Les Mystères du Louvre. Féré Octave

Les Mystères du Louvre - Féré Octave


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voyant le chancelier en si bonnes dispositions, elle ne voulut pas insister sur ce point, et reprit:

      – Vous êtes un logicien trop habile pour moi, messire. Mais puisque vous paraissez plus miséricordieux que je ne pensais, il y aurait un excellent moyen de le prouver.

      – Dites, madame, je ne tiens qu'à vous démontrer ma sincérité et mon bon vouloir.

      – Oh! ce sont là d'excellents discours; pourquoi les actes ne s'y conforment-ils point?

      – Si Votre Grâce daignait s'expliquer plus clairement.

      – Très volontiers… Je veux dire, messire, que les écrivains exilés ne sont pas les seules victimes dont le sort m'afflige. Ce ne sont pas d'ailleurs les plus à plaindre. – Les prisons du Châtelet, de la Bastille, celles de ce palais sous nos pieds, les fosses de la Grosse-Tour, regorgent d'autres créatures dont la condition m'inquiète et me tourmente.

      – En vérité, madame, vous prenez tant de sollicitude à ces misérables!.. Songez donc que ce sont des pécheurs endurcis, récidivistes, propagateurs acharnés, et que la sainte Église de Rome les frappe d'anathème…

      – Mais vous, messire, songez aussi que j'ai trempé dans leur erreur, puisqu'au dire du Saint-Père, erreur il y a… Je suis donc un peu excommuniée comme eux, ce qui fait que leur infortune me touche…

      – Ils sont heureux, madame, d'exciter votre sollicitude.

      – Ils le seraient bien plus s'ils obtenaient la vôtre.

      – Que souhaitez-vous donc?

      – Que vous mettiez en œuvre ce bon vouloir que je rencontre chez vous aujourd'hui, et qui me charme, en faisant élargir ces malheureux.

      – Le chancelier eut un geste d'effroi.

      – Ne craignez rien; ma mère, ici présente, ne s'y opposera pas, j'en suis sûre.

      – La régente fit un signe affirmatif.

      – Et quant à mon cher et honoré frère, notre maître à tous, je m'engage, – foi de princesse, – à vous obtenir la continuation de sa faveur.

      – Ainsi, madame, la délivrance des prisonniers religieux vous serait agréable?

      – A moi, à ma mère et au roi.

      – S'il en est de la sorte, la chose n'est pas impossible… Cependant n'oublions pas les exigences de la Sorbonne; elle serait capable de faire un coup d'État ou un acte de rébellion fâcheux en la situation des affaires publiques, si nous lui enlevions toute sa proie… Je vous communiquerai, s'il vous plaît, la liste des prisonniers, et vous en désignerez un certain nombre qui seront libérés sur votre désir. Quant aux autres, nous tâcherons ensuite d'adoucir pour eux ces rudes docteurs, dont il serait dangereux de méconnaître trop ouvertement les privilèges.

      – Ainsi soit-il, messire; ma mère et moi attendrons votre liste, afin de vous présenter ensuite la nôtre, et, cet acte de clémence accompli, vous aurez droit à toute ma reconnaissance.

      Sur ce mot, elle lui tendit gracieusement la main qu'elle lui avait refusée le matin même.

      IV

      L'ANGE DES TOMBEAUX

      La nuit enveloppait depuis longtemps Paris endormi. Non pas une de ces nuits transparentes sous leur voile, qui font rêver du ciel et de ses voies étoilées, non pas même une nuit au lourd manteau noir, dont pas un filet de l'éther ne traverse la couche opaque.

      Le ciel, bizarrement envahi par des montagnes obscures, lançait çà et là par leurs trouées des clartés blafardes, qui prêtaient aux objets des aspects fantastiques.

      Au palais, tout reposait, comme à la ville. Les corps de logis de la grande cour du Louvre se profilaient sur ce ciel douteux, sans que la lueur d'une veilleuse apparût derrière les vitrages plombés de quelque fenêtre. Seulement, sur les déchirures du ciel, les crêtes des hauts étages, les créneaux des tourelles, les aiguilles des guérites de pierre des bastions du bord de l'eau de la porte de Saint-Germain l'Auxerrois se dessinaient en silhouettes accentuées, pareilles aux découpures de ces châteaux magiques construits sur les flancs des nuages par de méchants enchanteurs.

