Le Bossu Volume 2. Féval Paul

Le Bossu Volume 2 - Féval Paul


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la brune… Ah! ah! j'ai prêté ma mandoline à plus d'un grand d'Espagne! Beau pays! se reprit-elle les larmes aux yeux, – pays des parfums et des sérénades! Ici, l'ombre de vos arbres est froide et fait frissonner.

      Sa tête se pencha sur sa main. Gonzague la laissait dire et semblait songer.

      – Vous souvenez-vous? dit-elle tout à coup; – c'était un soir… J'avais dansé plus tard que de coutume… Au détour de la rue sombre qui monte à l'Assomption, je vous vis soudain près de moi… j'eus peur et j'eus espoir. Quand vous parlâtes, votre voix grave et douce me serra le cœur; mais je ne songeai point à m'enfuir… Vous me dites en vous plaçant devant moi pour me barrer le passage:

      « – Comment vous appelez-vous, enfant?

      » – Santa-Cruz, répondis-je; on m'appelait Flor quand j'étais avec mes frères les gitanos de Grenade; mais les prêtres m'avaient donné avec le baptême le nom de Marie de la Sainte-Croix.

      » – Ah! me dîtes-vous, – vous êtes chrétienne?..» Peut-être ne vous souvenez-vous plus déjà de tout cela, monseigneur?

      – Si fait, dit Gonzague avec distraction; – je n'ai rien oublié.

      – Moi, reprit dona Cruz, dont la voix eut un tremblement, – je me souviendrai de cette heure-là toute ma vie… Je vous aimais déjà… Comment? Je ne sais… Par votre âge, vous pourriez être mon père… et où trouverais-je un amant plus beau, plus noble, plus brillant que vous?

      Elle dit cela sans rougir. – Elle ne savait pas ce que c'était que notre pudeur.

      Ce fut un baiser de père que Gonzague déposa sur son front.

      Dona Cruz laissa échapper un gros soupir.

      – Vous me dites, reprit-elle: «Tu es trop belle, ma fille, pour danser ainsi sur la place publique avec un tambour de basque et une ceinture de faux sequins… Viens avec moi.»

      Je me mis à vous suivre. Je n'avais déjà plus de volonté.

      En entrant dans votre demeure, je reconnus bien que c'était le propre palais d'Alberoni. On me dit que vous étiez l'ambassadeur secret du régent de France auprès de la cour de Madrid.

      Que m'importait cela? – Nous partîmes le lendemain. – Vous ne me donnâtes point place dans votre chaise.

      Oh! je ne vous ai jamais dit cela, monseigneur, car c'est à peine si je vous entrevois à de rares intervalles. Je suis seule, je suis triste, je suis abandonnée!

      Je fis cette longue route de Madrid à Paris, cette route sans fin, dans un carrosse à rideaux épais et toujours fermés, je la fis en pleurant, je la fis avec des regrets plein le cœur!.. Je sentais bien déjà que j'étais une exilée.

      Et combien de fois, combien de fois, sainte Vierge! durant ces heures silencieuses, n'ai-je pas regretté mes libres soirées, ma danse folle et mon rire perdu!..

      Gonzague ne l'écoutait plus: sa pensée était ailleurs.

      – Paris! Paris! s'écria-t-elle avec une pétulance qui le fit tressaillir; vous souvenez-vous quel tableau vous m'aviez fait de Paris?.. Paris, le paradis des belles filles!.. le rêve enchanté, la richesse inépuisable, le luxe éblouissant… un bonheur qui ne rassasie pas! une fête de toute la vie… Vous souvenez-vous comme vous m'aviez enivrée?..

      Elle prit la main de Gonzague et la tint entre les siennes.

      – Monseigneur, monseigneur, fit-elle plaintivement, j'ai vu de nos belles fleurs d'Espagne dans votre jardin… elles sont bien faibles, bien tristes… elles vont mourir… Voulez-vous donc me tuer, monseigneur?..

      Et, se redressant soudain pour rejeter en arrière l'opulente parure de ses cheveux, elle alluma un rapide éclair dans sa prunelle.

