La dame de Monsoreau — Tome 1. Dumas Alexandre

La dame de Monsoreau — Tome 1 - Dumas Alexandre


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te veiller avec lui. Je ne te parlerai que si tu te réveilles.

      — Sire, j'ai le réveil très-maussade, et il faut être bien habitué à moi pour me pardonner toutes les sottises que je dis avant d'être bien éveillé.

      — Au moins, viens assister à mon coucher.

      — Et je serai libre après de revenir me mettre au lit?

      — Parfaitement libre.

      — Eh bien, soit. Mais je ferai un triste courtisan, je vous en réponds. Je tombe de sommeil.

      — Tu bâilleras tout à ton aise.

      — Quelle tyrannie! dit Saint-Luc, quand vous avez tous vos autres amis.

      — Ah! oui, ils sont dans un bel état, et Bussy me les a bien accommodés. Schomberg a la cuisse crevée; d'Épernon a le poignet tailladé comme une manche à l'espagnole; Quélus est encore tout étourdi de son coup de poing d'hier et de son embrassade d'aujourd'hui; reste d'O, qui m'ennuie à mourir, et Maugiron qui me boude. Allons! réveille ce grand bélître de page, et fais-toi passer une robe de chambre.

      — Sire, si Votre Majesté veut me laisser.

      — Pourquoi faire?

      — Le respect...

      — Allons donc!

      — Sire, dans cinq minutes je serai chez Votre Majesté.

      — Dans cinq minutes, soit! Mais pas plus de cinq minutes, entends-tu; et pendant ces cinq minutes trouve-moi de bons contes, Saint-Luc, que nous tâchions de rire un peu.

      Et là-dessus, le roi, qui avait obtenu la moitié de ce qu'il voulait, sortit à moitié content.

      La porte ne se fut pas plutôt refermée derrière lui, que le page se réveilla en sursaut, et d'un bond fut à la portière.

      — Ah! Saint-Luc, dit-il quand le bruit des pas se fut perdu, vous allez encore me quitter. Mon Dieu! quel supplice! je meurs d'effroi ici. Si l'on allait découvrir!

      — Ma chère Jeanne, dit Saint-Luc, Gaspard que voilà ici, et il lui montrait le vieux serviteur, vous défendra contre toute indiscrétion.

      — Alors, autant vaut que je m'en aille, dit la jeune femme en rougissant.

      — Si vous l'exigez absolument, Jeanne, dit Saint-Luc d'un ton attristé, je vous ferai reconduire à l'hôtel Montmorency, car la consigne n'est que pour moi. Mais si vous étiez aussi bonne que belle, si vous aviez dans le coeur quelques sentiments pour le pauvre Saint-Luc, vous l'attendriez quelques instants. Je vais tant souffrir de la tête, des nerfs et des entrailles, que le roi ne voudra pas d'un si triste compagnon et me renverra coucher.

      Jeanne baissa les yeux.

      — Allez donc, dit-elle, j'attendrai; mais je vous dirai comme le roi:

      Ne soyez pas longtemps.

      — Jeanne, ma chère Jeanne, vous êtes adorable, dit, Saint-Luc, rapportez-vous-en à moi de revenir le plus tôt possible près de vous. D'ailleurs, il me vient une idée, je vais la mûrir un peu, et, à mon retour, je vous en ferai part.

      — Une idée qui vous rendra la liberté?

      — Je l'espère.

      — Alors, allez.

      — Gaspard, dit Saint-Luc, empêchez bien que personne n'entre ici. Puis, dans un quart d'heure, fermez la porte à clef; apportez-moi cette clef chez le roi. Allez dire à l'hôtel qu'on ne soit point inquiet de madame la comtesse, et ne revenez que demain.

      Gaspard promit en souriant d'exécuter les ordres que la jeune femme écoutait en rougissant.

      Saint-Luc prit la main de sa femme, la baisa tendrement, et courut à la chambre de Henri, qui déjà s'impatientait.

      Jeanne, toute seule et toute frémissante, se blottit dans l'ample rideau qui tombait des tringles du lit, et là, rêveuse, inquiète, courroucée, elle chercha de son côté, en jouant avec une sarbacane, un moyen de sortir victorieuse de l'étrange position où elle se trouvait.

