Le Collier de la Reine, Tome II. Dumas Alexandre

Le Collier de la Reine, Tome II - Dumas Alexandre


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entendez bien que je n'irai pas faire une lieue toutes les heures pour visiter ce malade que le roi m'a confié. Votre galerie est au bout du monde.

      – Où le conduisez-vous, alors, docteur?

      – Chez moi, comme un paresseux que je suis. J'ai ici, vous le savez, deux chambres; je le coucherai dans l'une d'elles, et après-demain, si personne ne se mêle de lui, je vous en rendrai compte.

      – Mais, docteur, dit l'officier, je vous assure qu'ici le malade est très bien; nous aimons tous monsieur de Suffren, et…

      – Oui, oui, je connais ces soins-là de camarade à camarade. Le blessé a soif, on est bon pour lui; on lui donne à boire et il meurt. Au diable les bons soins de messieurs les gardes! On m'a tué ainsi dix malades.

      Le docteur parlait encore que déjà Olivier ne pouvait plus être entendu.

      – Oui-da! poursuivit le digne médecin, c'est fort bien fait, c'est puissamment raisonné. Il n'y a qu'un malheur à cela, c'est que le roi voudra voir le malade… Et s'il le voit… il l'entendra… Diable! il n'y a pas à hésiter. Je vais prévenir la reine, elle me donnera un conseil.

      Le bon docteur ayant pris cette résolution avec cette promptitude d'homme à qui la nature compte les secondes, inonda d'eau fraîche le visage du blessé, le plaça dans un lit de façon qu'il ne se tuât pas en remuant ou en tombant. Il mit un cadenas aux volets, ferma la porte de la chambre à double tour, et, la clef dans sa poche, se rendit chez la reine, après s'être assuré, en écoutant au dehors, que pas un des cris d'Olivier ne pouvait être perçu ou compris.

      Il va sans dire que, pour plus de précaution, l'Auvergnat était enfermé avec le malade.

      Il trouva juste à cette porte madame de Misery, que la reine expédiait pour prendre des nouvelles du blessé.

      Elle insistait pour entrer.

      – Venez, venez, madame, dit-il, je sors.

      – Mais, docteur, la reine attend!

      – Je vais chez la reine, madame.

      – La reine désire…

      – La reine en saura tout autant qu'elle en désire savoir, c'est moi qui vous le dis, madame. Allons.

      Et il fit si bien, qu'il força la dame de Marie-Antoinette à courir pour arriver en même temps que lui.

      Chapitre LI

       Aegri somnia[2]

      La reine attendait la réponse de madame de Misery, elle n'attendait pas le docteur.

      Celui-ci entra avec sa familiarité accoutumée.

      – Madame, dit-il tout haut, le malade, auquel le roi et Votre Majesté s'intéressent, va aussi bien qu'on va quand on a la fièvre.

      La reine connaissait le docteur; elle savait toute son horreur pour les gens qui, disait-il, poussent des cris entiers quand ils ressentent des demi-souffrances.

      Elle se figura que monsieur de Charny avait un peu outré sa position. Les femmes fortes sont disposées à trouver faibles les hommes forts.

      – Le blessé, dit-elle, est un blessé pour rire.

      – Eh! eh! fit le docteur.

      – Une égratignure.

      – Mais non, non, madame; enfin, égratignure ou blessure, tout ce que je sais, c'est qu'il a la fièvre.

      – Pauvre garçon! Une fièvre assez forte?

      – Une fièvre terrible.

      – Bah! fit la reine avec effroi; je ne pensais pas que, comme cela… tout de suite… la fièvre…

      Le docteur regarda un moment la reine.

      – Il y a fièvre et fièvre, répliqua-t-il.

      – Mon cher Louis, tenez, vous m'effrayez. Vous qui d'ordinaire êtes si rassurant, je ne sais vraiment ce que vous avez ce soir.

      – Rien d'extraordinaire.

      – Ah! par exemple! Vous vous retournez, et vous regardez de droite et de gauche, vous avez l'air d'un homme qui voudrait me confier un grand secret.

      – Eh! qui dit non?

      – Vous voyez bien; un secret à propos de fièvre!

      – Mais oui.

      – De la fièvre de monsieur de Charny.

      – Mais oui.

      – Et vous me cherchez pour ce secret?

      – Mais oui.

      – Vite au fait. Vous savez que je suis curieuse. Tenez commençons par le commencement.

      – Comme Petit-Jean, n'est-ce pas?

      – Oui, mon cher docteur.

      – Eh bien! madame…

      – Eh bien! j'attends, docteur.

      – Non, c'est moi qui attends.

      – Quoi?

      – Que vous me questionniez, madame. Je ne raconte pas bien, mais si on me fait des demandes, je réponds comme un livre.

      – Eh bien! je vous ai demandé comment va la fièvre de monsieur de Charny.

      – Non, c'est mal débuté. Demandez-moi d'abord comment il se fait que monsieur de Charny soit chez moi, dans une de mes deux petites chambres, au lieu d'être dans la galerie ou dans le poste de l'officier des gardes.

      – Soit, je vous le demande. En effet, c'est étonnant.

      – Eh bien! madame, je n'ai pas voulu laisser monsieur de Charny dans cette galerie, dans ce poste, comme vous voudrez, parce que monsieur de Charny n'est pas un fiévreux ordinaire.

      La reine fit un geste de surprise.

      – Que voulez-vous dire?

      – Monsieur de Charny, quand il a la fièvre, délire tout de suite.

      – Oh! fit la reine, en joignant les mains.

      – Et, poursuivit Louis en se rapprochant de la reine, lorsqu'il délire, le pauvre jeune homme! il dit une foule de choses extrêmement délicates à entendre pour messieurs les gardes du roi ou toute autre personne.

      – Docteur!

      – Ah! dame! il ne fallait pas me questionner, si vous ne vouliez pas que je répondisse.

      – Dites toujours, cher docteur.

      Et la reine prit la main du bon savant.

      – Ce jeune homme est un athée, peut-être, et, dans son délire, il blasphème.

      – Non pas, non pas. Il a, au contraire, une religion très profonde.

      – Il y aurait exaltation peut-être dans ses idées?

      – Exaltation, c'est le mot.

      La reine composa son visage, et prenant ce superbe sang-froid qui accompagne toujours les actes des princes habitués au respect des autres et à l'estime d'eux-mêmes, faculté indispensable aux grands de la terre pour dominer et ne pas se trahir:

      – Monsieur de Charny, dit-elle, m'est recommandé. Il est le neveu de monsieur de Suffren, notre héros. Il m'a rendu des services; je veux être à son égard comme serait une parente, une amie. Dites-moi donc la vérité; je dois et je veux l'entendre.

      – Mais, moi, je ne puis vous la dire, répliqua Louis, et puisque Votre Majesté tient si fort à la connaître, je ne sais qu'un moyen, c'est que Votre Majesté entende elle-même. De cette façon, si quelque chose est dit à tort par ce jeune homme, la reine n'en voudra ni à l'indiscret qui aura laissé pénétrer le secret, ni à l'imprudent qui l'aura étouffé.

      – J'aime votre amitié, s'écria la reine, et crois dès à présent que monsieur de Charny dit des choses étranges dans son délire…

      – Des choses


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