Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre

Le vicomte de Bragelonne, Tome II. - Dumas Alexandre


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que M. de Buckingham père vînt à Paris pour que Sa Majesté le roi Louis XIII s'aperçût que sa femme était une des plus belles personnes de la cour de France; il faut maintenant que M. de Buckingham fils consacre à son tour, par l'hommage qu'il lui rend, la beauté d'une princesse de sang français. Ce sera désormais un brevet de beauté que d'avoir inspiré un amour d'outre-mer.

      – Monsieur, répondit Bragelonne, je n'aime pas à entendre plaisanter sur ces matières. Nous autres gentilshommes, nous sommes les gardiens de l'honneur des reines et des princesses. Si nous rions d'elles, que feront les laquais?

      – Oh! oh! monsieur, dit de Wardes, dont les oreilles rougirent, comment dois-je prendre cela?

      – Prenez-le comme il vous plaira, monsieur, répondit froidement

      Bragelonne.

      – Bragelonne! Bragelonne! murmura de Guiche.

      – Monsieur de Wardes! s'écria Manicamp voyant le jeune homme pousser son cheval du côté de Raoul.

      – Messieurs! Messieurs! dit de Guiche, ne donnez pas un pareil exemple en public, dans la rue. De Wardes, vous avez tort.

      – Tort! en quoi? Je vous le demande.

      – Tort en ce que vous dites toujours du mal de quelque chose ou de quelqu'un, répliqua Raoul avec son implacable sang-froid.

      – De l'indulgence, Raoul, fit tout bas de Guiche.

      – Et ne vous battez pas avant de vous être reposés; vous ne feriez rien qui vaille, dit Manicamp.

      – Allons! allons! dit de Guiche, en avant, messieurs, en avant!

      Et là-dessus, écartant les chevaux et les pages, il se fit une route jusqu'à la place au milieu de la foule, attirant après lui tout le cortège des Français. Une grande porte donnant sur une cour était ouverte; de Guiche entra dans cette cour; Bragelonne, de Wardes, Manicamp et trois ou quatre autres gentilshommes l'y suivirent.

      Là se tint une espèce de conseil de guerre; on délibéra sur le moyen qu'il fallait employer pour sauver la dignité de l'ambassade. Bragelonne conclut pour que l'on respectât le droit de priorité.

      De Wardes proposa de mettre la ville à sac. Cette proposition parut un peu vive à Manicamp. Il proposa de dormir d'abord: c'était le plus sage. Malheureusement, pour suivre son conseil, il ne manquait que deux choses: une maison et des lits.

      De Guiche rêva quelque temps; puis, à haute voix:

      – Qui m'aime me suive, dit-il.

      – Les gens aussi? demanda un page qui s'était approché du groupe.

      – Tout le monde! s'écria le fougueux jeune homme. Allons Manicamp, conduis-nous à la maison que Son Altesse Madame doit occuper.

      Sans rien deviner des projets du comte, ses amis le suivirent, escortés d'une foule de peuple dont les acclamations et la joie formaient un présage heureux pour le projet encore inconnu que poursuivait cette ardente jeunesse.

      Le vent soufflait bruyamment du port et grondait par lourdes rafales.

      Chapitre LXXXIV – En mer

      Le jour suivant se leva un peu plus calme, quoique le vent soufflât toujours.

      Cependant le soleil s'était levé dans un de ces nuages rouges découpant ses rayons ensanglantés sur la crête des vagues noires. Du haut des vigies, on guettait impatiemment. Vers onze heures du matin, un bâtiment fut signalé: ce bâtiment arrivait à pleines voiles, deux autres le suivaient à la distance d'un demi-noeud.

      Ils venaient comme des flèches lancées par un vigoureux archer, et cependant la mer était si grosse, que la rapidité de leur marche n'ôtait rien aux mouvements du roulis qui couchait les navires tantôt à droite, tantôt à gauche.

      Bientôt la forme des vaisseaux et la couleur des flammes firent connaître la flotte anglaise. En tête marchait le bâtiment monté par la princesse, portant le pavillon de l'amirauté.

