Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent. Dumas Alexandre

Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent - Dumas Alexandre


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modifiées, apparaissent subitement comme des injustices et des barbaries.

      Le meurtrier a-t-il discuté ces questions comme nous le faisons ici? A-t-il lu ce qu'on écrivait sur ces matières avant qu'il commît son crime? Obéit-il à un raisonnement? Non. Il obéit aveuglément à sa passion, ce n'est pas douteux. Mais sa passion satisfaite vient, en plein tribunal, faire appel à un droit naturel, humain, incontestable, dont la société aurait dû tenir compte et dont elle ne s'est pas souciée.

      L'acquittement des coupables, prononcé par le tribunal, imposé par l'opinion, est-il juste? Non. Mais ce qui fait l'acquittement de ces coupables arrêtés, c'est que la loi ne peut pas sévir contre les véritables coupables qu'elle couvre depuis trop longtemps, et que, ne pouvant pas appliquer la justice absolue, elle est condamnée elle, la loi, à n'appliquer que la justice relative, ce qui est bien près de l'injustice.

      Vous vous rappelez sans doute l'affaire Morambat, il y a trois ou quatre ans? J'écrivais à ce propos, dans l'Opinion nationale, une lettre comme celle-ci. J'y annonçais l'acquittement inévitable du meurtrier, et je demandais à la loi de protéger la virginité des filles, virginité que j'appelais leur capital. Le mot fit beaucoup rire. Toujours! En France, nous rions beaucoup des choses sérieuses; c'est même de celles-là, je crois pouvoir l'affirmer, qu'on rit le plus. Moi, c'est un goût particulier, j'aime mieux rire des choses qui ne sont pas sérieuses, et qui n'en ont pas moins la prétention de l'être; ma conscience se trouve ainsi en repos, je suis sûr d'avoir plus longtemps des sujets de gaieté et d'avoir finalement raison. Vive le rire, mon cher ami, quand il ne se trompe pas.

      Si j'évoque aujourd'hui cette affaire Morambat, c'est pour m'aider à montrer les incarnations successives, variées, de plus en plus rapprochées les unes des autres, de plus en plus menaçantes et triomphantes de l'idée proposée de certaines réformes dans de certaines lois. Cette affaire se résumait en ceci, (soyez tranquille, je serai bref): Une jeune fille, ouvrière laborieuse et d'une conduite irréprochable jusque-là, s'était laissé, faut-il dire séduire, disons plutôt entraîner par un jeune homme, commis dans le magasin où elle était en apprentissage: elle était devenue enceinte, ce que voyant, le jeune homme l'avait abandonnée. Voilà le commencement et le milieu de l'histoire. C'est vieux, c'est banal, c'est connu; le soleil aussi est vieux, banal, connu, et il reparaît toujours et on ne s'en déshabitue pas. Mais il passe tout à coup, par l'esprit, par le cœur, par la conscience du père de la jeune fille de modifier le dénouement traditionnel, aussi vieux, aussi banal, aussi connu que le soleil et les débuts de l'histoire et qui consistait, pour la jeune fille, à se désoler, à cacher sa honte dans un coin, à élever son enfant avec ses seules ressources ou à lui tordre le cou, à se tuer elle-même ou à se prostituer, tout cela parce que le Code avait oublié de faire une loi qui protégeât le capital moral des femmes comme le capital matériel et qui condamnât un homme qui leur aurait pris leur honneur comme elle condamnerait le voleur qui leur aurait pris leur montre ou leur parapluie.

      Il advint donc, cette fois, une chose nouvelle. Le père de mademoiselle Morambat se trouvait être un très honnête ouvrier; il adorait sa fille, et il ne permit pas aux choses de finir selon la coutume. Il cacha un couteau sous son vêtement, s'en alla trouver le commis, lui demanda s'il voulait épouser sa fille, et, sur les refus réitérés de celui-ci, il le frappa en pleine poitrine. La vie du jeune homme fut en danger; on arrêta l'assassin; grande émotion dans Paris; instruction; procès.

