L'abîme. Чарльз Диккенс

L'abîme - Чарльз Диккенс


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J'ai pris la place, j'ai accepté, sans le savoir, la place d'un autre. Cet autre, il faut que je le trouve. L'espoir de le retrouver est le seul qui me relève et me fortifie au milieu de ce terrible chagrin qui me frappe. Vous en devez savoir bien plus que vous ne m'en avez raconté, Madame Goldstraw? Quelle était cette étrangère qui a adopté l'enfant? Son nom, vous l'avez entendu?

      – Je ne l'ai jamais entendu… je ne l'ai jamais revue elle-même… je n'ai jamais reçu de ses nouvelles…

      – Elle n'a donc rien dit lorsqu'elle a emmené l'enfant?.. Rappelez vos souvenirs, elle doit avoir dit quelque chose.

      – Une seule, monsieur, une seule qui me revienne. Cette année-là, l'hiver avait été très cruel et beaucoup de nos petits élèves avaient souffert. Lorsqu'elle prit le baby dans ses bras, l'étrangère me dit en riant: «Ne soyez pas en peine pour sa santé. Il grandira sous un climat meilleur que le vôtre. Je vais le conduire en Suisse.»

      – En Suisse?.. dans quelle partie de la Suisse?

      – Elle ne me l'a pas dit.

      – Rien que ce faible indice… rien que ce fil léger pour trouver ma route… – murmura Wilding, – et un quart de siècle s'est écoulé depuis ce jour! Que dois-je faire?

      – J'espère que vous ne vous offenserez pas de la franchise de mon langage, monsieur, – reprit Madame Goldstraw. – En vérité, je ne vois point pourquoi vous voilà si fort incertain de ce que vous avez à faire. Chercher cet enfant! Qui sait s'il est en vie? Et, monsieur, s'il vit, il ne connaît sûrement pas l'adversité. L'étrangère qui l'a adoptée était une femme de condition; elle a dû prouver au directeur de l'Hospice qu'elle était en état de se charger d'un enfant, sans quoi on ne lui aurait point permis de le prendre. Si j'étais à votre place, monsieur, pardonnez-moi de vous parler si librement… Je me consolerais en songeant que j'ai aimé la pauvre femme qui est là (elle montrait à son tour le portrait), aussi fortement qu'on aime sa mère et qu'elle a eu pour moi la même tendresse que si j'avais été son fils. Tout ce qu'elle vous a donné, n'est-ce pas en raison de son affection même? Son cœur ne s'est jamais démenti envers vous durant sa vie; le vôtre, j'en suis bien sûre, ne se démentira jamais envers elle. Quel meilleur droit pouvez-vous avoir à conserver ses présents?..

      – Arrêtez! – s'écria Wilding.

      Sa probité native lui faisait voir le charitable sophisme que lui opposait Madame Goldstraw pour le consoler.

      – Vous ne comprenez pas, – reprit-il; – c'est parce que je l'ai aimée que mon devoir maintenant est de faire justice à son fils. Un devoir sacré, Madame Goldstraw. Oh! si ce fils est encore au monde, je le retrouverai. Je succomberais, d'ailleurs, dans cette terrible épreuve, si je n'avais la ressource et la consolation de m'occuper tout de suite activement de ce que ma conscience me commande de faire. Il faut que je cause sans retard avec mon homme de loi. Je veux l'avoir mis à l'œuvre avant de m'endormir ce soir.

      Il s'approcha d'un tube attaché à la muraille, et par ce moyen appela quelqu'un dans le bureau de l'étage inférieur.

      – Veuillez me laisser un moment, Madame Goldstraw, – dit-il, – je serai plus calme et plus en état de causer avec vous dans l'après-midi! nous nous plairons ensemble, j'en suis sûr, en dépit de ce qui arrive. Oh! ce n'est pas votre faute… Donnez-moi la main, Madame Goldstraw. Et maintenant faites de votre mieux dans la maison…

      Comme Madame Goldstraw se dirigeait vers la porte Jarvis parut sur le seuil.

      – Envoyez chercher Monsieur Bintrey, – lui dit Wilding, – j'ai besoin de le voir sur-le-champ.

      Le commis n'était point venu là seulement pour recevoir un ordre. Quelqu'un le suivait qu'il avait mission d'introduire; il annonça:

      – Monsieur Vendale.

