement depuis qu'il était arrivé au bord de la fosse, tressaillit, leva la tète, regarda fixement celui qui lui parlait, fit quelques pas, et tomba évanoui. La vieille folle était trop occupée de la perte de son manteau, que l'entrepreneur lui avait repris, pour faire attention à autre chose; on fit revenir à lui l'homme évanoui avec une douche d'eau froide; on le déposa sain et sauf hors du cimetière, et, après avoir fermé à clef la porte, chacun s'en retourna chez soi.
«Eh bien, Olivier, dit Sowerberry en regagnant sa boutique, comment trouves-tu cela?
– Assez bien, monsieur, je vous remercie, répondit l'enfant en hésitant beaucoup; pas trop bien, monsieur.
– Bah! tu t'y feras, Olivier, dit Sowerberry; ça ne vous fait plus rien du tout, une fois qu'on y est fait, mon garçon.»
Olivier aurait bien voulu savoir s'il avait fallu beaucoup de temps à son maître pour s'y accoutumer; mais il crut sage de ne pas hasarder cette question, et s'en retourna à la boutique, la tête pleine de tout ce qu'il venait de voir et d'entendre.
CHAPITRE VI. Olivier, poussé à bout par les sarcasmes de Noé, engage une lutte et déconcerte son ennemi
Au bout d'un mois d'essai, Olivier fut définitivement apprenti; il y eut précisément alors une bonne saison d'épidémies. En style de commerce, les cercueils étaient en hausse; et dans l'espace de quelques semaines, Olivier acquit beaucoup d'expérience; le succès de l'ingénieuse spéculation de M. Sowerberry dépassait son espérance. Les plus vieux habitants ne se souvenaient pas d'avoir jamais vu la rougeole si intense et si meurtrière pour les enfants; nombreux furent les convois en tête desquels marchait le petit Olivier avec un chapeau garni d'un crêpe qui lui tombait jusqu'aux genoux, à l'étonnement et à l'admiration de toutes les mères. Olivier accompagnait aussi son maître à presque tous les convois d'adultes, afin d'acquérir l'impassibilité de maintien et l'insensibilité complète qui sont si nécessaires à un croque-mort accompli, et il eut souvent occasion d'observer la belle résignation et la force d'âme avec laquelle les gens courageux savent supporter la perte de leurs proches.
Ainsi, quand on commandait à Sowerberry un convoi pour quelque personne vieille et riche, possédant un grand nombre de neveux et de nièces, lesquels pendant la dernière maladie s'étaient montrés inconsolables, et dont la douleur n'avait pu se contenir en public, on les trouvait chez eux aussi heureux que possible, joyeux et satisfaits, conversant ensemble avec autant de gaieté et de liberté d'esprit que s'ils n'avaient éprouvé aucune perte. Certains maris supportaient avec un calme admirable la perte de leur femme; les femmes, de leur côté, en portant le deuil de leur mari, avaient soin de le rendre aussi attrayant que possible; il était aussi à remarquer que ceux dont la douleur avait le plus éclaté au convoi, se calmaient en rentrant chez eux, et étaient tout à fait remis avant l'heure du thé. Ce spectacle à la fois curieux et consolant excitait l'étonnement d'Olivier.
Je ne puis affirmer avec certitude, en ma qualité de biographe, que l'exemple de ces braves gens ait disposé Olivier à la résignation; mais il est certain qu'il continua pendant plusieurs mois à supporter patiemment la domination et les mauvais traitements de Noé Claypole, qui le maltraitait plus que jamais depuis que sa jalousie était excitée en voyant le nouveau venu décoré d'un chapeau à crêpe et d'un bâton noir, tandis que lui, son ancien, portait toujours le bonnet en forme de marmite, la culotte de peau, le costume enfin de l'école de charité; Charlotte le maltraitait aussi pour imiter Noé, et Mme Sowerberry était son ennemie déclarée, parce que son mari était bien disposé pour lui: de sorte qu'ayant à lutter à la fois contre cette ligue et contre le dégoût que lui inspiraient les funérailles, Olivier n'était pas tout à fait aussi à l'aise que le rat de la fable dans son fromage de Hollande.
