Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV. Garneau François-Xavier

Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome IV - Garneau François-Xavier


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que notre langue? De pareils discours ne seront jamais crus: ils profanent la majesté du trône, ils le dépouillent du plus beau de ses attributs, ils le privent d'un droit sacré, du droit de rendre justice! Non, M. le président, ce n'est point ainsi qu'il faut peindre notre roi; ce monarque équitable saura comprendre tous ses sujets, et en quelque langue que nos hommages et nos voeux lui soient portés, quand nos voix respectueuses frapperont le pied de son trône, il penchera vers nous une oreille favorable et il nous entendra quand nous lui parlerons français. D'ailleurs, monsieur, cette langue ne peut que lui être agréable dans la bouche de ses nouveaux sujets, puisqu'elle lui rappelle la gloire de son empire et qu'elle lui prouve d'une manière forte et puissante, que les peuples de ce vaste continent sont attachés à leur prince, qu'ils lui sont fidèles, et qu'ils sont anglais par le coeur avant même d'en savoir prononcer un seul mot.

      Ce que je viens de dire du meilleur des rois, rejaillit sur les autres branches de la législature britannique. Ce parlement auguste ne peut-être représenté sous des couleurs défavorables, puisqu'il nous a donné des marques de sa libéralité et de ses intentions bienfaisantes. Le statut de la 14e année de sa Majesté est une preuve de ce que j'avance; notre religion nous y est conservée, nos lois de propriété nous y sont assurées, et nous devons jouir de tous nos droits de citoyens d'une manière aussi ample, aussi étendue et aussi avantageuse, que si aucune proclamation, ordonnance, commission ni autre acte public n'avaient été faits. Après une loi aussi solennelle qui n'a pas été révoquée, peut-on croire que le parlement voulût retirer ce qu'il nous a si généreusement accordé; peut-on croire qu'en nous assurant tous nos droits de citoyens, qu'en nous conservant toutes nos lois de propriété, dont le texte est français, il refuserait de nous entendre quand nous lui parlerons dans cette langue, qu'il refuserait de prendre connaissance des actes que nous lui présenterons sur un texte qu'il nous a conservé; cela ne peut-être. Nous voyons une continuation de la bienveillance de ce parlement auguste dans l'acte de la 31e année de sa Majesté. Pourquoi la division de la province? pourquoi cette séparation du Haut et du Bas-Canada? Si nous lisons les débats de la chambre des communes lors de la passation de ce bill, nous en connaîtrons les raisons, c'est pour que les Canadiens aient le droit de faire leurs lois dans leur langue et suivant leurs usages, leurs préjugés et la situation actuelle de leur pays.

      Est-il dit par cet acte de la 31e année de sa Majesté que nos lois seront uniquement faites en anglais? Non, et aucune raison ne le donne même à l'entendre: pourquoi donc vouloir introduire un procédé qui ne peut-être admissible en ce moment? pourquoi regarder comme indispensable, une chose dont il n'est pas même fait mention dans l'acte constitutionnel? Croyons, M. le président, que si l'intention du parlement britannique avait été d'introduire la seule langue anglaise dans notre législature, il en aurait fait une mention expresse, et que dans sa sagesse il aurait trouvé des moyens pour y parvenir; croyons, monsieur, et soyons bien convaincus, qu'il n'en aurait employé que de doux, de justes et d'équitables. C'est donc à nous à imiter sa prudence et à attendre ce beau jour dont nous n'apercevons que l'aurore… La seconde raison, qui est d'assimiler et d'attacher plus promptement les Canadiens à la mère-patrie, devrait faire passer par dessus toute espèce de considérations, si nous n'étions pas certains de la fidélité du peuple de cette province; mais rendons justice à sa conduite de tous les temps, et surtout rappelions-nous l'année 1775. Ces Canadiens qui ne parlaient que français, ont montré leur attachement à leur souverain de la manière la moins équivoque. Ils ont aidé à défendre toute cette province. Cette ville, ces murailles, cette chambre même où j'ai l'honneur de faire entendre ma voix, ont été en partie sauvées par leur zèle et par leur courage. On les a vus se joindre aux fidèles sujets de sa Majesté, et repousser les attaques que des gens qui parlaient bien bon anglais faisaient sur cette ville. Ce n'est donc pas, M. le président, l'uniformité du langage qui rend les peuples plus fidèles ni plus unis entre eux. Pour nous en convaincre, voyons la France en ce moment et jetons les yeux sur tous les royaumes de l'Europe…

      Non, je le répète encore, ce n'est point l'uniformité du langage qui maintient et assure la fidélité d'un peuple; c'est la certitude de son bonheur actuel, et le nôtre en est parfaitement convaincu. Il sait qu'il a un bon roi et le meilleur des rois! il sait qu'il est sous un gouvernement juste et libéral; il sait enfin, qu'il ne pourrait que perdre beaucoup dans un changement ou une révolution, et il sera toujours prêt à s'y opposer avec vigueur et courage.»

