Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre

Le Collier de la Reine, Tome I - Dumas Alexandre


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dit-elle, ce sont là des copies d'actes, madame, et je ne vois aucune pièce authentique.

      – Les minutes, madame, répondit Jeanne, sont déposées en lieu sûr, et je les produirais…

      – Si une occasion importante se présentait, n'est-ce pas? dit en souriant la dame.

      – C'est sans doute, madame, une occasion importante que celle qui me procure l'honneur de vous voir; mais les documents dont vous parlez sont tellement précieux pour moi que…

      – Je comprends. Vous ne pouvez les livrer au premier venu.

      – Oh! madame, s'écria la comtesse qui venait enfin d'entrevoir le visage plein de dignité de la protectrice; oh! madame, il me semble que, pour moi, vous n'êtes pas la première venue.

      Et aussitôt, ouvrant avec rapidité un autre meuble dans lequel jouait un tiroir secret, elle en tira les originaux des pièces justificatives, soigneusement enfermées dans un vieux portefeuille armorié au blason de Valois.

      La dame les prit, et après un examen plein d'intelligence et d'attention:

      – Vous avez raison, dit la dame de charité, ces titres sont parfaitement en règle; je vous engage à ne pas manquer de les fournir à qui de droit.

      – Et qu'en obtiendrais-je à votre avis, madame?

      – Mais sans nul doute une pension pour vous, un avancement pour M. de La Motte, pour peu que ce gentilhomme se recommande par lui-même.

      – Mon mari est le modèle de l'honneur, madame, et jamais il n'a manqué aux devoirs du service militaire.

      – Il suffit, madame, dit la dame de charité en abattant tout à fait la calèche sur son visage.

      Mme de La Motte suivait avec anxiété chacun de ses mouvements.

      Elle la vit fouiller dans sa poche, dont elle tira d'abord le mouchoir brodé qui lui avait servi à cacher son visage quand elle glissait en traîneau le long des boulevards.

      Puis au mouchoir succéda un petit rouleau d'un pouce de diamètre et de trois à quatre pouces de longueur.

      La dame de charité déposa le rouleau sur le chiffonnier en disant:

      – Le bureau des Bonnes-Œuvres m'autorise, madame, à vous offrir ce léger secours, en attendant mieux.

      Mme de La Motte jeta un rapide coup d'œil sur le rouleau.

      «Des écus de trois livres, pensa-t-elle; il doit y en avoir au moins cinquante ou même cent. Allons, c'est cent cinquante ou peut-être trois cents livres qui nous tombent du ciel. Cependant, pour cent il est bien court; mais aussi pour cinquante il est bien long.»

      Tandis qu'elle faisait ces observations, les deux dames étaient passées dans la première pièce, où dame Clotilde dormait sur une chaise près d'une chandelle dont la mèche rouge et fumeuse s'allongeait au milieu d'une nappe de suif liquéfié.

      L'odeur âcre et nauséabonde saisit à la gorge celle des deux dames de charité qui avait déposé le rouleau sur le chiffonnier. Elle porta vivement la main à sa poche et en tira un flacon.

      Mais à l'appel de Jeanne, dame Clotilde s'était réveillée en saisissant à belles mains le reste de la chandelle. Elle l'élevait comme un phare au-dessus des montées obscures, malgré les protestations des deux étrangères qu'on éclairait en les empoisonnant.

      – Au revoir, au revoir, madame la comtesse! crièrent-elles.

      Et elles se précipitèrent dans les escaliers.

      – Où pourrai-je avoir l'honneur de vous remercier, mesdames? demanda Jeanne de Valois.

      – Nous vous le ferons savoir, dit l'aînée des deux dames en descendant le plus rapidement possible.

      Et le bruit de leurs pas se perdit dans les profondeurs des étages inférieurs.

