Les Mystères du Louvre. Féré Octave

Les Mystères du Louvre - Féré Octave


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suffit, messire, dit la régente, nous y songerons.

      – Bien parlé! s'écria le bouffon en agitant sa marotte et en regardant le grand pénitencier d'un air narquois, c'est le fait des gens sages de réfléchir avant de conclure.

      On sait que Louise de Savoie avait passé pour être entachée des idées de réforme qui remuaient l'ancien monde chrétien. Le clergé la craignait, mais ne l'aimait pas.

      Messire Loys Chantereau ne pouvant s'en prendre à elle, allait faire éclater sa colère sur le bouffon, et celui-ci, pressentant la bourrasque, s'était déjà blotti sous une draperie, au coin d'un dressoir.

      Un autre incident détourna la semonce.

      Deux huissiers soulevaient les tentures, faisant place à une femme qui s'avançait lentement et gravement vers la régente.

      A son entrée, tous se levèrent; tous s'inclinèrent sur son passage.

      Elle marchait d'une allure de reine, drapée dans de longs vêtements de deuil; et cette sombre parure, sans nuire à sa merveilleuse beauté, faisait ressortir la pâleur mate de ses traits, et le cercle bleuâtre que les larmes ou l'insomnie avaient tracé sous ses yeux.

      Elle gravit les degrés du trône et échangea un baiser avec la régente.

      Cette femme si belle, si digne et si triste, c'était Marguerite de Valois, la sœur du roi prisonnier, la veuve du connétable Charles d'Alençon, mort tout récemment, et dont elle portait le deuil. Elle venait d'atteindre la trentaine, l'âge où les femmes sont dans leur épanouissement, et n'avait jamais paru plus jeune.

      Tandis que chacun se courbait jusqu'à terre en sa présence, le bouffon, hissé sur la pointe des pieds, suivait d'un regard étrangement attentif le moindre de ses mouvements, et de ses doigts crispés se retenait aux draperies qui le dérobaient à tous les yeux.

      II

      BAISER DE JUDAS

      La régente, avant de rendre le baiser qu'elle venait de recevoir, plongea son regard perçant jusqu'au fond du regard mélancolique de la princesse.

      – Eh bien, chère fille, lui dit-elle, de façon à n'être entendue que d'elle seule, la consolation n'arrive donc pas?..

      Marguerite, embarrassée de ce coup d'œil investigateur dont elle connaissait la puissance divinatoire, se détourna pour l'éviter, et se borna, pour réponse, à pousser un profond soupir.

      Puis elle salua les assistants avec une douce gravité, et sa vue ayant rencontré le visage ami d'Hélène de Tournon, elle lui envoya de la main un geste particulièrement aimable.

      Elle s'assit ensuite sur le siège le plus rapproché de sa mère, et remarquant le silence qui régnait depuis son entrée:

      – Que je n'interrompe pas les entretiens, dit-elle; messires, mesdames, de quoi parliez-vous donc?

      – Une histoire singulière, invraisemblable, que l'on nous racontait, répondit quelqu'un.

      – Invraisemblable! Oh! mais alors, que l'on m'en fasse part bien vite, répliqua-t-elle en s'efforçant de dominer les préoccupations qui perçaient sur ses traits alanguis. Et qui faisait ce récit?

      – Le maître fou de Sa Majesté, Triboulet…

      Un mépris indicible succéda soudain à son sourire un peu forcé.

      – Triboulet!.. prononça-t-elle avec dégoût; oh! de grâce, alors, n'en parlons plus.

      A ce témoignage de dédain, le fou d'office, qui observait tout et entendait tout, sans être vu, devint affreusement livide.

      Marguerite de Valois, cette femme si séduisante et si attristée aujourd'hui, était naguère l'âme, le génie inspirateur, la verve de ces réunions. Son gracieux esprit allumait la saillie de tous les autres. La poésie parlait dans ses moindres discours. Par elle, la cour se transformait en un temple des Muses. Elle était l'astre autour duquel les poètes venaient brûler leur encens et ranimer leur souffle. Entre eux et elle, c'était un échange constant de gracieusetés et de largesses.

