Micah Clarke – Tome II. Le Capitaine Micah Clarke. Артур Конан Дойл
qu'y joua ce régiment de Pandous dans lequel vous aviez une commission?
Sur une question de ce genre, vous pouviez vous imaginer que Saxon avait bien des choses à dire.
Les deux hommes ne tardèrent pas à s'enfoncer dans une discussion animée où les incidents de la Dune de Roundway et de la bande de Marston furent mis en parallèle avec les résultats d'une vingtaine d'affaires aux noms impossibles à prononcer, dans les Alpes de Styrie et sur les bords du Danube.
Dans sa vaillante jeunesse, Maître Timewell avait commandé d'abord un escadron, puis un régiment, pendant les guerres du Parlement, depuis la bataille de Chalgrove jusqu'à la lutte finale à Worcester, en sorte que ces aventures militaires, sans avoir autant de diversité et d'étendue que celles de son interlocuteur, étaient suffisantes pour lui permettre de formuler et défendre des opinions précises.
Au fond, elles étaient les mêmes que celles du soldat de fortune, mais lorsque leurs idées différaient sur quelque détail, aussitôt s'engageait un feu croisé d'expressions militaires.
Il était tant question d'estacades, de palissades, de comparaisons entre la cavalerie légère et la grosse cavalerie, entre piquiers et mousquetaires, entre lansquenets et lanciers que l'oreille du profane était étourdie de ce torrent de mots.
Enfin, à propos d'un détail de fortification, le Maire traça le plan de ses ouvrages avancés avec des cuillers et des fourchettes, pendant que Saxon ouvrait ses parallèles avec des lignes de morceaux de pain, les poussait rapidement en traverses et chemins couverts, pour s'établir sur l'angle rentrant de la redoute du Maire.
De là partit une nouvelle discussion au sujet des contre mines, ce qui eût pour effet de donner au débat un redoublement d'ardeur.
Pendant que cette dispute amicale avait lieu entre les anciens, Sir Gervas Jérôme et Mistress s'étaient mis à causer d'un bout de la table à l'autre.
– Mes chers enfants, j'ai rarement vu une figure aussi belle que celle de cette demoiselle puritaine.
Elle était belle de cette sorte de beauté modeste et virginale où les traits doivent leur charme au charme de l'âme qui les illumine.
Le corps, dans sa perfection de forme, semblait n'être que l'expression de l'esprit accompli qui l'habitait.
Sa chevelure brun foncé tombait en arrière depuis son front large et blanc, qu'embellissaient deux sourcils fortement marqués, et de grands yeux bleus et pensifs.
L'ensemble de ses traits avait un caractère de douceur qui faisait songer à la tourterelle.
Néanmoins il y avait dans la bouche une fermeté, dans le menton une délicate saillie qui indiquaient qu'en des temps de trouble et de danger, la petite demoiselle saurait se montrer la digne descendante du soldat Tête-Ronde et du magistrat puritain.
Je suis certain qu'en des circonstances où des matrones, à la voix plus forte et plus autoritaire, se seraient vues réduites au silence, la jeune fille du Maire, avec sa douce voix, n'aurait pas été longtemps à perdre son accent de conciliation et à laisser apparaître l'énergie naturelle qu'elle cachait.
Je fus fort diverti en observant le mal que Sir Gervas se donnait pour causer avec elle, car la demoiselle et lui appartenaient à des mondes si profondément divers, qu'il lui fallait toute sa galanterie, tout son esprit, pour se maintenir sur un terrain où ses propos fussent intelligibles pour elle.
– Sans doute, Mistress Ruth, vous employez une grande partie de votre temps à la lecture, remarqua Sir Gervas, je me demande si vous pouvez faire autre chose, étant aussi loin de la Ville.
– De la ville? dit-elle d'un air surpris. Est-ce que Taunton n'est point une ville.
– Le Ciel me préserve de dire le contraire, répondit Sir Gervas et tout particulièrement en présence d'un aussi grand nombre de dignes bourgeois qui passent pour être assez susceptibles en ce qui regarde l'honneur de leur cité natale. Il n'en est pas moins vrai, belle Mistress, que la ville de Londres l'emporte sur toutes les autres villes à tel point qu'on la nomme la Ville, ainsi que je viens de le faire.
