Mariages d'aventure. Emile Gaboriau

Mariages d'aventure - Emile Gaboriau


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de condoléance; au cercle, des poignées de main de consolation.

      Son irritation s’accroissait d’autant, il n’était pas loin de croire que Pascal avait commis un crime. Il rentrait chez lui plus furieux que jamais, et, faute de mieux, il s’en prenait à sa femme dont la faiblesse maternelle, aveugle et imprudente, comme on sait, avait causé tout le mal.

      Cependant, à force d’envisager la situation, de l’étudier, M. Divorne finit par se persuader que le mal n’était pas irréparable.

      Il songeait sérieusement à écrire au ministre de l’intérieur, à faire le voyage de Paris pour solliciter une audience, lorsque Pascal, un beau soir, tomba comme une bombe dans la maison paternelle. Il arrivait par la voiture qui fait le service entre Rennes et Brest.

      Certes, on ne l’attendait guère! Josette, la vieille bonne, qui était allée ouvrir en grondant contre l’impertinent qui se permettait de sonner si fort à pareille heure, faillit tomber à la renverse en reconnaissant son jeune maître. Car elle le reconnut du premier coup, ainsi qu’elle s’en vantait plus tard, bien qu’il fût terriblement changé, et «grandi et renforci,» depuis trois ans passés qu’elle ne l’avait vu.

      Elle poussa un cri de joie, de surprise, et, lâchant la chandelle, s’élança dans les escaliers en appelant à elle tout le monde, comme si le feu eût été à la maison.

      Pascal, pendant ce temps, avait fermé la porte et s’avançait à tâtons.

      – C’est moi, criait-il en riant, c’est moi, n’ayez pas peur.

      Aux cris perçants de Josette, la porte du salon s’était ouverte.

      – Eh bien! qu’est-ce, qu’est-ce donc? demandait l’avoué surpris de ce désordre.

      Josette, tout émue, n’était pas près de recouvrer la parole. Mais déjà madame Divorne avait reconnu la voix de son fils et se précipitait à sa rencontre. Et l’avoué répétait encore: «Qu’est-ce, qu’est-ce?» que déjà Pascal était dans les bras de sa mère qui pleurait de bonheur, tout en le serrant à l’étouffer sur son cœur.

      Par lui, par ce fils chéri, elle avait bien souffert depuis quinze jours; mais sa présence seule était une justification complète, une compensation plus que suffisante. Il parut, et tout fut pardonné, ou plutôt oublié.

      Quant à M. Divorne, il crut de sa dignité de rester impassible. Pouvait-il faire moins pour le principe d’autorité paternelle? Il réussit, ma foi, à dominer son émotion, non sans peine, non sans une légère grimace qui dissimulait une larme. Mais enfin il demeura convenablement froid et sévère, et sa figure exprima le mécontentement, même en embrassant ce fils, autrefois sa joie et son orgueil.

      Par exemple, c’est tout ce qu’il put prendre sur lui. A l’étreinte de son fils, il sentit que sa colère se fondait comme les neiges aux brises d’avril. L’attendrissement le gagnait. «Il ne voulut pas donner sa faiblesse en spectacle,» et, prétextant une affaire urgente, – une affaire urgente à Lannion, à neuf heures du soir! – il sortit précipitamment, en se mouchant plus fort que de raison.

      L’enfant prodigue était revenu, et le père, comme celui de l’Ecriture, n’avait pas ordonné de tuer le veau gras pour fêter le retour. Il est vrai que le père de l’Ecriture n’était pas un avoué au tribunal de première instance.

      Pascal resta donc seul avec sa mère. Il fallait s’occuper de faire souper le voyageur.

      Il avait l’appétit d’un homme qui depuis deux jours vit d’à-comptes dérobés à la hâte aux buffets des chemins de fer, c’est-à-dire que, n’ayant pas voulu s’étouffer, il mourait de faim. Josette s’empressait de dresser la table devant la cheminée. Elle allait, venait, du salon à la cuisine, de la cuisine au salon, perdant la tête, faisant dix tours pour un; de temps à autre elle essuyait une larme ou cassait une assiette, preuves manifestes de son émotion.