      – Écoutez, monseigneur, s'écria-t-elle, – je ne suis pas votre esclave; j'aime la foule, moi, la solitude m'effraye… j'aime le bruit; le silence me glace… il me faut la lumière, le mouvement, le plaisir surtout, le plaisir qui fait vivre… La gaieté m'attire, le rire m'enivre, les chansons me charment… L'or du vin de Rotta met des diamants dans mes yeux, et quand je ris je sens bien que je suis plus belle!

      – Charmante folle, murmura Gonzague avec une caresse tout paternelle.

      Dona Cruz retira ses mains:

      – Vous n'étiez pas ainsi à Madrid!.. fit-elle.

      Puis avec colère:

      – Vous avez raison, je suis folle… mais je veux devenir sage… je m'en irai…

      – Dona Cruz!.. fit le prince.

      Elle pleurait. – Il prit son mouchoir brodé pour essuyer doucement ses larmes.

      Sous ces larmes, qui n'avaient pas eu le temps de sécher, vint un fin sourire.

      – D'autres m'aimeront! dit-elle avec menace.

      Ce paradis, reprit-elle avec amertume. – C'était une prison!.. vous m'avez trompée, prince… Un merveilleux boudoir m'attendait dans un pavillon qui semble détaché d'un palais de fée… du marbre, des peintures délicieuses, des draperies de velours brodé d'or… de l'or aussi aux lambris, et des sculptures, des cristaux aux voûtes…

      Mais à l'entour, poursuivit-elle, des ombrages sombres et mouillés… des pelouses noires, où tombent une à une les pauvres feuilles, mortes de ce froid qui me glace…

      Des caméristes muettes, des valets discrets, des gardes du corps farouches… et pour majordôme, cet eunuque livide, ce Peyrolles…

      – Avez-vous à vous plaindre de M. de Peyrolles? demanda Gonzague.

      – Non… il est l'esclave de mes moindres désirs… il me parle avec douceur… avec respect même, et, chaque fois qu'il m'aborde, la plume de son feutre balaye la terre.

      – Eh bien?..

      – Vous raillez, monseigneur!.. ne savez-vous pas qu'il rive les verrous à ma porte, et qu'il joue près de moi le rôle d'un gardien de sérail?..

      – Vous exagérez tout, dona Cruz!..

      – Monseigneur, l'oiseau captif ne regarde même pas les dorures de sa cage… je me déplais chez vous… j'y suis prisonnière… ma patience est à bout… je vous somme de me rendre ma liberté!

      Gonzague se prit à sourire.

      – Pourquoi me cacher ainsi à tous les yeux? reprit-elle; – répondez, je le veux!

      Sa tête charmante se dressait impérieuse.

      Gonzague souriait toujours.

      – Vous ne m'aimez pas? poursuivit-elle en rougissant, non point de honte, mais de dépit; – puisque vous ne m'aimez pas, vous ne pouvez être jaloux de moi!..

      Gonzague lui prit la main et la porta à ses lèvres.

      Elle rougit davantage.

      – J'ai cru… murmura-t-elle en baissant les yeux, – vous m'avez dit une fois que vous n'étiez pas marié… A toutes mes questions sur ce sujet, ceux qui m'entourent répondent par le silence… J'ai cru… quand j'ai vu que vous me donniez des maîtres de toutes sortes… quand j'ai vu que vous me faisiez enseigner tout ce qui fait le charme des dames françaises… pourquoi ne le dirai-je pas?.. je me suis crue aimée!

      Elle s'arrêta pour glisser à la dérobée un regard vers Gonzague, dont les yeux exprimaient le plaisir et l'admiration.

      – Et je travaillais, continua-t-elle, – pour me rendre plus digne et meilleure… je travaillais avec courage, avec ardeur… rien ne me coûtait… Il me semblait qu'il n'y avait point d'obstacle assez fort pour entraver ma volonté…

      Vous souriez! s'écria-t-elle avec un véritable mouvement de fureur; – santa Virgen! ne souriez pas ainsi, prince, ou vous me rendriez folle!

      Elle se plaça devant lui, et, d'un ton qui n'admettait plus de faux fuyants:

      – Si vous ne m'aimez


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