      Poète elle-même, elle écrivait aussi facilement en vers qu'en prose, et sans parler ici de ses œuvres que tout le monde connaît, elle répondait un jour à Clément Marot, qui l'informait en un dizain des ennuis que lui causaient certains créanciers… car les poètes paraissent en avoir toujours eu:

      Si ceux à qui devez, comme vous dites,

      Vous cognoissois comme je vous cognois,

      Quitte seriez des debtes que vous fîtes

      Au temps passé, tant grandes que petites,

      En leur payant un dizain toutefois,

      Tel que le vôtre, qui vaut mieux mille fois

      Que l'argent deu par vous en conscience;

      Car estimer on peult l'argent au pois,

      Mais on ce peult (et j'en donne ma voix)

      Assez priser votre belle science.

      Une bourse pleine d'or accompagnait les vers, et le poète reconnaissant s'écriait: «Cette Marguerite surpasse en valeur les perles d'Orient.» Clément Marot était latiniste, et se souvenait que Margarita et pierre précieuse, c'est tout un.

      Elle mérita d'être célébrée sur tous les tons, et les chroniqueurs, nous léguant son portrait, nous apprennent qu'elle joignait un esprit mâle à une bonté compatissante, et des lumières très étendues à tous les agréments de son sexe. Douce sans faiblesse, magnifique sans vanité, elle possédait une remarquable aptitude pour les affaires, sans négliger les amusements du monde. Sa passion pour les arts et les études couronnait tant d'éminentes qualités.

      Cependant elle nous apparaît en ce moment, dans cette réunion officielle, pensive et soucieuse, en proie à un mal mystérieux, dont sa mère et les courtisans cherchent en vain à pénétrer les causes.

      Ils en trouvent beaucoup, sans doute… Les événements, l'absence cruelle du roi, les douleurs d'un récent veuvage, la disparition des lettrés et des artistes qui égayaient et occupaient sa vie; mais, de tous ces motifs, quel est le vrai, et tous réunis, justifient-ils un marasme si grand?..

      Le chevalier de Brissac allait ranimer pour elle la conversation; mais la voix sonore du chef des huissiers arrêta la parole sur ses lèvres, en jetant à l'assemblée cette annonce imposante:

      – Messire Antoine Duprat, grand chancelier!..

      Antoine Duprat, premier ministre de François Ier, était l'homme le plus considérable de la cour. Nous avons dit un mot déjà de son caractère et de ses tendances.

      Il traversa la salle, le front arrogant, sans laisser tomber un signe d'attention sur les courtisans courbés à son passage, et s'avança jusqu'à la régente, à laquelle il adressa un salut cérémonieux, en baisant la main qu'elle lui tendait.

      Il balbutia un mot d'excuse ou d'explication sur l'ennui des affaires, qui ne lui avait pas permis de venir plus tôt, et se tourna vers la princesse Marguerite.

      Duprat avait passé l'âge de la jeunesse; c'était cependant un homme encore plein de vigueur, et qui ne révélait rien des approches de la vieillesse, ni sur ses traits, ni dans sa démarche. Ses cheveux noirs épais, sa barbe soignée où se mêlaient à peine quelques filets d'argent, encadraient un visage qui ne manquait pas de régularité, mais auquel faisait défaut une qualité supérieure à toute la beauté possible, la sympathie. Ses traits étaient durs, son œil distillait la duplicité.

      Le regard que la régente et lui avaient échangé, dans leur salutation, était froid et cérémonieux; quiconque même eût bien observé les détails de cette réciprocité de politesse, eût vu les doigts de Louise de Savoie se recourber nerveusement sous les lèvres du ministre. Il y avait dans ce geste involontaire quelque chose de la sensitive crispée par un contact répulsif.

      Mais il est vrai de dire qu'en apercevant Marguerite près du trône, la physionomie


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