Les Mystères du Louvre. Féré Octave

Les Mystères du Louvre - Féré Octave


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qui passa alors par l'esprit d'Antoine Duprat, nul ne l'a jamais su. Gagné par la sincérité de son confident, entraîné par l'habileté perfide avec laquelle il distillait ses révélations, peut-être eut-il un moment d'effroi et crut-il voir sur le seuil de sa chambre l'ombre vengeresse de quelqu'une de ses victimes. Des scélérats moins superstitieux que lui, ont eu de ces hallucinations.

      Quoi qu'il en soit, la pupille de Triboulet se dilata avec une expression sardonique, ainsi qu'il lui arrivait à chaque coup d'épingle qu'il trouvait l'occasion de lancer à son allié en diplomatie.

      Eh bien! ce spectre terrible! demanda enfin celui-ci, surmontant son appréhension, c'est…

      – Ce n'est pas un revenant, c'est une femme.

      – Hein! une femme?.. une femme qui erre seule, la nuit, déguisée en fantôme, à travers les êtres de cette résidence royale? Son nom, puisque tu la connais?

      – Ne le devinez-vous pas, messire; et quelle autre serait assez hardie, d'humeur assez aventureuse pour accomplir ces pérégrinations, sinon la princesse Marguerite?

      – La princesse Marguerite!.. la duchesse d'Alençon!.. répéta le chancelier au comble de la stupeur.

      – Ne m'avez-vous pas enjoint de vous la nommer?

      – Sur mon âme, voilà qui est incroyable! si incroyable, que je n'y ajouterai foi que quand tu me l'auras juré sur cette image de Notre-Seigneur Jésus, appendue là, au-dessus de mon prie-Dieu.

      – Je le jure, dit tranquillement Triboulet, c'était madame Marguerite, propre sœur de sire le roi de France.

      Une pause suivit.

      Le ministre tenait son front dans sa main, pour rallier ses idées qui s'égaraient, sans qu'il put les condenser, ni les retenir. Il n'était pas bien sûr encore d'être vraiment éveillé.

      Le bouffon dardait sur lui ses yeux ardents de malice, et jouissait de l'état déplorable où il le voyait.

      – Si tu ne lui a point parlé, comment l'as-tu reconnue sous son ajustement funèbre?

      – Oh! prononça sourdement le fou d'office, il y a des personnes que l'on reconnaît d'instinct, sans avoir besoin de considérer leurs traits, sans qu'elles fassent un mouvement ni qu'elles parlent… Vous les apercevez, tout votre sang bouillonne et vous crie: C'est elle!..

      – Oui, fit Duprat; je comprends; ce que l'amour inspire à quelques-uns, toi tu le ressens par la haine!

      – C'est cela, monseigneur, vous l'avez dit: la haine!

      Le bouffon, devenu livide, articula ces mots d'un accent guttural, et retira de son pourpoint, où il la retenait enfouie, sa main, dont les ongles, pleins de sang, avaient déchiré sa poitrine.

      – La haine! répéta-t-il, la haine! Cette femme m'estime moins qu'un chien.

      – C'est vrai, appuya Duprat, lui rendant à son tour une de ses blessures; je l'ai ouï engager son royal frère à te chasser du palais comme on ne chasserait pas un être vermineux… Pauvre Triboulet, reprit-il avec une feinte compassion, il y a pourtant du bon en toi.

      Cette hypocrisie, loin de l'abuser, le rappela à lui.

      – Ne vous y fiez pas, messire, fit-il avec une gaieté fébrile; le papegai s'apprivoise difficilement; il mord souvent son maître, au moment où celui-ci le caresse avec plus de confiance. Vous voyez, j'ai mes heures de franchise.

      La princesse a peut-être raison de me dédaigner; je fais un métier stupide, en prétendant amuser, avec mes saillies, des gens plus sots que moi… Tenez, je suis, au demeurant, un vilain personnage.

      – A la bonne heure! Je vois avec plaisir que si tu fustiges vertement les autres, tu ne t'épargnes pas toi-même… Mais tu es un rusé compère, et, si je te connais bien, tu ne dis tant de mal de toi que pour empêcher que les autres le pensent. Pour moi, je ne te demande pas de me flatter, mais de me servir. Ton intérêt me répond de ta vigilance, je n'en exige pas plus.