      Si vous voulez bien donner un peu d'attention à ce cas particulier, mon cher ami, vous y remarquerez facilement un fait curieux. Dans ce procès, prévenu, plaignant, victime, tout le monde était coupable, et, nantie de toutes les lois imaginables pour punir tous les attentats possibles, la justice a dû s'avouer publiquement impuissante et inutile.

      Voyons comment.

      Nous voici dans la salle de la cour d'assises. Rien n'y manque pour que le droit soit respecté, pour que l'équité rayonne, pour que la solennité soit imposante, pour que la leçon soit profitable. Foule énorme, avec sergents de ville, pour la contenir et au besoin la disperser si elle manque de respect au tribunal, si elle proteste ou si elle applaudit; gendarmes aux deux côtés de l'accusé, pour qu'il ne puisse ni s'enfuir, ni sauter sur les juges, ni se suicider; avocats réunis autour de la cause, pour s'éclairer dans leurs consciences et leur art, comme des carabins autour d'un cadavre dans un amphithéâtre d'anatomie; conseillers en robe rouge, avocat général chargé de soutenir l'accusation et de venger la morale et la société compromises; avocat célèbre à la barre de la défense, ayant mission de défendre et de sauver le prévenu; jury choisi au sort parmi les citoyens les plus recommandables de leurs quartiers, peintures allégoriques représentant le crime terrassé, l'innocence protégée, Thémis en péplum bleu et blanc tenant en équilibre les deux plateaux de sa balance; enfin, au fond de la salle, en face du public, des témoins, du jury et des accusés, au-dessus des juges et de tout, le Christ mourant pour la justice et la vérité, et sur lequel témoins et jurés vont faire le serment, les uns de ne dire que la vérité, rien que la vérité, les autres de n'avoir en vue que la justice, rien que la justice.

      Ceci posé, donnons en quelques mots le résumé philosophique et les conclusions morales du procès.

LA LOI, représentée par le Président, s'adressant à la jeune fille:Mademoiselle, vous étiez une personne honnête et laborieuse, tout le monde l'attesteLA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIVous avez été séduite par ce jeune homme?LA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIIl vous avait promis le mariage?LA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIIl vous a abandonnée?LA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIQuand il a su que vous étiez enceinte?LA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIC'est bien de lui que vous étiez enceinte?LA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIVous le jurez?LA JEUNE FILLEOui, monsieurLA LOIVous avez causé le désespoir et le crime de votre père. Vous allez mettre au monde un enfant sans père, sans état civil, probablement sans morale et sans instruction, puisque vous êtes sans ressources, enfant qui va être un danger ou une charge pour la société, tout cela parce que vous n'avez pas su résister à votre passion. C'est abominable, ce que vous avez fait là; mais nous n'y pouvons rien, rasseyez-vous. – Qu'on amène le jeune hommeLA LOI, au jeune hommeVous avez été l'amant de cette jeune fille?LE JEUNE HOMMEOui, monsieurLA LOIVous étiez le premier?LE JEUNE HOMME, après hésitationOui, monsieurLA LOIElle est enceinte de vous?LE JEUNE HOMME, toujours après hésitationOui, monsieurLA LOIVous refusez de l'épouser?LE JEUNE HOMME, sans hésitationOui, monsieurLA LOIVous refusez de reconnaître votre enfant?LE JEUNE HOMMEOui, monsieurLA LOIVous avez déshonoré une jeune fille, vous l'abandonnez, ainsi que votre enfant; c'est abominable, ce que vous faites là! nous n'y pouvons rien. Rasseyez-vous. – Faites lever le pèreLA LOI, au pèreVous reconnaissez que vous avez voulu tuer ce jeune homme?LE PÈREOui, monsieurLA LOIParce qu'il avait séduit votre fille?LE PÈREOui, monsieurLA LOIAlors vous avez pris un couteau?LE PÈREOui, monsieurLA LOIAvec l'intention de tuer cet homme, s'il vous refusait d'épouser votre fille?LE PÈREOui, monsieurLA LOIAvec préméditation alors?LE PÈREOui, monsieurLA LOIEt vous l'avez frappé avec la ferme intention de lui donner la mort?LE
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