Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre
était trop probe pour ne pas gémir de s'être parjuré.
Et, avec le remords, la jalousie aiguillonnait vivement le coeur du roi. Il ne prononça plus une parole, et, au lieu d'aller chez sa mère, ou chez la reine, ou chez Madame pour s'égayer un peu et faire rire les dames, ainsi qu'il le disait lui-même, il se plongea dans le vaste fauteuil où Louis XIII, son auguste père, s'était tant ennuyé avec Baradas et Cinq-Mars pendant tant de jours et d'années.
De Saint-Aignan comprit que le roi n'était pas amusable en ce moment-là. Il hasarda la dernière ressource et prononça le nom de Louise. Le roi leva la tête.
– Que fera Votre Majesté ce soir? Faut-il prévenir Mlle de La
Vallière?
– Dame! il me semble qu'elle est prévenue, répondit le roi.
– Se promènera-t-on?
– On sort de se promener, répliqua le roi.
– Eh bien! Sire?
– Eh bien! rêvons, de Saint-Aignan, rêvons chacun de notre côté; quand Mlle de La Vallière aura bien regretté ce qu'elle regrette le remords faisait son oeuvre, eh bien! alors, daignera-t-elle nous donner de ses nouvelles!
– Ah! Sire, pouvez-vous ainsi méconnaître ce coeur dévoué?
Le roi se leva rouge de dépit; la jalousie mordait à son tour. De Saint-Aignan commençait à trouver la position difficile, quand la portière se leva. Le roi fit un brusque mouvement; sa première idée fut qu'il lui arrivait un billet de La Vallière; mais, à la place d'un messager d'amour, il ne vit que son capitaine des mousquetaires debout et muet dans l'embrasure.
– Monsieur d'Artagnan! fit-il. Ah!.. Eh bien?
D'Artagnan regarda de Saint-Aignan. Les yeux du roi prirent la même direction que ceux de son capitaine. Ces regards eussent été clairs pour tout le monde; à bien plus forte raison le furent-ils pour de Saint-Aignan. Le courtisan salua et sortit. Le roi et d'Artagnan se trouvèrent seuls.
– Est-ce fait? demanda le roi.
– Oui, Sire, répondit le capitaine des mousquetaires d'une voix grave, c'est fait.
Le roi ne trouva plus un mot à dire. Cependant l'orgueil lui commandait de n'en pas rester là. Quand un roi a pris une décision, même injuste, il faut qu'il prouve à tous ceux qui la lui ont vu prendre, et surtout il faut qu'il se prouve à lui-même qu'il avait raison en la prenant. Il y a un moyen pour cela, un moyen presque infaillible, c'est de chercher des torts à la victime.
Louis, élevé par Mazarin et Anne d'Autriche, savait, mieux qu'aucun prince ne le sut jamais, son métier de roi. Aussi essaya- t-il de le prouver en cette occasion. Après un moment de silence, pendant lequel il avait fait tout bas les réflexions que nous venons de faire tout haut:
– Qu'a dit le comte? reprit-il négligemment.
– Mais rien, Sire.
– Cependant, il ne s'est pas laissé arrêter sans rien dire?
– Il a dit qu'il s'attendait à être arrêté, Sire.
Le roi releva la tête avec fierté.
– Je présume que M. le comte de La Fère n'a pas continué son rôle de rebelle? dit-il.
– D'abord, Sire, qu'appelez-vous rebelle? demanda tranquillement le mousquetaire. Un rebelle aux yeux du roi, est-ce l'homme qui, non seulement se laisse coffrer à la Bastille, mais qui encore résiste à ceux qui ne veulent pas l'y conduire?
– Qui ne veulent pas l'y conduire? s'écria le roi. Qu'entends-je là, capitaine? Êtes-vous fou?
– Je ne crois pas, Sire.
– Vous parlez de gens qui ne voulaient pas arrêter M. de La
Fère?..
– Oui, Sire.
– Et quels sont ces gens-là?
– Ceux que Votre Majesté en avait chargés, apparemment, dit le mousquetaire.
– Mais c'est vous que j'en avais chargé, s'écria le roi.
– Oui, Sire, c'est moi.
– Et vous dites que, malgré mon ordre, vous aviez l'intention de ne pas arrêter l'homme qui m'avait insulté?
– C'était absolument mon intention, oui, Sire.
– Oh!
– Je lui ai même proposé de monter sur un cheval que j'avais fait préparer pour lui à la barrière de la Conférence.
– Et dans quel but aviez-vous fait préparer ce cheval?
– Mais, Sire, pour que M. le comte de La Fère pût gagner Le Havre et, de là, l'Angleterre.
– Vous me trahissiez donc, alors, monsieur? s'écria le roi étincelant de fierté sauvage.
– Parfaitement.
Il n'y avait rien à répondre à des articulations faites sur ce ton. Le roi sentit une si rude résistance, qu'il s'étonna.
– Vous aviez au moins une raison, monsieur d'Artagnan, quand vous agissiez ainsi? interrogea le roi avec majesté.
– J'ai toujours une raison, Sire.
– Ce n'est pas la raison de l'amitié, au moins, la seule que vous puissiez faire valoir, la seule qui puisse vous excuser, car je vous avais mis bien à l'aise sur ce chapitre.
– Moi, Sire?
– Ne vous ai-je pas laissé le choix d'arrêter ou de ne pas arrêter M. le comte de La Fère?
– Oui, Sire; mais…
– Mais quoi? interrompit le roi impatient.
– Mais en me prévenant, Sire, que, si je ne l'arrêtais pas, votre capitaine des gardes l'arrêterait, lui.
– Ne vous faisais-je pas la partie assez belle, du moment où je ne vous forçais pas la main?
– À moi, oui, Sire; à mon ami, non.
– Non?
– Sans doute, puisque, par moi ou par le capitaine des gardes, mon ami était toujours arrêté.
– Et voilà votre dévouement, monsieur? un dévouement qui raisonne, qui choisit? Vous n'êtes pas un soldat, monsieur!
– J'attends que Votre Majesté me dise ce que je suis.
– Eh bien! vous êtes un frondeur!
– Depuis qu'il n'y a plus de Fronde, alors, Sire…
– Mais, si ce que vous dites est vrai…
– Ce que je dis est toujours vrai, Sire.
– Que venez-vous faire ici? Voyons.
– Je viens ici dire au roi: Sire, M. de La Fère est à la
Bastille…
– Ce n'est point votre faute, à ce qu'il paraît.
– C'est vrai, Sire, mais enfin, il y est, et, puisqu'il y est, il est important que Votre Majesté le sache.
– Ah! monsieur d'Artagnan, vous bravez votre roi!
– Sire…
– Monsieur d'Artagnan, je vous préviens que vous abusez de ma patience.
– Au contraire, Sire.
– Comment, au contraire?
– Je viens me faire arrêter aussi.
– Vous faire arrêter, vous?
– Sans doute. Mon ami va s'ennuyer là-bas, et je viens proposer à
Votre Majesté de me permettre de lui faire compagnie; que Votre
Majesté dise un mot, et je m'arrête moi-même; je n'aurai pas besoin du capitaine des gardes pour cela, je vous en réponds.
Le