La San-Felice, Tome 06. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 06 - Dumas Alexandre


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      La San-Felice, Tome 06

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      UN GRAIN

      On n'a pas oublié qu'après avoir été retenu depuis le 21 jusqu'au 23 janvier dans le port de Naples par les vents contraires, Nelson, profitant d'une forte brise au nord-ouest, avait enfin pu appareiller vers les trois heures de l'après-midi, et que la flotte anglaise, le même soir, avait disparu dans le crépuscule, à la hauteur de l'île de Capri.

      Fier de la préférence dont il était l'objet de la part de la reine, Nelson avait tout fait pour reconnaître cette faveur, et, depuis trois jours, lorsque les augustes fugitifs vinrent lui demander l'hospitalité, toutes les dispositions étaient prises à bord du Van-Guard pour que cette hospitalité fût la plus confortable possible.

      Ainsi, tout en conservant pour lui sa chambre de la dunette, Nelson avait fait préparer, pour le roi, pour la reine et pour les jeunes princes, la grande chambre des officiers à l'arrière de la batterie haute. Les canons avaient disparu dans des draperies, et chaque intervalle était devenu un appartement orné avec la plus grande élégance.

      Les ministres et les courtisans auxquels le roi avait fait l'honneur de les emmener à Palerme, étaient logés, eux, dans le carré des officiers, c'est-à-dire dans la partie de l'entre-pont autour de laquelle sont les cabines.

      Caracciolo avait fait encore mieux: il avait cédé son propre appartement au prince royal et à la princesse Clémentine, et le carré des officiers à leur suite.

      La saute de vent, à l'aide de laquelle Nelson avait pu lever l'ancre, avait eu lieu, comme nous l'avons dit, entre trois et quatre heures de l'après-midi. Il avait passé-nous parlons du vent-du sud à l'ouest-nord-ouest.

      A peine Nelson s'était-il aperçu de ce changement, qu'il avait donné à Henry, son capitaine de pavillon, qu'il traitait en ami plutôt qu'en subordonné, l'ordre d'appareiller.

      –Faut-il nous élever beaucoup au large de Capri? demanda le capitaine.

      –Avec ce vent-là, c'est inutile, répondit Nelson. Nous naviguerons grand largue.

      Henry étudia un instant le vent et secoua la tête.

      –Je ne crois pas que ce vent-là soit fait, dit-il.

      –N'importe, profitons-en tel qu'il est… Quoique je sois prêt à mourir et à faire tuer mes hommes, depuis le premier jusqu'au dernier, pour le roi et la famille royale, je ne verrai Leurs Majestés véritablement en sûreté que quand elles seront à Palerme.

      –Quels signaux faut-il faire aux autres bâtiments?

      –D'appareiller comme nous et de naviguer dans nos eaux, route de Palerme, manoeuvre indépendante.

      Les signaux furent faits, et, on l'a vu, l'appareillage eut lieu.

      Mais, à la hauteur de Capri, en même temps que la nuit, le vent tomba, donnant raison au capitaine de pavillon Henry.

      Ce moment d'accalmie donna le temps aux illustres fugitifs, malades et tourmentés depuis trois jours par le mal de mer, de prendre un peu de nourriture et de repos.

      Inutile de dire qu'Emma Lyonna n'avait point suivi son mari dans le carré des officiers, mais était restée près de la reine.

      Aussitôt le souper fini, Nelson, qui y avait assisté, remonta sur le pont. Une partie de la prédiction de Henry s'était déjà accomplie, puisque le vent était tombé, et il craignait pour le reste de la nuit, sinon une tempête, du moins quelque grain.

      Le roi s'était jeté sur son lit, mais ne pouvait dormir. Ferdinand n'était pas plus marin qu'homme de guerre. Tous les sublimes aspects et tous les grands mouvements de la mer, qui font le rêve des esprits poétiques, lui échappaient entièrement. De la mer, il ne connaissait que le malaise qu'elle donne et le danger dont elle menace.

      Vers minuit donc, voyant qu'il avait beau se retourner sur son lit, lui auquel le sommeil ne faisait jamais défaut, il se jeta à bas de son cadre, et, suivi de son fidèle Jupiter, qui avait partagé et partageait encore le malaise de son maître, sortit par le panneau de commandement et prit un des deux escaliers de la dunette.