      Le nouvel associé de Wilding et Co. entra.

      – Excusez-moi pour un moment, George Vendale, – dit Wilding, – j'ai encore un mot à dire à Jarvis. Envoyez, envoyez tout de suite chercher Monsieur Bintrey.

      Jarvis, avant de quitter la chambre, déposa une lettre sur la table.

      – De nos correspondants de Neufchâtel, monsieur, je pense, – dit-il. – Cette lettre porte un timbre Suisse.

      Nouveaux personnages en scène

      Ces mots: «Un timbre Suisse,» après ce que Madame Goldstraw venait de lui apprendre, redoublèrent l'agitation de Wilding, au point que son nouvel associé pensa qu'il ne lui était plus permis de ne point s'en apercevoir.

      – Wilding, – dit-il vivement, – qu'est-il arrivé?

      Puis il s'interrompit, jetant un regard curieux tout autour de lui, comme s'il cherchait une cause visible à cette scène extraordinaire. Wilding lui saisit la main.

      – Mon bon George Vendale… – s'écria-t-il avec des yeux suppliants.

      En même temps, il serrait cette main qu'il tenait dans les siennes, non par forme de politesse ni pour souhaiter la bienvenue à son associé, mais pour lui donner du secours.

      – Mon bon George Vendale, – reprit-il à voix basse, – il m'est arrivé tant de choses que je ne pourrai jamais redevenir moi-même. Et qu'est-ce que je dis?.. Comment le pourrais-je, puisque je ne suis plus moi?

      Le nouvel associé, qui était un beau jeune homme, du même âge à peu près que Wilding, à la tournure leste, à l'œil vif et résolu, leva les épaules.

      – Comment cesser d'être soi-même? – fit-il.

      – Ah! du moins, – repartit Wilding, – je ne suis pas ce que je croyais être!

      – Pour l'amour du ciel, que croyez-vous donc être que vous n'êtes pas?

      Il y avait dans le ton de Vendale un air de compassion et de franchise qui eût poussé à la confiance un homme autrement réservé que ne l'était Wilding. Aussi quand Vendale lui eut fait observer qu'il pouvait bien l'interroger sans indiscrétion, maintenant que leurs affaires étaient communes et qu'ils étaient associés, il n'y tint plus.

      – Là! George, là encore! – soupira-t-il, en s'enfonçant dans son fauteuil. – Associés! Vous me faites souvenir que je n'avais aucun droit de m'introduire dans les affaires; elles ne m'étaient pas destinées. L'intention de ma mère, c'est-à-dire de la sienne, ne fut jamais que cela fût à moi; elle voulait certainement que tout fût à lui.

      – Voyons, voyons, – fit Vendale, essayant sur Wilding, après un court silence, ce pouvoir que toute nature bien trempée prend toujours sur un cœur faible, surtout lorsqu'elle a le désir bien marqué de venir en aide à sa faiblesse; – soyez raisonnable, mon cher Walter. S'il s'est fait quelque mal autour de vous et à votre sujet, je suis bien sûr que ce n'est point par votre faute. Ce n'est pas après avoir passé trois ans à vos côtés, dans ces bureaux, sous l'ancien régime, que je pourrais douter de vous. Laissez-moi commencer notre association en vous rendant un service. Je veux vous rendre à vous-même. Mais, tout d'abord, dites-moi, cette lettre se rapporte-t-elle en quoi que ce soit à l'affaire qui vous agite?

      – Oh! oui, – murmura Wilding, – cette lettre!.. Cela encore?.. Ma tête!.. ma tête!.. J'avais oublié cette lettre et cette coïncidence… un timbre de Suisse!

      – Bon, – reprit Vendale, – je m'aperçois que ce pli n'a pas été ouvert. Il n'est donc pas probable qu'il ait rien de commun avec le trouble où je vous vois. Cette lettre est-elle à votre adresse ou à la mienne?

      – À l'adresse de la maison.

      – Si je l'ouvrais et la lisais tout haut pour vous en débarrasser!.. Elle est tout simplement de notre correspondant de Neufchâtel, le fabricant de vins de Champagne. Tenez, je la lis:

      Cher Monsieur,

      Nous recevons votre honorée du 28 dernier nous annonçant votre association avec M. Vendale, et nous vous prions


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