      M. Taschereau parla dans le même sens que M. de Lotbinière et avec beaucoup d'à-propos. Il dit qu'il avait été opposé à une chambre d'assemblée en 88 parce qu'il craignait pour la sûreté des droits Canadiens; mais que les craintes qu'il avait alors avaient disparu depuis qu'il voyait que le pays avait su se choisir une représentation qui assurait la tranquillité de tout le monde. Je me suis levé, ajouta-t-il, armé non-seulement de l'acte de 74, mais aussi de celui de 91 dont les Canadiens qu'on a si souvent peints avec des couleurs désavantageuses, sauront faire usage au grand étonnement de quelques individus, mais à la satisfaction de la Grande-Bretagne. Passant ensuite rapidement sur l'objet de la discussion, il termina par ces paroles qui ne pouvaient être réfutées:

      «Mais l'on a dit et l'on dira encore, le conseil législatif, son excellence le lieutenant gouverneur, ces deux premières puissances qui doivent concourir avec nous, ne recevront pas nos bills en fiançais; oui, monsieur, ils les recevront, cet acte de la 31e année m'en assure, et pour l'interpréter dans son vrai sens et dans toute sa force, je demanderai si la représentation est libre? personne me dit que non; étant libre, il pouvait donc se faire que 50 membres qui comme moi, n'entendent point l'anglais, auraient composé cette chambre; auraient-ils pu faire des lois en langue anglaise? non, assurément. Eh bien! ç'aurait donc été une impossibilité et une impossibilité ne peut exister. Je demanderai actuellement si pour cela cet acte de la 31e année qui nous constitue libres, pourrait être annulé et anéanti; non certainement, rien ne peut empêcher son effet, et cet acte commande aux premières puissances de la législation de concourir avec nous; et notre confiance en leur justice est telle, que nous sommes persuadés qu'elles le feront de manière à répondre aux intentions bienfaisantes de sa Majesté et de son parlement, qui ne nous restreignent point à la dure nécessité de statuer, en ce moment, nos lois dans une langue que nous n'entendons point.»

      «D'ailleurs, observa un autre membre, M. de Rocheblave, quelles circonstances choisit-on pour nous faire adopter un changement également dangereux pour la métropole et pour la province? Ignore-t-on que nous avons besoin de toute la confiance du peuple pour l'engager à attendre avec patience que nous trouvions des remèdes aux maux et aux abus dont il a à se plaindre? Ne peut-on pas voir qu'il est dangereux pour la Grande-Bretagne même à la quelle nous sommes liés par reconnaissance et par intérêt, de détruire les autres barrières qui nous séparent de nos voisins; que tout espoir et toute confiance de la part du peuple dans ses représentans sont perdus si nous n'avons qu'un accroissement de privation à lui offrir pour résultat de nos travaux?

Eh! de quoi pourraient se plaindra quelques-uns de nos frères anglais en nous voyant décidés à conserver avec nos lois, usages et coutumes, notre langue maternelle, seul moyen qui nous reste pour défendre nos propriétés? Le stérile honneur de voir dominer leur langue pourrait-il les porter à faire perdre leur force et leur énergie à ces mêmes lois, usages et coutumes qui font la sécurité de leur propre fortune? Maîtres sans concurrence du commerce qui leur livre nos productions, n'ont-ils pas infiniment à perdra dans le bouleversement générai qui en serait la suite infaillible, et n'est-ce pas leur rendre le plus grand service que de s'y opposer? 3

Note 3:(retour) Gazette de Montréal, 14 février 1793.

Ces discussions agitaient profondément les Canadiens. En effet l'abandon de la langue maternelle n'est pas dans la nature de l'homme, dit un savant 4; elle ne tombe qu'avec lui, si même elle ne lui survit pas. Comme cela devait être, tout l'avantage de la discussion resta à ceux qui repoussaient l'oppression, et comme la première fois la division sur l'amendement de Grant, montra tous les Anglais pour et tous les Canadiens contre, excepté toujours M. P. L. Panet. L'amendement fut repoussé par les deux tiers de la chambre. Plusieurs autres dans le même sens furent encore proposés par MM. Lees, Richardson et les orateurs les plus remarquables


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