Émaux et Camées. Gautier Théophile
le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière;
Voici la beauté dans l'amour!
Sa tête penche et se renverse;
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.
Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.
D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté:
L'extase l'a prise à la terre;
Elle est morte de volupté!
Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps!
Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux.
ETUDE DE MAINS
Chez un sculpteur, moulée en plâtre,
J'ai vu l'autre jour une main
D'Aspasie ou de Cléopâtre,
Pur fragment d'un chef-d'œuvre humain;
Sous le baiser neigeux saisie
Comme un lis par l'aube argenté,
Comme une blanche poésie
S'épanouissait sa beauté,
Dans l'éclat de sa pâleur mate
Elle étalait sur le velours
Son élégance délicate
Et ses doigts fins aux anneaux lourds.
Une cambrure florentine,
Avec un bel air de fierté,
Faisait, en ligne serpentine,
Onduler son pouce écarté.
A-t-elle joué dans les boucles
Des cheveux lustrés de don Juan,
Ou sur son caftan d'escarboucles
Peigné la barbe du sultan,
Et tenu, courtisane ou reine,
Entre ses doigts si bien sculptés,
Le sceptre de la souveraine
Ou le sceptre des voluptés?
Elle a dû, nerveuse et mignonne,
Souvent s'appuyer sur le col
Et sur la croupe de lionne
De sa chimère prise au vol.
Impériales fantaisies,
Amour des somptuosités;
Voluptueuses frénésies,
Rêves d'impossibilités,
Romans extravagants, poèmes
De haschisch et de vin du Rhin,
Courses folles dans les bohèmes
Sur le dos des coursiers sans frein;
On voit tout cela dans les lignes
De cette paume, livre blanc
Où Vénus a tracé des signes
Que l'amour ne lit qu'en tremblant.
Pour contraste, la main coupée
De Lacenaire l'assassin,
Dans des baumes puissants trempée
Posait auprès, sur un coussin
Curiosité dépravée!
J'ai touché, malgré mes dégoûts,
Du supplice encore mal lavée,
Cette chair froide au duvet roux.
Momifiée et toute jaune
Comme la main d'un pharaon,
Elle allonge ses doigts de faune
Crispés par la tentation.
Un prurit d'or et de chair vive
Semble titiller de ses doigts
L'immobilité convulsive,
Et les tordre comme autrefois.
Tous les vices avec leurs griffes
Ont, dans les plis de cette peau,
Tracé d'affreux hiéroglyphes,
Lus couramment par le bourreau.
On y voit les œuvres mauvaises
Écrites en fauves sillons,
Et les brûlures des fournaises
Où bouillent les corruptions;
Les débauches dans les Caprées
Des tripots et des lupanars,
De vin et de sang diaprées,
Comme l'ennui des vieux Césars!
En même temps molle et féroce,
Sa forme a pour l'observateur
Je ne sais quelle grâce atroce,
La grâce du gladiateur!
Criminelle aristocratie,
Par la varlope ou le marteau
Sa pulpe n'est pas endurcie,
Car son outil fut un couteau.
Saints calus du travail honnête,
On y cherche en vain votre sceau.
Vrai meurtrier et faux poète,
Il fut le Manfred du ruisseau!
VARIATIONS SUR LE CARNAVAL DE VENISE
Il est un vieil air populaire
Par tous les violons raclé,
Aux abois des chiens en colère
Par tous les orgues nasillé.
Les tabatières à musique
L'ont sur leur répertoire inscrit;
Pour les serins il est classique,
Et ma grand'mère, enfant, l'apprit.
Sur cet air, pistons, clarinettes,
Dans les bals aux poudreux berceaux,
Font sauter commis et grisettes,
Et de leurs nids fuir les oiseaux.
La guinguette, sous sa tonnelle
De houblon et de chèvrefeuil,
Fête, en braillant la ritournelle,
Le gai dimanche et l'argenteuil.
L'aveugle au basson qui pleurniche
L'écorche en se trompant de doigts,
La sébile aux dents, son caniche
Près de lui le grogne à mi-voix.
Et les petites guitaristes,
Maigres sous leurs minces tartans,
Le glapissent de leurs voix tristes
Aux tables des cafés chantants.
Paganini, le fantastique,
Un soir, comme avec un crochet,
A