Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV. Garneau François-Xavier
Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV
LIVRE TREIZIÈME
CHAPITRE I.
CONSTITUTION DE 91.
1792-1800
Etablissement d'un gouvernement représentatif. – Réunion de la législature. – Le parti anglais veut abolir l'usage de la langue française; vives discussions il ce sujet. – Les Canadiens l'emportent. – La discussion est renouvelée lors de la considération des règles pour la régie intérieure de la chambre. – Violens débats; discours de M. Bédard et autres. – Les anglificateurs sont encore défaits. – Travaux de la session; projets de loi pour les pauvres, les chemins et les écoles. – Biens des Jésuites. – Subsides. – Justice. – Prorogation des chambres; discours de sir Alured Clarck-Lord Dorchester. – Il convoque les chambres. – Organisation de la milice. – Comptes publics. – Judicature. – Suspension de la loi de l'habeas corpus. – Association générale pour le soutien du gouvernement. – Troisième session. – Revenus et dépenses. – Fixation des charges; rentes seigneuriales. – Voies publiques. – Monnaies. – Lord Dorchester remplacé par le général Prescott. – Session de 97. – Défection de MM. De Bonne et de Lotbinière. – Traité de commerce avec les Etats-Unis. – Emissaires français. – Les pouvoirs de l'exécutif sont rendus presque absolus; ses terreurs. – Exécution de M. Law. – Sessions de 98 et 99. – Amélioration du régime des prisons. – Impôts, revenus publics. – Querelles entre le gouverneur et son conseil au sujet de la régie des terres. – Il est rappelé avec le juge Osgoode. – Sir Robert Shore Milnes convoque les chambres en 1800. – Nouvelle allusion aux principes de la révolution française; motif de cette politique. – Proposition d'exclure le nommé Bouc de l'assemblée. – Le gouvernement s'empare des biens des Jésuites.
L'introduction du gouvernement représentatif forme l'une des époques les plus remarquables de notre histoire. La constitution de 91, telle qu'elle allait être mise en pratique, était loin d'être équitable, parfaite; mais la portion de liberté qu'elle introduisait suffisait pour donner l'essor à l'expression fidèle et énergique des besoins et des sentimens populaires. L'opinion longtemps comprimée se sentit soulagée en voyant enfin une voie toute restreinte qu'elle fut ouverte devant elle pour se faire connaître et se faire apprécier au-delà des mers.
Cette constitution cependant promettait beaucoup plus qu'elle ne devait tenir. L'un de ses vices essentiels, c'était de laisser deux des trois branches de la législature à la disposition du bureau colonial, qui allait par ce moyen se trouver armé de deux instrumens qu'il ferait mouvoir à sa volonté tout en paraissant n'en faire mouvoir qu'un seul. Ce défaut capital qui n'était encore aperçu que du petit nombre d'hommes expérimentés dans les affaires publiques, leur fit présager la chute du nouveau système dans un avenir plus ou moins éloigné. La masse du peuple toujours plus lente à soupçonner les motifs, les arrière-pensées, les injustices, crut d'après les paroles de Pitt, que le Bas-Canada serait à eux, que la législation, en tant qu'elle ne serait pas incompatible avec l'intérêt et la suprématie de l'Angleterre, serait fondée sur ses sentimens et sur ses intérêts, qu'elle serait en un mot l'expression de la majorité des habitans. Vaine illusion! Outre l'intérêt canadien, outre l'intérêt métropolitain, il y avait déjà ce que lord Stanley a depuis qualifié «l'intérêt britannique» ou l'intérêt de la portion anglaise de la population, qui ne comptait alors que quelques centaines d'âmes dispersées dans les villes et dans les arrondissemens situés sur les limites orientales du Canada, le long des Etats de New Hampshire, du Massachusetts et du Maine. La plupart étaient d'origine allemande ou hollandaise. 1 Ils étaient venus s'établir en Canada pendant la révolution américaine qu'ils fuyaient. La métropole en se réservant la nomination du conseil législatif, s'était conservé le moyen de donner à cette petite population un pouvoir égal à celui du reste des habitans et ainsi de nullifier la majorité ou en d'autres termes de gouverner les uns par les autres.
Note 1:(retour) A short view of the present state of the Eastern townships etc., by the Honble. and Revd. Chs. Stewart A. M. minister of St. Armand Lower Canada and Champlain to the Lord Bishop of Québec, 1815.
