Le comte de Moret. Dumas Alexandre
vide, et remplacera Concini.
Mais, s'il est le roi, Louis XIII n'est pas homme encore. Marié depuis deux ans avec l'infante d'Espagne, Anne d'Autriche, il n'est son mari que de nom. M. Durand, contrôleur provincial des guerres, a beau lui faire des ballets, dans lesquels il représente le démon du feu, et dans lesquels il chante à la reine les vers les plus tendres, toute sa galanterie se borne à lui dire:
Beau soleil de qui je veux
Pour jamais souffrir les feux,
Regarde où tu me conduis,
Et connais ce que tu peux
En voyant ce que je suis.
En effet, Louis XIII portait un habit tout couvert de flammes, mais, comme il ôtait son habit pour se coucher, il dépouillait les flammes avec l'habit.
Comme le ballet de la Délivrance de Renaud n'a rien produit, on essaye d'un autre ballet qui a pour titre: les Aventures de Tancrède dans la forêt enchantée. Cette fois la chorégraphie de M. de Ponchère réveille un peu le roi, et sa curiosité va jusqu'à désirer savoir comment les choses se passent un soir de noces entre vrais époux; c'est M. d'Elbeuf et Mlle de Vendôme qui donnent au roi une répétition de la pièce qu'il n'a pas encore jouée: rien n'y fait, le roi reste deux heures dans la chambre des époux, assis sur leur lit, et rentre tranquillement dans sa chambre de garçon.
Enfin, ce fut Luynes qui, tourmenté par l'ambassadeur d'Espagne et par le nonce du pape, se chargea de cette grande affaire, ne cachant pas à ceux qui l'y poussaient qu'il courrait risque d'y perdre son crédit.
Le jour fut fixé au 25 janvier 1619.
Ce jour-là, c'est encore le journal d'Hérouard qui va nous en donner l'emploi.
Le 25 janvier 1619, le roi, ne sachant point ce qui l'attendait à la fin de la journée, se leva en excellente santé, avec bon visage, et même gai, relativement; il déjeuna à neuf heures et quart; ouït la messe à la chapelle de la Tour; présida le conseil; dîna à midi; fit visite à la reine; alla aux Tuileries par la galerie; revint vers quatre heures et demie par le même chemin au Louvre; monta chez M. de Luynes pour répéter son ballet; soupa à huit heures; fit de nouveau visite à la reine, la quitta à dix heures, rentra dans ses appartements et se coucha; mais à peine était-il couché, que Luynes entra dans sa chambre et l'engagea à se lever. Le roi le regarda avec le même étonnement que s'il lui eût proposé de faire un voyage en Chine. Mais Luynes insista, lui disant que l'Europe commençait à s'inquiéter de voir le trône de France sans héritier, et que ce serait une honte pour lui si sa sœur, madame Christine, qui venait d'épouser le fils du duc de Piémont, le prince Amédée de Savoie, avait un enfant avant que la reine eût un dauphin. Mais comme toutes ces raisons, quoiqu'il les approuvât de la tête, ne paraissaient pas suffisantes pour décider le roi, de Luynes le prit tout simplement entre ses bras et le porta où il ne voulait point aller. Que si vous doutez le moins du monde de ce petit détail qu'aucun historien ne vous a raconté, et que vous raconte un romancier, lisez la dépêche du nonce, en date du 30 janvier 1619, et vous y trouverez cette phrase qui nous paraît concluante: Luines lo prese a traverso e lo conduce quasi per forza al letto della Regina.
Mais si Luynes n'y perdit pas son crédit, et y gagna au contraire le titre de connétable, il y perdit au moins sa peine, ou n'en fut récompensé que tardivement. Ce dauphin qui devait concourir pour le prix de vitesse avec le premier-né de la duchesse de Savoie ne vit le jour, si ardemment réclamé qu'il fût, que dix-neuf ans après, c'est-à-dire en 1638, et Luynes, qui ne devait pas avoir le bonheur de voir l'arbre qu'il avait planté porter ses fruits, mourait deux ans après d'une fièvre pourprée. Cette mort laissait le chemin libre à Marie de Médicis, qui, rappelée de son exil, revenait à Paris, ramenait, et faisait entrer au conseil, Richelieu, cardinal depuis un an, et qui bientôt après devait devenir premier ministre.
