Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis. Dumas Alexandre

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - Dumas Alexandre


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homme que l'on croyait étranger —c'est ton père!– ont peu de puissance, puisqu'en face de cette tombe de mon père à peine refermée, ton nom prononcé j'oubliai tout! C'est que tu es mon véritable père, toi! À part la vie matérielle, je te dois tout. Je suis ton enfant, je suis ton œuvre, je suis ta création; et avec cela, dans sa suprême bonté, Dieu a voulu que je pusse être autre chose.

      Quand je sortis du cabinet où cet excellent jeune homme venait de m'apprendre ton passage, j'étais honteuse de moi. J'avais des larmes dans les yeux; mais, larmes et sourires, tout était pour toi.

      Oh! que l'amour est bien ce que tu m'as dit, l'âme de la création tout entière, le fluide obstiné qui perpétue la vie, et qui des parcelles de temps de notre vie fait l'éternité des êtres. Nous rêvons Dieu, nous sentons l'amour; l'amour ne serait-il pas le seul, l'unique, le vrai Dieu?

      Je cachai ma joie dans mon voile. Qu'eût dit la rigide chanoinesse en voyant ces fausses larmes et ce vrai sourire.

      Ainsi je m'étais reprise à espérer. Depuis que nous avions été séparés, c'était la première fois que j'entendais parler de toi. Le fil de ma vie presque brisé se renouait, plus ardent que jamais, à l'amour et au bonheur.

      Mais toi, de ton côté, qu'allais-tu faire, pauvre bien-aimé? courir après une nouvelle déception. Je te voyais reprenant la poste dans l'espoir de me retrouver à Bourges, te penchant en avant, pressant le postillon et arrivant dans notre sombre rue, en face de notre triste maison, pour trouver la maison fermée et apprendre mon départ.

      Mais, n'importe! Je me disais, égoïste que j'étais, que toutes ces secousses-là feraient revivre ton amour comme celle que je venais de recevoir avait galvanisé le mien.

      Le reste de la journée fut consacré à une visite à la tombe du marquis. Là je retrouvai des larmes. Le général nous permit de mettre une pierre sur la fosse, avec le nom de celui qu'elle recouvrait.

      Mademoiselle de Chazelay s'obstinait à vouloir mettre dessus: Mort pour son roi. Mais le général lui fit observer qu'une pareille inscription ferait mettre avant vingt-quatre heures la pierre en morceaux par les soldats de la République.

      Nous quittâmes Mayence dans la même nuit, et nous prîmes la route de Vienne. C'était là que mademoiselle de Chazelay voulait fixer sa résidence. Elle avait une douzaine de mille francs en or avec elle. Il ne fallait plus compter sur autre chose. Toute notre fortune était là.

      Il était évident que la République héritait des biens du marquis de Chazelay, émigré pris les armes à la main et fusillé.

      Nous partîmes donc pour Vienne, mais nous cessâmes de voyager en poste. Nous prîmes nos places à une diligence, et je priai tant qu'on laissa mon pauvre Scipion monter avec nous.

      Scipion, c'était le dictionnaire de ma vie passée.

      Nous arrivâmes à Vienne, et nous descendîmes d'abord dans le plus beau quartier de la ville, à l'Agneau d'or.

      Ma tante confia au maître de la maison qu'elle désirait louer une petite maison dans un quartier calme et retiré. Trois jours après, une vieille dame venait nous prendre en voiture et nous conduisait à la place de l'Empereur-Joseph où elle avait une petite maison garnie.

      Cette petite maison nous convenait sous tous les rapports. La propriétaire en voulait cent louis par an. Ma tante, après longue discussion l'obtint à deux mille francs, avec faculté de renouveler le bail d'année en année tant qu'il lui plairait.

      À la fin de chaque année elle pouvait résilier, mais l'année commencée elle devait payer l'année entière.

      Nous nous installâmes à Josephplatz.

      Aussitôt installée, comme je n'avais plus de femme de chambre pour m'espionner, – ma tante avait jugé que nous pouvions nous servir seules, et que par conséquent cette dépense était inutile, – comme je n'avais plus de femme de chambre pour m'espionner, je t'écrivis une longue lettre et je la mis moi-même à la poste.