Dans la nouvelle constitution, le roi ou plutôt le bureau colonial, car le bureau colonial seul en Angleterre connaissait ce qui se passait en Canada, formait une branche; le conseil législatif la seconde, mais comme il était à la nomination de la couronne, il devait être nécessairement la créature de l'exécutif, composé d'hommes dévoués à toutes ses volontés, en possession de toutes ses sympathies et toujours prêts à lui servir de bouclier contre les représentans du peuple.
Telle fut dès le début la mise en pratique de l'acte de 91. La division du Canada en deux parties pour assurer à ses anciens habitans leurs usages et leur nationalité, suivant l'intention de Pitt, manqua son but et ne donna réellement la prépondérance à personne. Quant au conseil exécutif lui-même, qui devait être l'image du ministère en Angleterre, il ne fut qu'un instrument servile entre les mains des gouverneurs, et ce fut là ce qui amena plus tard la ruine de la nouvelle constitution. En effet, qui allait conserver l'harmonie entre les deux chambres, si le bureau colonial ne le voulait pas? Tout dépendait de cette volonté, puis qu'elle était maîtresse du conseil exécutif et du conseil législatif dont elle avait la nomination.
Les membres du conseil exécutif choisis parmi les anciens habitans y furent toujours en petit nombre, excepté à son origine, où les Canadiens se trouvèrent quelque temps, comme dans le conseil législatif, dans la proportion de 4 sur 8. Mais plus tard l'on garda les plus obéissans et l'on repoussa les autres, car dès 99 ce conseil ne contenait plus que six Canadiens sur quinze membres.
Sir Alured Clarke fixa les élections pour le mois de juin et la réunion des chambres pour le mois de décembre.
Après toutes les tentatives du parti anglais depuis 64 pour les faire proscrire, l'on aurait pu croire que les Canadiens, le coeur encore ulcéré de l'exclusion dont on avait voulu les frapper, eussent refusé leurs suffrages à tous les candidats connus pour lui appartenir. Il n'en fut rien cependant à l'étonnement de beaucoup de monde. Deux choses contribuèrent à cette conduite; d'abord le peuple en général ignorait une partie des intrigues des Anglais qui avaient soin de se tenir dans l'ombre de ce côté-ci de l'Océan, ou de dissimuler leur conduite par des explications trompeuses, chose facile à faire à une époque où les journaux ne contenaient aucune discussion politique sur les événemens du jour; en second lieu, ils jugèrent, non sans raison, que ceux qui avaient été élevés au milieu d'un pays en possession depuis longtemps d'institutions dont ils allaient faire l'essai, devaient posséder une expérience utile au bon fonctionnement de la nouvelle constitution, et ils les choisirent partout où ils se présentaient sans exiger d'autre garantie que leurs déclarations verbales.
Les Anglais qui connaissaient tout le prix de l'instrument qu'on mettait ainsi à leur disposition, montrèrent la plus grande activité et une audace qui doit nous étonner aujourd'hui. C'était un spectacle nouveau que de voir le peuple assemblé pour se choisir des représentans; mais c'en était un qui l'était encore plus que de voir tous les Anglais tant soit peu respectables de Montréal et de Québec courir partout solliciter les suffrages de cette race dont ils avaient demandé l'anéantissement politique avec tant d'ardeur et tant de persévérance, et les obtenir pour la plupart en opposition à ses propres enfans. Seize Anglais sur cinquante membres furent élus, lorsque pas un seul ne l'eut été si les électeurs eussent montré le même esprit d'exclusion que les pétitionnaires de 73 et les électeurs anglais d'aujourd'hui. C'était une grande hardiesse de la part du peuple que de hasarder ainsi les intérêts de sa nationalité en mettant sa cause entre les mains de ses ennemis les plus acharnés; mais les anciens gouverneurs ne l'avaient rendu ni défiant ni vindicatif; le vote sur l'usage de la langue française qui eut lieu à l'ouverture de la session, put seul réveiller des soupçons dans son coeur naturellement honnête et confiant, et lui montrer le danger de sa facile générosité.
Les chambres se réunirent le 17 décembre dans le palais épiscopal occupé par le gouvernement depuis la conquête. Lorsqu'elles eurent prêté serment, le gouverneur assis sur un trône et entouré d'une suite nombreuse, requit les communes de se choisir un président et de le présenter le jeudi suivant à son approbation.
Ce choix fit connaître