Le chat de misère. Remy de Gourmont

Le chat de misère - Remy de Gourmont


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revenus. Il faut croire qu'il en est autrement, ou que l'héritage a été vendu, ou dilapidé, ou encore que Dickens vendait ses œuvres sans en réserver les droits futurs. Enfin, le fait semble exact, les petites-filles d'un écrivain anglais aux œuvres nombreuses et populaires sont dans une situation qui les oblige de recourir à leurs amis: cela surprend presque douloureusement l'opinion. On va sans doute à ce propos reparler sans ménagement de cette propriété à temps qu'est la propriété littéraire et se redemander si un droit ne devrait pas être prélevé, au profit des descendants des auteurs, sur la vente des livres anciens, comme sur celle des livres nouveaux. Il y eut, voici peu d'années, de nombreuses discussions à ce sujet, qui n'aboutirent qu'à de trop généreux projets. Généreux? Pour les héritiers, sans doute, mais pour le public. Se souvient-on de la phrase par laquelle débutent les Caractères de La Bruyère: «Je rends au public ce qu'il m'a prêté…»? On peut y trouver ce sens, que si la forme d'une œuvre de l'esprit appartient à celui qui l'ordonne, la matière est du domaine de tous et qu'elle doit un jour ou l'autre être rendue à tous. D'ailleurs, dans la plupart des cas la propriété de l'œuvre littéraire au bout d'un certain nombre d'années, a perdu toute espèce de valeur et l'extension de sa durée ne profiterait qu'à un très petit nombre de privilégiés. Tout de même, à bien réfléchir, on sent une injustice dans la loi actuelle. Sans doute, mais la question est de savoir si la transformation de la propriété temporaire en propriété perpétuelle ne serait pas d'une injustice plus grande encore.

      LA DANSEUSE NUE

      On a vu ici même hier que la danseuse, Adorée Villany, fut récemment poursuivie pour avoir dansé en public sans voile et que son procès ne put avoir lieu, la police n'ayant pu découvrir, parmi près de trois mille spectateurs, un seul plaignant. Cela s'est passé à Munich. Si je reviens sur cette histoire, c'est que je crois bon d'y ajouter quelques réflexions et d'appuyer un peu sur le désaccord qu'on y voit entre la morale officielle et courante et celle qui régit les groupes les plus intelligents de la société moderne. Il y a aujourd'hui, et il y eut peut-être toujours, même sous le règne du christianisme le plus sévère, quantité de gens auxquels il est impossible de faire comprendre qu'il est salutaire et moral de contempler une statue nue, mais malsain et immoral de regarder à l'état de nature le modèle de ladite statue. De plus, ils sont absolument convaincus, quoi qu'en pensent les extraordinaires moralistes, suscités peut-être par la corporation des tailleurs et chemisiers, que l'être humain vient au monde tout nu, que le nu est donc son état de nature, qu'il ne peut apparaître dans sa vraie beauté qu'à l'état de nu, et que le spectacle de la beauté étant réconfortant, il n'est rien de meilleur pour l'homme que la vue de soi-même à l'état de perfection, car je consens sans peine à ce qu'on ne dévoile que le nu parfait ou qui donne l'illusion du parfait. On comprenait encore cela il y a trois ou quatre siècles et, dans les fêtes solennelles, les magistrats commandaient aux plus belles femmes de bonne volonté de se montrer nues au peuple. Cela est rapporté, par exemple, dans le récit de l'entrée de Charles-Quint à Anvers. A la même époque il n'y avait pas encore à Paris de grandes fêtes sans l'exhibition de belles filles nues. Le Moyen Age, qui est, à bien des points de vue, spectacles, jeux, bains publics, le continuateur des mœurs antiques, ne professait nullement l'horreur du nu, et les hommes n'avaient pas encore l'hypocrisie de protester contre un spectacle que presque tous désirent dans leur cœur. Mais que les pudibonds le sachent bien, les mœurs à ce sujet sont en train de revenir aux vieux usages. A elle seule, l'anecdote de Munich le prouverait. Il y en eut de pareilles chez nous.