      Quand Saint-Luc entra chez le roi, il fut saisi du parfum âpre et voluptueux qu'exhalait la chambre royale. Les pieds de Henri foulaient, en effet, une jonchée de fleurs dont on avait coupé les tiges, de peur qu'elles n'offensassent la peau délicate de Sa Majesté; roses, jasmins, violettes, giroflées, malgré la rigueur de la saison, formaient un moelleux et odorant tapis au roi Henri III.

      La chambre, dont le plafond avait été abaissé et décoré de belles peintures sur toile, était meublée, comme nous l'avons dit, de deux lits, l'un desquels était si large, que, quoique son chevet fût appuyé au mur, il tenait près du tiers de la chambre. Ce lit était d'une tapisserie d'or et de soie à personnages mythologiques, représentant l'histoire de Cenée ou de Cenis, tantôt homme et tantôt femme, laquelle métamorphose ne s'opérait pas, comme on peut le présumer, sans les plus fantasques efforts de l'imagination du peintre. Le ciel du lit était de toile d'argent lamée d'or et de figures de soie, et les armes royales richement brodées étaient appliquées à la portion du baldaquin qui, appliquée à la muraille, formait le chevet du lit.

      Il y avait aux fenêtres même tapisserie qu'aux lits, et les canapés et les fauteuils étaient formés de même étoffe que celle du lit et des fenêtres. Au milieu du plafond, une chaîne d'or laissait pendre une lampe de vermeil, dans laquelle brûlait une huile qui répandait, en se consumant, un parfum exquis. A la droite du lit, un satyre d'or tenait à la main un candélabre où brûlaient quatre bougies roses parfumées aussi. Ces bougies, grosses comme des cierges, jetaient une lumière qui, jointe à celle de là lampe, éclairait suffisamment la chambre.

      Le roi, les pieds nus posés sur les fleurs qui jonchaient le parquet, était assis sur sa chaise d'ébène incrustée d'or; il avait sur les genoux sept ou huit petits chiens épagneuls tout jeunes, et dont les frais museaux chatouillaient doucement ses mains. Deux serviteurs triaient et frisaient ses cheveux retroussés comme ceux d'une femme, sa moustache à crochet, et sa barbe rare et floconneuse.

      Un troisième enduisait le visage du prince d'une couche onctueuse de crème rosé d'un goût tout particulier et d'odeurs des plus appétissantes.

      Henri fermait les yeux et se laissait faire avec la majesté et le sérieux d'un dieu indien.

      — Saint-Luc, disait-il, où est Saint-Luc?

      Saint-Luc entra.

      Chicot le prit par la main et l'amena devant le roi.

      — Tiens, dit-il à Henri, le voici, ton ami Saint-Luc; ordonne-lui de se débarbouiller ou plutôt de se barbouiller aussi avec de la crème; car si tu ne prends cette indispensable précaution, il arrivera une chose fâcheuse: ou lui sentira mauvais pour toi, qui sens si bon, ou toi tu sentiras trop bon pour lui, qui ne sentira rien. Çà, les graisses et les peignes! ajouta Chicot en s'étendant sur un grand fauteuil en face du roi, j'en veux tâter aussi, moi.

      — Chicot, Chicot! s'écria Henri; votre peau est trop sèche et absorberait une trop grande quantité de crème; à peine y en a-t-il assez pour moi; et votre poil est si dur, qu'il casserait mes peignes.

      — Ma peau s'est séchée à tenir la campagne pour toi, prince ingrat! et si mon poil est si dur, c'est que les contrariétés que tu me donnes le tiennent continuellement hérissé; mais si tu me refuses la crème pour mes joues, c'est-à-dire pour mon extérieur, c'est bon, mon fils, je ne te dis que cela.

      Henri haussa les épaules en homme peu disposé à s'amuser des facéties de son bouffon.

      — Laissez-moi, dit-il, vous radotez.

      Puis, se retournant vers Saint-Luc:

      — Eh bien, mon fils, dit-il, ce mal de tête?

      Saint-Luc porta la main à son front, et poussa un gémissement.


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