      Aussitôt le bruit se répandit que la princesse arrivait.

      Toute la noblesse française courut au port; le peuple se porta sur les quais et sur les jetées.

      Deux heures après, les vaisseaux avaient rallié le vaisseau amiral, et tous les trois, n'osant sans doute pas se hasarder à entrer dans l'étroit goulet du port, jetaient l'ancre entre Le Havre et la Hève. Aussitôt la manoeuvre achevée, le vaisseau amiral salua la France de douze coups de canon, qui lui furent rendus coup pour coup par le fort François Ier.

      Aussitôt cent embarcations prirent la mer; elles étaient tapissées de riches étoffes; elles étaient destinées à porter les gentilshommes français jusqu'aux vaisseaux mouillés.

      Mais en les voyant, même dans le port, se balancer violemment, en voyant au-delà de la jetée les vagues s'élever en montagnes et venir se briser sur la grève avec un rugissement terrible, on comprenait bien qu'aucune de ces barques n'atteindrait le quart de la distance qu'il y avait à parcourir pour arriver aux vaisseaux sans avoir chaviré.

      Cependant, un bateau pilote, malgré le vent et la mer, s'apprêtait à sortir du port pour aller se mettre à la disposition de l'amiral anglais. De Guiche avait cherché parmi toutes ces embarcations un bateau un peu plus fort que les autres, qui lui donnât chance d'arriver jusqu'aux bâtiments anglais, lorsqu'il aperçut le pilote côtier qui appareillait.

      – Raoul, dit-il, ne trouves-tu point qu'il est honteux pour des créatures intelligentes et fortes comme nous de reculer devant cette force brutale du vent et de l'eau?

      – C'est la réflexion que justement je faisais tout bas, répondit

      Bragelonne.

      – Eh bien! veux-tu que nous montions ce bateau et que nous poussions en avant? Veux-tu, de Wardes?

      – Prenez garde, vous allez vous faire noyer, dit Manicamp.

      – Et pour rien, dit de Wardes, attendu qu'avec le vent debout, comme vous l'aurez, vous n'arriverez jamais aux vaisseaux.

      – Ainsi, tu refuses?

      – Oui, ma foi! Je perdrais volontiers la vie dans une lutte contre les hommes, dit-il en regardant obliquement Bragelonne; mais me battre à coups d'aviron contre les flots d'eau salée, je n'y ai pas le moindre goût.

      – Et moi, dit Manicamp, dussé-je arriver jusqu'aux bâtiments, je me soucierais peu de perdre le seul habit propre qui me reste; l'eau salée rejaillit, et elle tache.

      – Toi aussi, tu refuses? s'écria de Guiche.

      – Mais tout à fait: je te prie de le croire, et plutôt deux fois qu'une.

      – Mais voyez donc, s'écria de Guiche; vois donc, de Wardes, vois donc, Manicamp; là-bas, sur la dunette du vaisseau amiral, les princesses nous regardent.

      – Raison de plus, cher ami, pour ne pas prendre un bain ridicule devant elles.

      – C'est ton dernier mot, Manicamp?

      – Oui.

      – C'est ton dernier mot, de Wardes?

      – Oui.

      – Alors j'irai tout seul.

      – Non pas, dit Raoul, je vais avec toi: il me semble que c'est chose convenue.

      Le fait est que Raoul, libre de toute passion, mesurant le danger avec sang-froid, voyait le danger imminent; mais il se laissait entraîner volontiers à faire une chose devant laquelle reculait de Wardes. Le bateau se mettait en route; de Guiche appela le pilote côtier.

      – Holà de la barque! dit-il, il nous faut deux places!

      Et roulant cinq ou dix pistoles dans un morceau de papier, il les jeta du quai dans le bateau.

      – Il paraît que vous n'avez pas peur de l'eau salée, mes jeunes maîtres? dit le patron.

      – Nous n'avons peur de rien, répondit de Guiche.

      – Alors, venez, mes gentilshommes.

      Le


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