Diderot et le Curé de Montchauvet. Gasté Armand
mais aussi est-on bien content quand on a trouvé.
L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie, pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de Corneille, ne puis-je pas faire comme lui? – Sans aucun doute, monsieur l'abbé, s'écrièrent en chœur tous les convives. – Vils flatteurs, murmurait dans son coin le citoyen de Genève. – Ma théorie est bien simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.
– Balthazar, dit une voix.
– Balthazar, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots: Mané, Thécel, Pharès. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi:
Ier acte: Le roi soupera;
2e acte: Il ne soupera pas;
3e acte: Il soupera;
4e acte: Il ne soupera pas;
5e acte: Il soupera.
Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon plan:
Ier acte: Il ne soupera pas;
2e acte: Il soupera;
3e acte: Il ne soupera pas;
4e acte: Il soupera;
5e acte: Il ne soupera pas.
Voilà, messieurs, tout le mystère.
Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle, écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré le coton de ses oreilles pour mieux entendre7; mais, dès la première scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir. Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il:
Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis…
– Vive Dieu! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas Ventre Dieu? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit brusquement.
– Voilà, dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que Vive Dieu! est le serment des Hébreux.
Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la querelle du barbare Hanon…
A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient.
– Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de celui d'ânon, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres.
– Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque cessera.
– Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de ce personnage un Carthaginois?
Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes actions passées, elle dit:
Vous sûtes arracher Saül à ses furies,
Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,
Frémissait que David en eût dix mille occis.
– Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi occis? pourquoi pas tués?
– Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que tués ne rime pas à incirconcis; mais apparemment que vous imaginez que tué et occis sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas. On dit tous les jours: Cet homme me tue par ses discours, et l'on n'en est pas occis pour cela.
– J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être occis; mais je ne me soucierais pas même d'être tué.
Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots.
Arrivé à un passage où il faisait rimer angoisse et tristesse, Rousseau l'interrompit de nouveau:
– Angoisse et tristesse ne riment pas; vous êtes trop hardi, monsieur le curé.
– Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout.
– Dites étrange, monsieur le curé.
– Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la rime?
– J'ose le croire, monsieur le curé.
– On ne s'en douterait guère, et…
La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix.
– Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons.
Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente:
Le roi ne m'offre plus que d'innocentes charmes.
– Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, charme est du masculin.
– Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien, dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de contenter tout le monde.
Plus loin, il faisait rimer superflu et plus.
– Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.
– Ah! vraiment; et pourquoi cela?
– C'est que superflu, étant au singulier, n'a point d's, et par conséquent ne peut rimer avec plus.
Point d's, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le nez de Marmontel, point d's! Mais je vous prie de remarquer, monsieur, que j'en ai mis une8.
Et il continua intrépidement sa lecture.
On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se tournait de préférence.
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