      LE COUP DE GRACE

      On contait hier cette histoire. Sur une route, collision entre une voiture et une automobile. Le cheval est massacré. On le roule vers un fossé, on envoie quérir l'équarisseur, et on attend. C'est loin, enfin il arrive. Mais alors on se ravise. Il faut que l'agent d'assurance constate l'état de la bête. L'équarisseur s'en retourne navré, non de n'avoir pas fait son métier, mais d'abandonner à sa souffrance le pauvre cheval, car cet équarisseur est une manière d'homme sensible. Enfin passe un monsieur encore plus sensible qui ne peut pas supporter ce spectacle et prend sur lui de faire achever la bête qui durait toujours et haletait toujours. L'équarisseur revient, donne le coup de grâce. Sans doute, si cela avait été un animal humain, on l'eût porté à l'hôpital; mais il n'aurait pas eu l'aumône du coup de grâce. Les chirurgiens seraient arrivés, auraient recreusé son corps, l'auraient recousu, retapé, prolongé, qui sait? peut-être remis en état de se faire traîner dans un petit chariot. Figurez-vous le réveil du monsieur qui s'aperçoit qu'il n'a plus de jambes, que son corps est scié au ras du ventre. Vaudrait-il pas mieux qu'il ne se réveillât pas du tout? C'est dans les souvenirs du baron Larrey, je crois, qu'on trouve l'histoire de ce malheureux dont un boulet avait emporté la moitié de la figure, toute la face avec les yeux, le nez, la bouche, la langue et qu'on réussit à faire vivre dix-sept jours! Il mourut de saisissement, en passant la main sur ce qui lui restait de tête. Cette humanité n'est que de la cruauté. La vie n'a aucune valeur en soi, et quand elle ne peut plus être qu'une souffrance de tous les instants, les hommes devraient avoir le courage de se l'abréger mutuellement. En vérité, l'animal dont je viens de dire la fin a encore été relativement heureux. S'il s'était agi d'une créature humaine, elle souffrirait encore, elle souffrirait sans espoir.

      LE FLEUVE DE LAIT

      J'aime beaucoup à m'arrêter un instant devant les faits qui montrent clairement la solidarité de toute la nature, des nuages et de l'herbe, de l'homme et des saisons. Un peu de pluie en excès, un peu de chaleur de trop et on s'aperçoit aussitôt avec quelle étroitesse l'homme dépend de la terre. Ses inventions, ses conquêtes ne sont rien si, au cours d'une année, le soleil a brillé vingt ou trente jours de plus que d'habitude. Il peut construire des machines volantes et les diriger à peu près, il ne peut créer un verre de lait. Le lait coule des nuages avant de jaillir au pis de la vache. Sans nuages, pas de pluie; sans pluie, pas d'herbe; sans herbe, pas de lait. Les plantes sont ingénieuses à extraire de la terre la plus desséchée l'eau dont elles se nourrissent, mais la volonté des racines a des limites au delà desquelles vient la résignation au destin, puis la mort. Et quand l'herbe meurt, les enfants meurent aussi, car ils se nourrissent de lait, que leur mère, trop civilisée, ne peut pas toujours leur fournir. C'est tout ce qui n'est pas civilisé qui maintient d'abord la vie, c'est l'eau, c'est l'herbe, ce sont les animaux. Le fondement de tout est tout ce que nous méprisons. Nous croyons que le génie naît de la civilisation. Elle le cultive seulement et encore c'est la nature seule qui lui fournit les éléments de cette culture, et nous ne sommes jamais que son humble collaboratrice. Tout ce qui nous fait vivre est né d'un peu d'argile détrempé d'un peu d'eau; le fleuve de lait qui menace de tarir n'a pas d'autre origine. C'était à peine un mythe que l'histoire de la première fabrication de l'homme. La vie naquit le jour où la première goutte d'eau tomba sur le sable qui l'attendait.

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