Henri III et sa Cour. Dumas Alexandre
aimer d'elle…
Mais es-tu sûr qu'elle ne t'aime pas?
Que vous dirai-je, mon père? jusqu'à l'heure du désespoir, ne reste-t-il pas au fond du coeur une espérance sourde?..Oui, quelquefois j'ai cru lire dans ses yeux, lorsqu'ils ne se détournaient pas assez vite…Mais je puis me tromper…Elle me fuit, et jamais je ne suis parvenu à me trouver seul avec elle.
Et si tu y réussissais enfin?
Cela étant, mon père!..son premier mot m'apprendrait ce que j'ai à craindre ou à espérer.
Et bien, viens et regarde dans cette glace…On l'appelle le miroir de réflexion…Quelle est la personne que tu désires y voir?
Elle, mon père!..
(Pendant qu'il regarde, l'alcôve s'ouvre derrière lui et laisse apercevoir la duchesse de Guise endormie)
Regarde!
Dieu!..vrai Dieu!..c'est elle!..elle, endormie! Ah! Catherine! (L'alcôve se referme) Catherine! Rien…(regardant derrière) Rien non plus par ici…Tout a disparu: c'est un rêve, une illusion…Mon père, que je la voie…que je la revoie encore!..
Elle dormait, dis-tu?
Oui…
Ecoute: c'est surtout pendant le sommeil que notre pouvoir est plus grand…Je puis profiter du sien pour la transporter ici.
Ici, près de moi?
Mais, dès qu'elle est réveillée, rappelle-toi que toute ma puissance ne peut rien contre sa volonté…
Bien, mais hâtez-vous, mon père!..hâtez-vous!..
Prends ce flacon; il suffira de le lui faire respirer pour qu'elle revienne à elle…
Oui, oui; mais hâtez-vous…
T'engages-tu par serment à ne jamais révéler?..
Sur la part que j'espère dans le paradis, je vous le jure…
Eh bien, lis…(Tandis que Saint-Megrin parcourt quelques lignes du livre ouvert par Ruggieri, l'alcôve s'ouvre derrière lui; un ressort fait avancer le sofa dans la chambre, et la boiserie se referme) Regarde! (Il sort)
SCENE V
Elle!..c'est elle!..la voilà…(Il s'élance vers elle, puis s'arrête tout à coup) Dieu! j'ai lu que parfois des magiciens enlevaient au tombeau des corps qui, par la force de leurs enchantements, prenaient la ressemblance d'une personne vivante. Si…Que Dieu me protège! Ah!..rien ne change…Ce n'est donc pas un prestige, un rêve du ciel…Oh! son coeur bat à peine!..sa main…elle est glacée!..Catherine! réveille-toi: ce sommeil m'épouvante! Catherine!..Elle dort…Que faire?..Ah! ce flacon…j'oubliais…Ma tête est perdue!..(Il lui fait respirer le flacon)
Ah!..
Oui, oui…respire!..lève-toi!..parle, parle!..j'aime mieux entendre ta voix, dût-elle me bannir à jamais de ta présence, que de te voir dormir de ce sommeil froid.
Ah! que je suis faible!..(Elle se lève en s'appuyant sur la tête de Saint-Mégrin, qui est à ses pieds) J'ai dormi longtemps…Mes femmes…comment s'appellent-elles?..(Apercevant Saint-Mégrin) Ah! c'est vous, comte? (Elle lui tend la main)
Oui…oui…
Vous!..mais pourquoi vous? Ce n'était pas vous que j'étais habituée à voir à mon réveil…Mon front est si lourd, que je ne puis y rassembler deux idées…
Oh! Catherine, qu'une seule s'y présente, qu'une seule y reste!..celle de mon amour pour toi…
Oui…oui…vous m'aimez…Oh! depuis longtemps, je m'en suis aperçue… Et moi aussi, je vous aimais, et je vous le cachais… Pourquoi donc?..Il me semble pourtant qu'il y a bien du bonheur à le dire!..
Oh! redis-le donc encore!..redis-le, car il y a bien du bonheur à l'entendre!..
Mais j'avais un motif pour vous le cacher…Quel était-il donc?.. Ah!.. ce n'était pas vous que je devais aimer…(Se levant, et oubliant son mouchoir sur le sofa) Sainte Mère de Dieu! aurais-je dit que je vous aimais?..Malheureuse que je suis!..mon amour s'est réveillée avant ma raison.
Catherine! n'écoute que ton coeur. Tu m'aimes! tu m'aimes!
Moi? Je n'ai pas dit cela, monsieur le comte; cela n'est pas; ne croyez pas que cela soit…C'était un songe…le sommeil… le… Mais comment se fait-il que je sois ici?..Quelle est cette chambre? …Marie!..Madame de Cossé!.. Laissez-moi, monsieur de Saint-Mégrin, éloignez-vous…
M'éloigner! et pourquoi?..
O mon Dieu! mon Dieu! que m'arrive-t-il?..
Madame, je me vois ici, je vous y trouve, je ne sais comment…Il y a de l'enchantement, de la magie.
Je suis perdue!..moi qui jusqu'à présent vous ai fui, moi que déjà les soupçons de M. de Guise, mon seigneur et maître…
M. de Guise!..mille damnations!..M. de Guise, votre seigneur et maître!..Oh! puisse-t-il ne pas vous soupçonner à tort…et que tout son sang…tout le mien…
Monsieur le comte, vous m'effrayez.
Pardon!..mais quand je pense que je pouvais vous connaître libre, être aimé de vous, devenir aussi votre seigneur et maître…Il me fait bien mal, M. de Guise; mais que mon bon ange me manque au jour du jugement si je ne le lui rends pas…
Monsieur le comte!..Mais enfin…où suis-je? dites-le moi… Aidez-moi à sortir d'ici, à me rendre à l'hôtel de Guise, et je vous pardonne…
Me pardonner! et quel est donc mon crime?
Je suis ici…et vous me le demandez…Vous avez profité de son sommeil pour enlever une femme qui vous est étrangère, qui ne peut vous aimer, qui ne vous aime pas, monsieur le comte…
Qui ne m'aime pas!..Ah! madame, on n'aime pas comme j'aime, pour ne pas être aimé. J'en crois vos premières paroles, j'en crois…
Silence!
Ne craignez rien.
JOYEUSE, dans l'antichambre Vive Dieu!..nous sommes en sentinelle, et on ne passe pas…
LE DUC DE GUISE, derrière le théâtre Tête-Dieu! messieurs, prenez garde, en croyant jouer avec un renard, d'éveiller un lion…
Sainte Marie!..c'est la voix du duc de Guise!..où fuir? où me cacher?
SAINT-MEGRIN, s'élançant vers la porte C'est le duc de Guise?..Eh bien…
Arrêtez, monsieur, au nom du ciel! vous me perdez.
C'est vrai…
(Il court à la porte, passe entre les