      La Grosse-Tour eût acquis alors des proportions gigantesques pour l'œil d'un visiteur, si quelqu'un se fût trouvé assez hardi pour la considérer sans un frisson. Sa tête disparaissait dans l'ombre, et sa masse noire se dressait comme un monument funèbre, écrasant une hécatombe immense.

      C'était l'heure et le lieu de se rappeler les légendes fabuleuses qui peuplaient les mémoires; cette vue sans perspective, cet horizon sans lumière, ce môle sinistre rendaient vraisemblables les plus incroyables récits. Cette enceinte devait être hantée par des esprits en harmonie avec elle. S'il est des repaires où les spectres prennent leurs ébats, celui-ci en était un.

      C'était sans doute en une circonstance pareille que le bouffon royal avait assisté à l'apparition dont il avait, quelques jours auparavant, entretenu la cour.

      Son récit n'avait produit qu'une impression passagère, on s'en était occupé quelques heures. Le soir, peut-être encore, deux ou trois gentilshommes, une ou deux dames, plus curieux que les autres, avaient mis l'œil à leur croisée pour regarder si le fantôme ne leur donnerait pas une représentation; puis, fatigués bientôt d'une vaine attente, ils avaient quitté la partie, se moquant d'eux-mêmes et des hallucinations de messire Triboulet.

      Ils eussent changé d'avis, et l'eussent reconnu pour leur maître, si, plus persévérants, ils se fussent tenus en observation au jour où nous sommes arrivés.

      Oui, de l'un des angles de la cour carrée surgit tout à coup, nous ne saurions dire comment, une ombre plus noire que les silhouettes des tourelles, plus grave que les murailles de la Grosse-Tour, plus solennelle en sa démarche que les nuages fantastiques qui roulaient leurs cohortes au ciel.

      On devinait sous cette enveloppe une forme humaine, mais on ne la distinguait pas. On n'entendait ni son souffle ni ses pas.

      Elle avançait, morne et muette, sans regarder derrière elle, sans agiter les plis du linceul où elle était drapée.

      C'était bien celle que le fou du roi avait déjà vue, car elle suivait le même itinéraire, marchant en ligne droite vers l'arcade de Charles V, au bord du fossé de la tour centrale, dont le pont-levis, rigoureusement retiré, ne permettait plus l'accès.

      Où allait-elle donc et qu'espérait-elle? Les fantômes ont-ils des secrets pour passer où ne passent point les vivants? La pierre et les murailles offrent-elles des issues à leurs formes insubstantielles? Se transportent-ils, malgré leur apparence matérielle, à la manière des esprits subtils?

      Il faut le croire, puisque celui-ci se fut à peine approché de l'un des massifs de la maçonnerie, qu'il parut ne faire plus qu'un corps avec elle, ou plutôt qu'il fut absorbé, englouti dans ses flancs granitiques.

      Ce phénomène était si prodigieux qu'il arracha un cri de surprise à une autre créature, accourue là sur les traces de l'apparition.

      Pour que rien ne manquât, en effet, à cette fantasmagorie, derrière le spectre s'était avancé un gnome, c'est-à-dire un être bizarre, aussi grotesque que le premier était imposant, quelque chose entre l'homme et le singe, un corps sans jambes, ou des jambes sans corps, avec une tête énorme, sans proportions avec le reste de sa structure.

      Cette chose avait jailli d'un perron sur les traces du noir promeneur, et s'était attachée à lui, en roulant comme une boule, en rampant comme un lézard, toujours dans les ombres les plus opaques de la cour, de manière à n'être pas même visible pour l'œil du fantôme.

      Lorsque le premier s'était approché de l'arcade de Charles V, le second avait hâté sa poursuite, et déjà il étendait sa main crochue pour saisir le pan de son manteau; mais fantôme et manteau s'évanouissaient à sa vue, comme ces visions de nos rêves qui échappent à notre toucher, et ce prodige arrachait au nain une exclamation de colère et d'effroi.

      Cet observateur


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