      Mme de Valois rentra chez elle, impatiente de vérifier si ses observations sur le rouleau étaient justes. Mais en traversant la première chambre, elle heurta du pied un objet qui roula de la natte qui servait à calfeutrer le dessous de la porte sur le carreau.

      Se baisser, ramasser cet objet, courir à la lampe, telle fut la première inspiration de la comtesse de La Motte.

      C'était une boîte en or, ronde, plate et assez simplement guillochée.

      Cette boîte renfermait quelques pastilles de chocolat parfumé; mais, si plate qu'elle fût, il était visible que cette boîte avait un double fond, dont la comtesse fut quelque temps à trouver le secret ressort.

      Enfin, elle trouva ce ressort et le fit jouer.

      Aussitôt un portrait de femme lui apparut, sévère, éclatant de beauté mâle et d'impérieuse majesté.

      Une coiffure allemande, un magnifique collier semblable à celui d'un ordre donnaient à la physionomie de ce portrait une étrangeté étonnante.

      Un chiffre composé d'un M et d'un T, entrelacés dans une couronne de laurier, occupait le dessus de la boîte.

      Mme de La Motte supposa, grâce à la ressemblance de ce portrait avec le visage de la jeune dame, sa bienfaitrice, que c'était un portrait de mère ou d'aïeule, et son premier mouvement, il faut le dire, fut de courir à l'escalier pour rappeler les dames.

      La porte de l'allée se refermait.

      Puis à la fenêtre pour les appeler, puisqu'il était trop tard pour les rejoindre.

      Mais à l'extrémité de la rue Saint-Claude, débouchant dans la rue Saint Louis, un cabriolet rapide fut le seul objet qu'elle aperçut.

      La comtesse, n'ayant plus d'espoir de rappeler les deux protectrices, considéra encore la boîte, en se promettant de la faire passer à Versailles; puis, saisissant le rouleau laissé sur le chiffonnier:

      – Je ne me trompais pas, dit-elle, il n'y a que cinquante écus.

      Et le papier éventré roula sur le carreau.

      – Des louis, des doubles louis! s'écria la comtesse. Cinquante doubles louis! deux mille quatre cents livres!

      Et la joie la plus avide se peignit dans ses yeux, tandis que dame Clotilde, émerveillée à l'aspect de plus d'or qu'elle n'en avait jamais vu, demeurait la bouche ouverte et les mains jointes.

      – Cent louis! répéta Mme de La Motte… Ces dames sont donc bien riches? Oh! je les retrouverai!..

      Chapitre IV

      Bélus

      Mme de La Motte ne s'était pas trompée en croyant que le cabriolet qui venait de disparaître emportait les deux dames de charité.

      Ces deux dames, en effet, avaient trouvé au bas de la maison un cabriolet, comme on les construisait à cette époque, c'est-à-dire haut de roues, caisse légère, tablier élevé, avec une sellette commode pour le jockey qui se tenait derrière.

      Ce cabriolet, attelé d'un magnifique cheval irlandais, à courte queue, à croupe charnue, sous poil bai, avait été amené rue Saint-Claude par ce même domestique conducteur du traîneau que la dame de charité avait appelé Weber, ainsi que nous l'avons vu plus haut.

      Weber tenait le cheval au mors quand les dames arrivèrent; il essayait de modérer l'impatience du fougueux animal, qui battait d'un pied nerveux la neige durcissant peu à peu depuis le retour de la nuit.

      Lorsque les deux dames parurent:

      – Matame, dit Weber, j'afais fait gommanter Scibion, qui est fort toux et fazile à mener, mais Scibion il s'est tonné un égart hier au zoir; il ne restait que Pélus, et Pélus il est diffizile.

      – Oh! pour moi, vous le savez, Weber, répondit l'aînée des deux dames, la chose n'a pas d'importance; j'ai la main nerveuse et je suis habituée à conduire.

      – Je sais que Matame mène fort pien, mais les chemins l'être pien mauvais. Où fa Matame?

      – À Versailles.

      – Bar


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