      Au moment où sa tête dépassait le plancher, il vit à trois pas de lui Nelson et Henry, qui semblaient interroger l'horizon avec inquiétude.

      –Tu avais raison, Henry, et ta vieille expérience ne t'avait point trompé. Je suis un soldat de mer; mais, toi, tu es un homme de mer. Non-seulement le vent n'a point tenu, mais nous allons avoir un grain.

      –Sans compter, milord, répondit Henry, que nous sommes en mauvaise position pour le recevoir. Nous aurions dû faire même route que la Minerve.

      Nelson ne put réprimer un mouvement de mauvaise humeur.

      –Je n'aime pas plus que Votre Seigneurie cet orgueilleux Caracciolo qui la commande; mais il faut convenir, milord, que le compliment que vous vouliez bien me faire tout à l'heure, lui aussi le mérite. C'est un véritable homme de mer, et la preuve, c'est qu'en passant entre Capri et le cap Campanella, il a au vent Capri, – qui va adoucir pour lui la violence du grain que nous recevrons, sans en perdre une goutte de pluie ni une bouffée de vent, – et sous le vent tout le golfe de Salerne.

      Nelson se tourna avec inquiétude vers la masse noire qui se dressait devant lui et qui, du côté du sud-ouest, ne présente aucun abri.

      –Bon! dit-il, nous sommes à un mille de Capri.

      –Je voudrais en être à dix milles, dit Henry entre ses dents, mais pas assez bas, cependant, pour que Nelson ne l'entendît pas.

      Une rafale d'ouest passa, précurseur du grain dont parlait Henry.

      –Faites amener les perroquets et serrez le vent.

      –Votre Seigneurie ne craint point pour la mâture? demanda Henry.

      –Je crains la côte, voilà tout, répondit Nelson.

      Henry, de cette voix pleine et sonore du marin qui commande aux vents et aux flots, répéta le commandement, qui s'adressait à la fois aux matelots de quart et au timonier:

      –Amenez les perroquets! Lofez!

      Le roi avait entendu cette conversation et ce commandement sans rien y comprendre; seulement, il avait deviné qu'on était menacé d'un danger et que ce danger venait de l'ouest.

      Il acheva donc de monter sur la dunette, et, quoique Nelson n'entendît guère mieux l'italien que, lui, Ferdinand, n'entendait l'anglais, il lui demanda:

      –Est-ce qu'il y a du danger, milord?

      Nelson s'inclina, et, se tournant vers Henry:

      –Je crois que Sa Majesté me fait l'honneur de m'interroger, dit-il. Répondez, Henry, si vous avez compris ce qu'a demandé le roi.

      –Il n'y a jamais de danger, sire, répondit Henry, sur un bâtiment commandé par milord Nelson, parce que sa prévoyance va au-devant de tous les dangers; seulement, je crois que nous allons avoir un grain.

      –Un grain de quoi? demanda le roi.

      –Un grain de vent, répondit Henry ne pouvant s'empêcher de sourire.

      –Je trouve le temps assez beau cependant, dit le roi en regardant, au-dessus de sa tête, la lune qui glissait sur un ciel ouaté de nuages laissant entre eux des intervalles d'un bleu foncé.

      –Ce n'est point au-dessus de notre tête qu'il faut regarder, sire. C'est là-bas, à l'horizon, devant nous. Votre Majesté voit-elle cette ligne noire qui monte lentement dans le ciel et qui n'est séparée de la mer, aussi sombre qu'elle, que par un trait de lumière, qui semble un fil d'argent? Dans dix minutes elle éclatera au-dessus de nous.

      Une seconde bouffée de vent passa, chargée d'humidité; sous sa pression, le Van-Guard s'inclina et gémit.

      –Carguez la grande voile! dit Nelson laissant Henry continuer la conversation avec le roi et jetant ses commandements sans transmission intermédiaire. Hâlez bas le grand foc!

      Cette manoeuvre fut exécutée avec une promptitude qui indiquait que l'équipage en comprenait l'importance, et le vaisseau, déchargé d'une partie de sa toile, navigua sous sa brigantine, sous ses trois huniers et sous son


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