La dame de Monsoreau — Tome 3. Dumas Alexandre

La dame de Monsoreau — Tome 3 - Dumas Alexandre


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sans doute, si on les égorge; montrez-les-moi morts, et, par Notre-Dame! je vous dirai que vous avez bien fait. Mais on ne les égorgera pas; mais on aura levé pour eux l'étendard de la révolte; mais on leur aura mis nue à la main l'épée qu'ils n'eussent jamais osé tirer du fourreau pour un maître comme François. Tandis qu'au contraire, dans ce cas-là, par votre imprudence, ils dégaineront pour défendre leur vie; et votre royaume se soulèvera, non pas pour vous, mais contre vous.

      — Mais, si je ne me venge pas, j'ai peur, je recule, s'écria Henri.

      — A-t-on jamais dit que j'avais peur? dit Catherine en fronçant le sourcil et en pressant ses dents de ses lèvres minces et rougies avec du carmin.

      — Cependant, si c'étaient les Angevins, ils mériteraient une punition, ma mère.

      — Oui, si c'étaient eux, mais ce ne sont pas eux.

      — Qui est-ce donc, si ce ne sont pas les amis de mon frère?

      — Ce ne sont pas les amis de votre frère, car votre frère n'a pas d'amis.

      — Mais qui est-ce donc?

      — Ce sont vos ennemis à vous, ou plutôt votre ennemi.

      — Quel ennemi?

      — Eh! mon fils, vous savez bien que vous n'en avez jamais eu qu'un, comme votre frère Charles n'en a jamais eu qu'un, comme moi-même je n'en ai jamais eu qu'un, le même toujours, incessamment.

      — Henri de Navarre, vous voulez dire?

      — Eh! oui, Henri de Navarre.

      — Il n'est pas à Paris!

      — Eh! savez-vous qui est à Paris ou qui n'y est pas? savez-vous quelque chose? avez-vous des yeux et des oreilles? avez-vous autour de vous des gens qui voient et qui entendent? Non, vous êtes tous sourds, vous êtes tous aveugles.

      — Henri de Navarre! répéta Henri.

      — Mon fils, à chaque désappointement qui vous arrivera, à chaque malheur qui vous arrivera, à chaque catastrophe qui vous arrivera et dont l'auteur vous restera inconnu, ne cherchez pas, n'hésitez pas, ne vous enquérez pas, c'est inutile. Écriez-vous, Henri: «C'est Henri de Navarre,» et vous serez sûr d'avoir dit vrai... Frappez du côté où il sera, et vous serez sûr d'avoir frappé juste... Oh! cet homme!.. cet homme! voyez-vous, c'est l'épée que Dieu a suspendue au-dessus de la maison de Valois.

      — Vous êtes donc d'avis que je donne contre-ordre à l'endroit des Angevins?

      — A l'instant même, s'écria Catherine, sans perdre une minute, sans perdre une seconde. Hâtez-vous, peut-être est-il déjà trop tard; courez, révoquez ces ordres; allez, ou vous êtes perdu.

      Et, saisissant son fils par le bras, elle le poussa vers la porte avec une force et une énergie incroyables. Henri s'élança hors du Louvre, cherchant à rallier ses amis.

      Mais il ne trouva que Chicot, assis sur une pierre et dessinant des figures géographiques sur le sable.

      CHAPITRE III

      COMMENT CHICOT ET LA REINE MÈRE SE TROUVANT ÊTRE DU MÊME AVIS, LE ROI SE RANGEA A L'AVIS DE CHICOT ET DE LA REINE MÈRE

      Henri s'assura que c'était bien le Gascon, qui, non moins attentif qu'Archimède, ne paraissait pas décidé à se retourner, Paris fût-il pris d'assaut.

      — Ah! malheureux, s'écria-t-il d'une voix tonnante, voilà donc comme tu défends ton roi?

      — Je le défends à ma manière, et je crois que c'est la bonne.

      — La bonne! s'écria le roi, la bonne, paresseux!

      — Je le maintiens et je le prouve.

      — Je suis curieux de voir cette preuve.