– Elle est bien grande alors, s'écria-t-elle, avec un joli étonnement. Mais on bâtit de nouvelles maisons à Taunton, en dehors des anciennes murailles, et de l'autre côté de Shuttern, et même sur l'autre bord de la rivière. Peut-être sera-t-elle aussi grande, avec le temps.
– Quand bien même on ajouterait toute la population de Taunton à Londres, dit Sir Gervas, personne n'y remarquerait le moindre accroissement.
– Mais non, vous vous moquez de moi, s'écria la petite provinciale. C'est contre toute raison.
– Votre grand-père confirmera mes paroles, dit Sir Gervas. Mais pour revenir à vos lectures, je parierais qu'il n'y a pas une page de Scudéry et de son Grand Cyrus que vous n'ayez lue. Sans nul doute vous connaissez très bien les choses sentimentales qui se trouvent dans Cowley, dans Waller, ou Dryden?
– Qui sont ces gens-là? demanda-t-elle. Dans quelle église prêchent-ils?
– Sur ma foi! s'écria le baronnet en riant, l'honnête John prêche dans l'église de Will Unwin, connue de tout le monde sous la dénomination de «Chez Will», et bien souvent deux heures du matin sonnent avant la fin de son sermon. Mais pourquoi cette question? Croyez-vous que nul n'a le droit d'écrire sur du papier, à moins qu'il ne porte une robe et n'ait grimpé dans une chaire. Je me figurais que toutes les personnes de votre sexe avaient lu Dryden. Dites-moi, je vous prie, quels sont vos livres favoris.
– Il y a le Tocsin sonné aux Inconvertis d'Alleine, dit-elle. C'est un ouvrage qui vous remue, un ouvrage qui a opéré beaucoup de bien. N'avez-vous pas ressenti des fruits abondants à sa lecture?
– Je n'ai point lu l'ouvrage que vous désignez, avoua Sir Gervas.
– Point lu? s'écria-t-elle en levant les sourcils. Vraiment, je croyais que tout le monde avait lu le Tocsin. Alors, que pensez-vous des Combats du Fidèle?
– Je ne l'ai point lu.
– Ou bien des Sermons de Baxter? demanda-t-elle.
– Je ne les ai point lus.
– Et le Cordial de l'Esprit, par Bull?
– Je ne l'ai point lu.
Mistress Ruth le regarda en ouvrant de grands yeux, pleins d'un étonnement sincère.
– Vous trouverez peut-être qu'en parlant ainsi je manque d'éducation, mais je ne puis m'empêcher d'être surprise. Où donc avez-vous été? Qu'avez-vous fait pendant toute votre vie? Mais voyons, les enfants des rues eux-mêmes ont lu ces livres.
– La vérité, c'est que des ouvrages de cette sorte ne se rencontrent guère sur notre chemin, à Londres, répondit Sir Gervas. Une pièce de Georges Etheredge, des bouts-rimés de Sir John Suckling sont choses plus légères, bien qu'elles soient peut-être moins nourrissantes pour l'esprit. À Londres, on peut se tenir au fait de ce qui se passe dans le monde des lettres, sans avoir beaucoup de lectures à faire, car sans parler des commérages des cafés et des nouvelles à la main qu'on rencontre sur sa route, il y a les bavardages des poètes et les beaux-esprits dans les assemblées, puis de temps en temps, peut-être une soirée ou deux dans la semaine, le théâtre, avec Vanbrugh ou Farquhar. Ainsi on ne fausse pas longtemps compagnie aux Muses. Puis, après la pièce, si l'on se sent disposé à tenter la fortune au tapis-vert chez Groom Porter, on peut aller faire un tour au «Cocotier» si l'on est Tory, ou à Saint-James, si l'on est un Whig. Il y a dix contre un à parier que la conversation tournera sur la façon de composer des alcaïques, ou sur la rivalité entre le vers blanc et le vers rimé. Puis, après un arrière-souper, on s'en ira chez Will ou chez Slaughter où l'on trouvera le vieux John, ainsi que Tickell, Congrève, et le reste de la troupe, en train de travailler ferme sur les unités dramatiques, ou sur la justice poétique, ou d'autres sujets analogues. J'avoue que mes goûts ne me portent guère dans cette direction, et qu'à cette heure-là, j'avais le tort de consacrer mon temps à la bouteille de vin, au cornet à dés, ou bien…
– Hem!