      Ni celle-là ni trois autres que j'écrivis n'obtinrent de réponse.

      Je me désespérai. M'avais-tu donc oubliée? Cela me semblait impossible.

      Hélas! depuis j'ai réfléchi.

      Il y avait une double raison pour que mes pauvres lettres ne t'arrivassent point.

      Ne sachant point ton adresse, je t'écrivais:

      «À monsieur Jacques Mérey, député du département de l'Indre à la Convention.»

      J'ignorais les défiances du gouvernement autrichien. Mes lettres étaient décachetées et lues.

      Puis celui qui était chargé de ce triste office de lire les lettres ne jugeait pas à propos de recacheter mes lettres et de leur faire suivre leur cours.

      C'est si peu important pour un indifférent des lettres d'amour!

      J'eusse donné la moitié de mon sang pour une lettre de toi!

      Et, en supposant même que mes lettres eussent été remises à la poste, est-ce que la police française eût fait parvenir à monsieur Jacques Mérey, député à la Convention, des lettres de Vienne.

      Cette appellation de monsieur, complètement abolie à Paris, sentait son aristocratie d'une lieue.

      J'étais bien malheureuse lorsque ces observations que je fais ici me furent faites par un vieux savant, notre voisin, avec la femme duquel ma tante allait faire parfois sa partie de whist.

      Une chose qui te fera rire, mon cher Jacques, c'est que ce vieux savant aimait à causer avec moi, disait-il, parce que j'étais savante.

      Moi savante! Hélas la chose que j'eusse dû savoir avant tout c'est que, pour que mes lettres t'arrivassent, il ne fallait pas écrire à monsieur Mérey, mais au citoyen Mérey.

      Une fois que j'eus trouvé la cause de ton silence, mon Jacques, bien loin de t'en vouloir, je t'en aimai davantage. Mais ce n'était pas le tout de t'aimer de mon côté, je voulais que tu m'aimasses du tien.

      Or ce point de la cause de ton silence éclairci, tu m'aimais toujours; que m'importait le reste. Ton amour n'était-il pas tout pour moi.

      III

      La vie que nous menions, ma tante et moi, à Vienne, ressemblait beaucoup à celle que nous menions à Bourges.

      Nous avions pris une femme pour nous servir; c'était une vieille Française, dont le mari, domestique d'un attaché d'ambassade, était mort à Vienne.

      Tant qu'il y avait eu ambassade française à Vienne, l'ancien maître du mari de Thérèse avait aidé la veuve; mais depuis la guerre avec l'Autriche, l'ambassadeur français avait pris ses passeports, et Thérèse s'était mise à faire les ménages de ses compatriotes émigrés.

      Depuis la mort de mon père, ma tante, tombée dans une espèce de spleen, ne s'occupait plus ou paraissait ne plus s'occuper de nos amours.

      J'étais libre, j'avais ma chambre à moi; j'y demeurais seule tant que je voulais, et j'avais tout le temps de t'écrire.

      Pendant le premier mois de mon arrivée, je t'écrivis toutes les semaines; seulement ma tristesse était profonde de voir que quoique je t'adjurasse, au nom des plus douces heures de notre amour, de me répondre, tu ne me répondais pas; cette fois, je ne pouvais pas même concevoir l'idée que mes lettres étaient détournées, puisque deux ou trois fois j'avais mis mes lettres moi-même à la poste.

      Vers le troisième mois de notre séjour à Vienne, j'eus une grande douleur; mon pauvre Scipion s'en allait mourant de vieillesse.

      C'était avec toi le seul être qui m'eût véritablement aimée; et lui qui t'avait quitté volontairement pour me suivre quand le marquis m'avait enlevée, lui qui était venu avec moi en exil, ne m'aimait-il pas mieux que toi dont le silence incompréhensible accusait l'oubli?

      Si ton silence venait de ta fierté blessée, je le comprenais encore tant que le marquis vivait; mais, le marquis mort, tu n'avais plus aucun motif pour ne pas m'écrire;


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