Le Chevalier de Maison-Rouge. Dumas Alexandre

Le Chevalier de Maison-Rouge - Dumas Alexandre


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le bras du jeune homme et en l'entraînant, une nouvelle des plus importantes.

      – Politique? demanda Maurice, toujours préoccupé de son idée.

      – Eh! cher citoyen, répondit Dixmer en souriant, est-ce que nous nous occupons de politique, nous? Non, non, une nouvelle tout industrielle, Dieu merci! Mon honorable ami Morand, qui, comme vous le savez, est un chimiste des plus distingués, vient de trouver le secret d'un maroquin rouge, comme on n'en a pas encore vu jusqu'à présent, c'est-à-dire inaltérable. C'est cette teinture que je vais vous montrer. D'ailleurs, vous verrez Morand à l'œuvre; celui-là, c'est un véritable artiste.

      Maurice ne comprenait pas trop comment on pouvait être artiste en maroquin rouge. Mais il n'en accepta pas moins, suivit Dixmer, traversa les ateliers, et, dans une espèce d'officine particulière, vit le citoyen Morand à l'œuvre: il avait ses lunettes bleues et son habit de travail, et paraissait effectivement on ne peut pas plus occupé de changer en pourpre le blanc sale d'une peau de mouton. Ses mains et ses bras, qu'on apercevait sous ses manches retroussées, étaient rouges jusqu'au coude. Comme le disait Dixmer, il s'en donnait à cœur joie dans la cochenille.

      Il salua Maurice de la tête, tout entier qu'il était à sa besogne.

      – Eh bien, citoyen Morand, demanda Dixmer, que disons-nous?

      – Nous gagnerons cent mille livres par an, rien qu'avec ce procédé, dit Morand. Mais voilà huit jours que je ne dors pas, et les acides m'ont brûlé la vue.

      Maurice laissa Dixmer avec Morand et rejoignit Geneviève en murmurant tout bas:

      – Il faut avouer que le métier de municipal abrutirait un héros. Au bout de huit jours de Temple, on se prendrait pour un aristocrate et l'on se dénoncerait soi-même. Bon Dixmer, va! brave Morand! suave Geneviève! Et moi qui les avais soupçonnés un instant!

      Geneviève attendait Maurice avec son doux sourire, pour lui faire oublier jusqu'à l'apparence des soupçons qu'il avait effectivement conçus. Elle fut ce qu'elle était toujours: douce, amicale, charmante.

      Les heures où Maurice voyait Geneviève étaient les heures où il vivait réellement. Tout le reste du temps, il avait cette fièvre qu'on pourrait appeler la fièvre 93, qui séparait Paris en deux camps et faisait de l'existence un combat de chaque heure.

      Vers midi, il lui fallut cependant quitter Geneviève et retourner au Temple.

      À l'extrémité de la rue Sainte-Avoye, il rencontra Lorin, qui descendait sa garde: il était en serre-file; il se détacha de son rang et vint à Maurice, dont tout le visage exprimait encore la suave félicité que la vue de Geneviève versait toujours dans son cœur.

      – Ah! dit Lorin en secouant cordialement la main de son ami:

      En vain tu caches ta langueur,

      Je connais ce que tu désires.

      Tu ne dis rien; mais tu soupires.

      L'amour est dans tes yeux, l'amour est dans ton cœur.

      Maurice mit la main à sa poche pour chercher sa clef. C'était le moyen qu'il avait adopté pour mettre une digue à la verve poétique de son ami. Mais celui-ci vit le mouvement et s'enfuit en riant.

      – À propos, dit Lorin en se retournant après quelques pas, tu es encore pour trois jours au Temple, Maurice; je te recommande le petit Capet.

      XII

      Amour

      En effet, Maurice vivait bien heureux et bien malheureux à la fois au bout de quelque temps. Il en est toujours ainsi au commencement des grandes passions.

      Son travail du jour à la section Lepelletier, ses visites du soir à la vieille rue Saint-Jacques, quelques apparitions çà et là au club des Thermopyles remplissaient toutes ses journées.

      Il ne se dissimulait pas que voir Geneviève tous les soirs, c'était boire à longs traits un amour sans espérance.