Dès lors, c'est Richelieu qui règne, et qui, en se déclarant contre la politique autrichienne et espagnole, se brouille à la fois avec Anne d'Autriche et avec Marie de Médicis. A partir de ce moment, les haines le poursuivent, les complots l'entourent; Marie de Médicis a, comme le roi, son ministère présidé comme celui du roi par un cardinal, M. de Bérulle. Seulement, le cardinal de Richelieu est un homme de génie, tandis que le cardinal de Bérulle est un idiot. Monsieur, que Richelieu a marié, et auquel, croyant s'en faire un appui, il a donné l'immense fortune de Mlle de Montpensier, conspire contre lui. Un conseil secret s'organise, auquel est appelé le médecin Bouvard, qui a succédé comme médecin du roi au brave docteur Hérouard; par Bouvard, Monsieur, qui succède à Louis XIII si Louis XIII meurt sans enfants, a le doigt sur le pouls du malade, car Bouvard, homme de dévotion tout espagnole, vivant aux églises, est l'âme damnée des reines. On sait donc que ce sombre roi, que l'ennui consume, que les soucis minent, qui ne se sent aimé de personne, mais au contraire haï de tous, que les médecins exterminent par la médecine du temps implacablement purgative, qui n'a plus de sang et que l'on saigne une fois par mois, peut s'évanouir d'un moment à l'autre et disparaître avec cette humeur noire que l'on s'obstine à chasser et qui est sa vie. Si le roi meurt, Richelieu est à la merci de ses ennemis, et dans les 24 heures qui suivent la mort du roi, il est pendu. Eh bien, malgré toutes ces espérances, Chalais n'a pas le temps d'attendre; il propose de tuer le cardinal, Marie de Médicis appuie la proposition, Mme de Conti achète des poignards, et la douce Anne d'Autriche n'y fait d'autre objection que ces trois mots: Il est prêtre!
Quant au roi, qui, depuis l'assassinat de Henri IV, hait sa mère, qui, depuis la conspiration de Chalais, se défie de son frère, qui, depuis ses amours avec Buckingham, et particulièrement depuis le scandale des jardins d'Amiens, méprise la reine; quant au roi, qui n'aime ni sa femme, ni les femmes, et qui, n'ayant aucune des vertus d'un Bourbon, n'a qu'à moitié les vices des Valois, il est plus froid et plus défiant que jamais avec toute sa famille. Il sait que cette guerre d'Italie qu'il projette, ou plutôt que projette le cardinal, est antipathique à Marie de Médicis, à Gaston d'Orléans, et particulièrement à Anne d'Autriche, parce qu'en réalité, c'est une guerre contre Ferdinand II et Philippe III, et que la reine est mi-partie d'Autriche et mi-partie d'Espagne.
Aussi, lorsque, sous le prétexte d'un violent mal de tête, elle a refusé d'assister, le soir, au ballet qui se danse en l'honneur de la prise de La Rochelle, c'est-à-dire en l'honneur de la victoire de son mari sur son amant, Louis XIII a-t-il été pris de ce soupçon qu'elle ne restait chez elle que pour y nouer quelque cabale, et, pendant toute la soirée, a-t-il eu l'œil, non pas sur les danseurs et sur les danseuses, mais sur la reine-mère et sur Gaston d'Orléans, échangeant à voix basse avec le cardinal, qui se tenait à ses côtés, dans sa loge, des observations qui n'avaient aucun rapport avec la chorégraphie, et, le ballet fini, au lieu de rentrer chez lui, a-t-il eu l'idée de passer chez la reine sans la prévenir de sa visite, et cela pour la prendre sur le fait, s'il y avait un fait quelconque; et voilà pourquoi nous l'avons vu arriver d'une façon si inattendue, précédé de deux pages, accompagné de ses deux favoris, suivi de Beringhen, et apparaître dans l'antichambre, juste au moment où le comte de Moret et sa conductrice inconnue disparaissaient dans le cabinet.
L'étiquette royale défendait que, quand le roi couchait sous le même toit que la reine, une velléité conjugale étant prévue, les portes de l'appartement de la reine de France fussent fermées la nuit; le roi avait donc, l'une après l'autre, ouvert sans difficulté, au milieu de l'obscurité et du silence, les trois portes qui séparaient l'antichambre de la chambre à coucher.
En entrant dans la chambre à coucher, il en avait, d'un regard rapide, exploré les angles les plus obscurs et les recoins les plus retirés.
Tout y était dans l'ordre le plus parfait.
La reine dormait d'un sommeil dont le calme pouvait attester la chasteté, et un souffle doux et régulier s'échappait de sa poitrine au moment où Louis XIII, plus jaloux de son pouvoir de roi que de ses droits comme mari, ouvrit la porte et s'approcha du lit.
Mais les reines ont le sommeil léger, et quoiqu'un épais tapis de Flandre eût assourdi les pas de son auguste époux, le souffle doux et régulier s'arrêta tout à coup, puis une main, merveilleuse de forme et de blancheur, écarta le rideau: une tête