      Les boutades de ce genre n'étaient pas rares en effet, de la part de ce bouffon bizarre, dont la langue enfiellée ne respectait pas même son maître, le roi.

      – Quelle cause puissante attribues-tu à ces promenades nocturnes de la princesse? Ce ne peut être un simple rendez-vous de galanterie? Nos grandes dames ne prennent point tant de gêne, et ne font point tant de mystère pour chose si vulgaire…

      – Non, sans doute; communément, elles attendent les amoureux, et se contentent de leur ouvrir l'huis de leurs retraits… Mais qu'adviendrait-il si ces beaux galants, au lieu d'avoir leur libre volée, se trouvaient confinés en quelque endroit malsain, fermé à double tour, et surveillé par des gardiens rigoureux?

      – Eclaire ton discours, je cesse de te comprendre.

      – Suivez mon raisonnement, messire, il est limpide: en fait de rendez-vous d'amour, il faut pour se rencontrer que quelqu'un aille en trouver un autre… Quand l'amoureux est empêché, c'est l'amoureuse qui se met en route.

      – Fort bien; mais, en ce cas, je cherche vainement quel peut être ce mortel assez favorisé et assez malheureux à la fois pour que la perle de la France aille à lui, sans qu'il puisse venir à elle… Je ne vois personne…

      – C'est que vous cherchez mal, messire. Madame Marguerite possède un moyen que j'ignore, mais que je découvrirai, pour pénétrer dans les cachots de la Grosse-Tour; celui qu'elle aime est là!..

      – Quel trait de lumière!.. Triboulet, tu es le prince des bouffons!..

      – Cette parole me flatte, messire; il me reste à la justifier.

      – Achève donc, alors; ce prisonnier…

      – Ah! malheureusement, mes indications, mes pressentiments, ne vont pas plus loin… ce prisonnier, je ne le connais pas.

      – Mais je veux le connaître, moi!..

      – Ne vous emportez pas, monseigneur. Tout vient à point à qui sait attendre… et chercher. Donnez-moi, signé de votre main, un permis de visiter, à toute heure et de telle façon qu'il me conviendra, les cellules de la Grosse-Tour, des créneaux jusqu'aux fosses. Que je sois à jamais privé de ma marotte et de votre confiance, si je ne vous apporte pas le nom de votre heureux rival avant deux fois vingt-quatre heures.

      – J'y compte, dit le ministre en lui montrant parmi les papiers épars sur la table, un blanc-seing, dont le bouffon se saisit avec la souplesse du tigre qui s'élance sur sa proie.

      VI

      L'HOROSCOPE

      On nous permettra, avant d'aller plus loin, de présenter au lecteur, avec quelques détails, Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême. Cette princesse exerça la régence durant la plus grande partie du règne de François Ier, que son esprit d'entreprise, ses aventures et ses luttes guerrières détournaient des affaires de l'État.

      Nous avons, dans un précédent chapitre, montré cette princesse entourée de sa cour. Elle avait alors près de cinquante ans; mais, grâce à l'art des cosmétiques, grâce à son maintien superbe, à la noblesse de sa taille, c'était encore une femme belle et qui ne manquait pas de charmes.

      L'habitude du pouvoir, une énergie innée, des instincts indomptés, avaient en outre marqué leur sceau sur son front, qui respirait le besoin d'autorité et la volonté rigide.

      Ses passions avaient plongé la France dans l'abîme où elle se débattait depuis plusieurs années.

      Son avidité d'argent causa particulièrement d'immenses malheurs; mais le fol amour dont elle s'éprit, à l'âge de plus de quarante-quatre ans, pour le duc de Bourbon, connétable de France, eut aussi d'irréparables conséquences, et fut en réalité l'origine de la défaite de Pavie et de la prise du roi.

      Le connétable, beaucoup plus jeune qu'elle, était fier, et prétendait ne devoir sa fortune qu'au roi. Il repoussa ses avances, et se voyant disgracié à la suite du refus qu'il avait fait de lui servir d'amant ou même d'époux,


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