Le comte de Moret. Dumas Alexandre
caresse la mignonne,
Dieu gard' de mal le petit homme!
En mourant assassiné à Jarnac, ce charmant petit prince de Condé laissait un fils, qui devint, avec le jeune Henri de Navarre, le chef du parti protestant.
Celui-là, c'était le digne fils de son père qui, au combat de Jarnac, avait chargé à la tête de cinq cents gentilshommes avec un bras en écharpe et une jambe cassée, dont les os traversaient sa botte. Ce fut lui qui, le jour de la Saint-Barthélemy, à Charles IX, qui lui criait: Mort ou messe! répondait: Mort! tandis que Henri, plus prudent, répondait: Messe!
Celui-là, c'était le dernier des grands Condé de la première race.
Il ne devait pas mourir sur un champ de bataille, glorieusement couvert de blessures, et assassiné par un autre Montesquiou. Il devait mourir tout simplement empoisonné par sa femme.
Après une absence de cinq mois, il revint à son château des Andelys; sa femme, une demoiselle de La Trémouille, était enceinte d'un page gascon. Au dessert du dîner qu'elle lui donna à son retour, elle lui servit une pêche.
Deux heures plus tard, il était mort!
La même nuit, le page se sauvait en Espagne.
Accusée par le cri public, l'empoisonneuse fut arrêtée.
Le fils de l'adultère naquit dans la prison où sa mère resta huit ans sans qu'on osât lui faire son procès, tant on était sûr de la trouver coupable! Au bout de huit ans, Henri IV, qui ne voulait pas voir s'éteindre les Condé, ce magnifique rameau de l'arbre des Bourbons, fit sortir de prison, sans jugement, la veuve absoute par la clémence royale, mais condamnée par la conscience publique.
Disons en deux mots comment ce Henri, prince de Condé, deuxième du nom, qui prenait Chapelain pour un statuaire, avait épousé Mlle de Montmorency; l'histoire est curieuse et mérite que nous ouvrions une parenthèse pour la raconter, cette parenthèse dût-elle être un peu longue. Il n'y a pas de mal, d'ailleurs, que l'on apprenne chez les romanciers certains détails qu'oublient de raconter les historiens, soit qu'ils les jugent indignes de l'histoire, soit que probablement ils les ignorent eux-mêmes.
En 1609, la reine Marie de Médicis montait un ballet, et le roi Henri IV boudait, parce que, comme danseuse dans ce ballet, composé des plus jolies femmes de la cour, elle avait refusé d'admettre Jacqueline de Bueil, mère du héros de notre histoire, du comte de Moret.
Et comme les illustres danseuses qui devaient figurer au ballet étaient obligées, pour aller faire répétition à la salle de spectacle du Louvre, de passer devant la porte de Henri IV, Henri IV, en signe de mauvaise humeur, fermait sa porte.
Un jour, il la laissa entrebâillée.
Par cette porte entrebâillée, il vit passer Mlle Charlotte de Montmorency.
«Or, dit Bassompierre dans ses mémoires, il n'y avait rien sous le ciel de plus beau que Mlle de Montmorency, ni de meilleure grâce, ni de plus parfait.»
Cette vision lui parut si radieuse que sa mauvaise humeur prit immédiatement des ailes de papillon et s'envola. Il se leva du fauteuil où il boudait et la suivit, comme Enée suivait Vénus enveloppée d'un nuage.
Ce jour-là, et pour la première fois, il assista donc au ballet.
Il y avait un moment où les dames, vêtues en nymphes, et, si léger que soit de nos jours le costume de nymphe, il était encore plus léger au dix-neuvième siècle; il y avait, disons-nous, un moment où les dames vêtues en nymphes, faisaient toutes à la fois semblant de lever le javelot, comme si elles eussent voulu le lancer à un but quelconque; Mlle de Montmorency, en levant le sien, se tourna vers le roi et sembla vouloir l'en percer; le roi ne se doutant point du danger qu'il courait, était venu sans cuirasse; aussi dit-il que la belle Charlotte fit de si bonne grâce cette action de le menacer de son javelot, qu'il crut sentir le javelot pénétrer au plus profond de son cœur.