      Madame Divorne s’était assise vis-à-vis de son fils qui dévorait. Elle était en extase, elle l’admirait, elle eût voulu pouvoir rester ainsi des années. Mais une explication était imminente entre Pascal et son père, cette explication pouvait être orageuse. Ne fallait-il pas prévenir Pascal, obtenir de lui quelque concession? Elle voulait s’interposer, au risque d’attirer sur elle le poids de deux colères.

      – Ton père est bien irrité, méchant enfant, dit-elle; tu nous donnes, tu lui donnes du moins bien des tourments.

      – Mais non, chère mère, je t’assure; va, sois tranquille, ce ne sera rien.

      – Au moins fallait-il le prévenir, lui demander conseil.

      – Certain d’avance d’un refus! Quelle folie! j’aurais passé outre: juge alors.

      – Au moins promets-moi d’être raisonnable s’il te gronde, de ne pas te mettre en colère.

      – Je te le promets; mais tu verras comme j’ai eu raison.

      – Ah! je le souhaite, murmura tristement madame Divorne.

      Pascal l’embrassa, et sa cause fut gagnée. Désormais elle était prête à se ranger du côté de son fils, sûre qu’il ne pouvait avoir tort.

      Voilà pourtant comme toutes les mères sont difficiles à convaincre! Ah! elles ne se paient pas de mauvaises raisons!

      Il paraît que l’avoué ne recouvra pas son courage en route. Lorsqu’il revint, l’affaire urgente terminée, sa figure était loin d’avoir gagné en sévérité. Il ne fut question de rien. Il causa fort amicalement avec son fils. Il rit, plaisanta, mais de la démission, pas un mot.

      Il n’en fut pas question davantage le lendemain, ni les jours suivants. Dieu sait pourtant qu’on ne se faisait pas faute de lui demander partout où il paraissait:

      – Votre fils est donc ici? Eh bien?..

      Le bruit de ce retour s’était en effet répandu très vite. On avait vu le facteur entrer chez l’avoué avec une malle et un carton à chapeau: les visites assiégèrent la maison. Mais madame Divorne défendit sa porte. Elle s’est fait ce jour-là des ennemis qui ne lui ont pas encore pardonné.

      Une fois, Pascal s’avisa de sortir. Il n’avait pas fait cent pas dans la rue que cinq personnes déjà, dont deux qu’il ne connaissait guère et une qu’il ne connaissait pas du tout, étaient venues lui serrer la main et lui demander hypocritement des nouvelles de l’École des ponts et chaussées.

      Il rentra tout courant, maudissant ses compatriotes, et se jurant bien de ne plus mettre le nez dehors.

      Les jours se passaient, et M. Divorne semblait avoir complétement oublié ses griefs contre son fils. Vingt fois celui-ci, que cet état d’incertitude tourmentait, serait allé au-devant de l’explication qu’il était venu chercher; sa mère le retint toujours.

      – Attends, lui disait-elle. Je connais ton père, il est très long à prendre un parti. Il réfléchit depuis ton arrivée. Lorsque sa décision sera bien arrêtée, il t’en fera part, sois tranquille.

      Un matin, en effet, après déjeuner, lorsque la nappe fut ôtée, l’avoué, d’un air grave, pria son fils de lui prêter toute son attention.

      – Allons, pensa Pascal, le moment est venu.

      M. Divorne était prolixe d’ordinaire, on le lui reprochait au palais; mais jamais, comme en cette circonstance solennelle, il n’abusa du don précieux de la parole.

      L’exorde de son discours fut une sorte d’invocation à l’amour paternel. Qui mieux que lui en avait compris les devoirs? Il en faisait son fils juge: avait-il assez donné de preuves de son affection? Et quelle avait été sa récompense?

      Puis il passa à l’énumération des soucis sans nombre que donnent les enfants. Rien ne fut oublié, ni les inquiétudes de la première dentition, ni un voyage en poste à Paris, à une époque où Pascal avait été malade. Ce fut le premier point.

      Le second traita des sacrifices pécuniaires. Ce fut le plus long.


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