      Geneviève était une de ces femmes, timides et faciles en apparence, qui tendent franchement la main à un ami, approchent innocemment leur front de ses lèvres avec la confiance d'une sœur ou l'ignorance d'une vierge, et devant qui les mots d'amour semblent des blasphèmes et les désirs matériels des sacrilèges.

      Si, dans les rêves les plus purs que la première manière de Raphaël a fixés sur la toile, il est une Madone aux lèvres souriantes, aux yeux chastes, à l'expression céleste, c'est celle-là qu'il faut emprunter au divin élève de Pérugin pour en faire le portrait de Geneviève.

      Au milieu de ses fleurs, dont elle avait la fraîcheur et le parfum, isolée des travaux de son mari, et de son mari lui-même, Geneviève apparaissait à Maurice, chaque fois qu'il la voyait, comme une énigme vivante dont il ne pouvait deviner le sens et dont il n'osait demander le mot.

      Un soir que, comme d'habitude, il était demeuré seul avec elle, que tous deux étaient assis à cette croisée par laquelle il était entré une nuit si bruyamment et si précipitamment, que les parfums des lilas en fleurs flottaient sur cette douce brise qui succède au radieux coucher du soleil, Maurice, après un long silence, et après avoir, pendant ce silence, suivi l'œil intelligent et religieux de Geneviève, qui regardait poindre une étoile d'argent dans l'azur du ciel, se hasarda à lui demander comment il se faisait qu'elle fût si jeune, quand son mari avait déjà passé l'âge moyen de la vie; si distinguée, quand tout annonçait chez son mari une éducation, une naissance vulgaires; si poétique enfin, quand son mari était si attentif à peser, à étendre et à teindre les peaux de sa fabrique.

      – Chez un maître tanneur, enfin, pourquoi, demanda Maurice, cette harpe, ce piano, ces pastels que vous m'avez avoué être votre ouvrage? Pourquoi, enfin, cette aristocratie que je déteste chez les autres, et que j'adore chez vous?

      Geneviève fixa sur Maurice un regard plein de candeur.

      – Merci, dit-elle, de cette question: elle me prouve que vous êtes un homme délicat et que vous ne vous êtes jamais informé de moi à personne.

      – Jamais, madame, dit Maurice; j'ai un ami dévoué qui mourrait pour moi, j'ai cent camarades qui sont prêts à marcher partout où je les conduirai; mais de tous ces cœurs, lorsqu'il s'agit d'une femme, et d'une femme comme Geneviève surtout, je n'en connais qu'un seul auquel je me fie, et c'est le mien.

      – Merci, Maurice, dit la jeune femme. Je vous apprendrai moi-même alors tout ce que vous désirez savoir.

      – Votre nom de jeune fille, d'abord? demanda Maurice. Je ne vous connais que sous votre nom de femme.

      Geneviève comprit l'égoïsme amoureux de cette question et sourit.

      – Geneviève du Treilly, dit-elle. Maurice répéta:

      – Geneviève du Treilly!

      – Ma famille, continua Geneviève, était ruinée depuis la guerre d'Amérique, à laquelle avaient pris part mon père et mon frère aîné.

      – Gentilshommes tous deux? dit Maurice.

      – Non, non, dit Geneviève en rougissant.

      – Vous m'avez dit cependant que votre nom de jeune fille était Geneviève du Treilly.

      – Sans particule, monsieur Maurice; ma famille était riche, mais ne tenait en rien à la noblesse.

      – Vous vous défiez de moi, dit en souriant le jeune homme.

      – Oh! non, non, reprit Geneviève. En Amérique, mon père s'était lié avec le père de M. Morand; M. Dixmer était l'homme d'affaires de M. Morand. Nous voyant ruinés, et sachant que M. Dixmer avait une fortune indépendante, M. Morand le présenta à mon père, qui me le présenta à son tour. Je vis qu'il y avait d'avance un mariage arrêté, je compris que c'était le désir de ma famille; je n'aimais ni n'avais jamais aimé personne; j'acceptai. Depuis trois ans, je suis la femme de Dixmer, et, je dois le dire, depuis trois ans, mon mari a été pour moi si bon, si excellent, que, malgré cette différence de goûts et d'âge que vous remarquez, je n'ai jamais éprouvé un seul


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