Mme de Rambouillet et Mlle Paulet étaient de ce ballet, et ce fut de ce jour que toutes deux firent amitié avec Mlle de Montmorency, quoiqu'elles fussent de cinq ou six ans plus âgées qu'elle.
A partir de ce jour-là, le bon roi Henri IV oublia Jacqueline de Bueil; il était fort oublieux, comme on sait, et il ne songea plus qu'à s'assurer la possession de Mlle de Montmorency. Il ne s'agissait pour cela que de trouver à la belle Charlotte un mari complaisant qui, moyennant une dot de quatre ou cinq cent mille francs, fermât d'autant plus les yeux que le roi les ouvrirait davantage.
Il en avait fait ainsi pour la comtesse de Moret, qu'il avait mariée à M. de Cesy, lequel était parti pour une ambassade le soir même de ses noces.
Le roi croyait avoir son homme sous la main.
Il jeta les yeux sur cet enfant du meurtre et de l'adultère. Marié de la main du roi et à la fille d'un connétable, la tache de sa naissance disparaissait.
D'ailleurs toutes les conditions furent faites avec lui. Il promit tout ce que l'on voulut; le connétable donna cent mille écus à sa fille, Henri IV un demi-million, et Henri II de Condé, qui la veille avait dix mille livres de rentes, se trouva le matin de ses noces en avoir cinquante.
Il est vrai que le soir, il devait partir. Il ne partit pas.
Cependant il tint le côté de la convention qui consistait à rester la première nuit de ses noces dans une chambre séparée de celle de sa femme, et le pauvre amoureux de cinquante ans obtint d'elle que, pour bien lui prouver qu'elle était seule et maîtresse d'elle-même, elle se montrerait sur son balcon, ses cheveux dénoués et entre deux flambeaux.
En l'apercevant, le roi faillit mourir de joie.
Il serait trop long de suivre Henri dans les folies que lui fit faire ce dernier amour, au milieu duquel le coup de couteau de Ravaillac l'arrêta court, au moment où il allait chercher chez la belle Mlle Paulet des consolations que la charmante Lionne lui prodiguait et qui ne le consolaient pas.
Après la mort du roi, M. de Condé rentra en France avec sa femme, qui était toujours Mlle de Montmorency, et qui ne devint Mme de Condé que pendant les trois ans que son mari passa à la Bastille. Il est probable qu'avec les dispositions bien connues de M. de Condé pour les écoliers de Bourges, sans ces trois ans passés à la Bastille, ni le grand Condé, ni Mme de Longueville n'auraient jamais vu le jour.
M. le prince était surtout connu pour son avarice; il courait à cheval dans les rues de Paris, sur une haquenée et avec un seul valet, quand il avait des procès ou qu'il allait solliciter ses juges. La Martellière, fameux avocat de l'époque, avait, comme les médecins, des jours de consultations gratis. Il y allait ces jours-là.
Toujours fort mal vêtu, il avait fait ce soir-là meilleure toilette que de coutume; peut-être savait-il trouver le duc de Montmorency, son beau-frère, chez la princesse Marie, et avait-il fait toilette pour lui, le duc lui ayant dit que la première fois qu'il le rencontrerait vêtu d'une façon indigne d'un prince du sang, il ferait semblant de ne pas le connaître.
C'est que Henri II, duc de Montmorency, était l'antipode de Henri II, prince de Condé; c'était le frère de la belle Charlotte, et il était aussi élégant que M. de Condé l'était peu, aussi libéral que M. de Condé était avare. Un jour, ayant entendu dire à un gentilhomme que, s'il trouvait 20,000 écus à emprunter pour deux ans, sa fortune serait faite:
– N'allez pas plus loin, lui dit-il, ils sont trouvés.
Et sur un bout de papier, il écrivit au crayon: Bon pour 20,000 écus.
– Portez cela demain à mon intendant, dit-il au gentilhomme, et tâchez de prospérer.
Deux ans après, en effet, le gentilhomme rapporta à M. de Montmorency les 20,000 écus.
– Allez, allez, monsieur, lui dit le duc, c'est bien assez que vous me les ayez rapportés, je vous les donne de bon cœur.
Il avait été fort amoureux de la reine, en même temps que M. de Bellegarde, avec lequel il faillit se couper la gorge à ce sujet. La reine, qui coquetait