J'arrive maintenant à un fait très important dans l'histoire d'Olivier; j'ai à parler d'une action qui peut d'abord paraître presque indifférente, mais qui modifia et changea complètement son avenir.
Olivier et Noé étaient un jour descendus à la cuisine, à l'heure habituelle du dîner, pour se régaler d'un petit morceau de mouton; une livre et demie de la viande la plus commune. Mais Charlotte était sortie, et, pendant son absence, le sieur Noé Claypole, affamé et vicieux, crut qu'il ne pouvait mieux passer le temps qu'à tourmenter et molester le petit Olivier Twist.
Pour se donner cette innocente distraction, Noé mit les pieds sur la nappe, tira les cheveux d'Olivier, lui pinça les oreilles, et lui déclara qu'il n'était qu'un «capon» Il annonça le projet d'aller le voir pendre un jour; enfin il n'y eut pas de malices qu'il ne se permît, comme un méchant enfant de charité qu'il était. Mais, comme rien de tout cela ne faisait pleurer Olivier, Noé essaya d'un moyen plus ingénieux; il fit ce que beaucoup de petits esprits, bien plus célèbres que Noé, font journellement pour être spirituels: il eut recours aux personnalités.
«Petit bâtard! dit Noé; comment se porte ta mère?
– Elle est morte, répondit Olivier. Ne m'en parlez pas, je vous prie.»
L'enfant rougit en disant ces mots. Sa respiration était précipitée, et, à voir la contraction de ses lèvres et de ses narines, M. Claypole crut qu'il allait fondre en larmes; aussi revint-il à la charge.
«De quoi est-elle morte, ta mère? dit Noé.
– De désespoir, à ce qu'on m'a dit, répondit Olivier, comme s'il se parlait à lui-même; et je crois que je comprends ce que c'est que de mourir ainsi!
– Tra déri déra, petit bâtard! dit Noé en voyant une larme couler sur la joue de l'enfant; qu'est-ce qui te fait pleurnicher à présent?
– Ce n'est pas vous, répondit Olivier en essuyant vite la larme qui mouillait sa joue; ne croyez pas que ce soit vous.
– Ah! vraiment! ce n'est pas moi? dit Noé en ricanant.
– Non, ce n'est pas vous, reprit Olivier d'un ton sec; tenez, en voilà assez; n'ajoutez plus un mot sur ma mère; c'est ce que vous avez de mieux à faire.
– Ce que j'ai de mieux à faire! s'écria Noé; en vérité! ne fais pas l'impudent, méchant orphelin. Il paraît que ta mère était une belle femme, hein?»
Et ici Noé secoua la tête d'une manière expressive et fronça de toute sa force son petit nez rouge.
«Tu sais bien, orphelin, continua Noé, encouragé par le silence d'Olivier, et d'un ton de feinte compassion (le plus blessant de tous), tu sais bien que tu n'y peux rien, que personne n'y peut rien; j'en suis bien fâché pour toi; tu sais sans doute, enfant trouvé, que ta mère était une vraie coureuse.
– Comment dites-vous? demanda Olivier en levant bien vite la tête.
– Une vraie coureuse, répondit froidement Noé; et au fait, il vaut mieux qu'elle soit morte, car elle se serait fait enfermer, ou transporter, ou pendre, ce qui est encore plus probable.»
Le visage en feu, Olivier s'élança, renversa chaise et table, saisit Noé à la gorge, le secoua avec une telle rage que ses dents claquaient, et, rassemblant toutes ses forces, il lui appliqua un tel coup qu'il l'étendit à terre.
Un instant auparavant, cet enfant accablé de mauvais traitements