      — C'est facile: d'abord, nous avons fait une grande bêtise, mon roi; nous avons fait une immense bêtise.

      — En quoi faisant?

      — En faisant ce que nous avons fait.

      — Ah! ah! fit Henri frappé de la corrélation de ces deux esprits éminemment subtils, et qui n'avaient pu se concerter pour en venir au même résultat.

      — Oui, répondit Chicot, tes amis, en criant par la ville: Mort aux Angevins! et, maintenant que j'y réfléchis, il ne m'est pas bien prouvé que ce soient les Angevins qui aient fait le coup; tes amis, dis-je, en criant par la ville: Mort aux Angevins! font tout simplement cette petite guerre civile que MM. de Guise n'ont pas pu faire, et dont ils ont si grand besoin; et, vois-tu, à l'heure qu'il est, Henri, ou tes amis sont parfaitement morts, ce qui ne me déplairait pas, je l'avoue, mais ce qui t'affligerait, toi; ou ils ont chassé les Angevins de la ville, ce qui te déplairait fort, à toi, mais ce qui, en échange, réjouirait énormément ce cher M. d'Anjou.

      — Mordieu! s'écria le roi, crois-tu donc que les choses sont déjà si avancées que tu dis là?

      — Si elles ne le sont pas davantage.

      — Mais tout cela ne m'explique pas ce que tu fais assis sur cette pierre.

      — Je fais une besogne excessivement pressée, mon fils.

      — Laquelle?

      — Je trace la configuration des provinces que ton frère va faire révolter contre nous, et je suppute le nombre d'hommes que chacune d'elles pourra fournir à la révolte.

      — Chicot! Chicot! s'écria le roi, je n'ai donc autour de moi que des oiseaux de mauvais augure!

      — Le hibou chante pendant la nuit, mon fils, répondit Chicot, car il chante à son heure. Or le temps est sombre, Henriquet, si sombre, en vérité, qu'on peut prendre le jour pour la nuit, et je te chante ce que tu dois entendre. Regarde!

      — Quoi!

      — Regarde ma carte géographique, et juge. Voici d'abord l'Anjou, qui ressemble assez à une tartelette; tu vois? c'est là que ton frère s'est réfugié; aussi je lui ai donné la première place, hum! L'Anjou, bien mené, bien conduit, comme vont le mener et le conduire ton grand veneur Monsoreau et ton ami Bussy, l'Anjou, à lui seul, peut nous fournir, quand je dis nous, c'est à ton frère, l'Anjou peut fournir à ton frère dix mille combattants.

      — Tu crois?

      — C'est le minimum. Passons à la Guyenne. La Guyenne, tu la vois, n'est ce pas? la voici: c'est cette figure qui ressemble à un veau marchant sur une patte. Ah! dame! la Guyenne, il ne faut pas t'étonner de trouver là quelques mécontents; c'est un vieux foyer de révolte, et à peine les Anglais en sont-ils partis. La Guyenne sera donc enchantée de se soulever, non pas contre toi, mais contre la France. Il faut compter sur la Guyenne pour huit mille soldats. C'est peu! mais ils seront bien aguerris, bien éprouvés, sois tranquille. Puis, à gauche de la Guyenne, nous avons le Béarn et la Navarre, tu vois? ces deux compartiments qui ressemblent à un singe sur le dos d'un éléphant. On a fort rogné la Navarre, sans doute; mais, avec le Béarn, il lui reste encore une population de trois ou quatre cent mille hommes. Suppose que le Béarn et la Navarre, très-pressés, bien poussés, bien pressurés par Henriot, fournissent à la Ligue cinq du cent de la population, c'est seize mille hommes. Récapitulons donc: dix mille pour l'Anjou.

      Et Chicot continua de tracer des figures sur le sable avec sa baguette.

      Ci. 10,000

      Huit mille pour la Guyenne, ci. 8,000

      Seize mille pour le Béarn et

      la Navarre, ci. 16,000

      Total 34,000

      — Tu crois donc, dit Henri, que le roi de Navarre fera alliance avec mon frère?

      — Pardieu!


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