La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 08 - Dumas Alexandre


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quand la San-Felice fut un peu revenue à elle, que son coeur, encore bondissant dans sa poitrine, mais se calmant peu à peu, eut permis au cerveau de reprendre le fil de ses idées momentanément interrompu:

      –Tu l'as bien remercié, n'est-ce pas, lui dit Salvato, ce cher Michele? Car c'est à lui que nous devons le bonheur de nous revoir. Sans lui, à cette heure, au lieu de serrer entre tes bras un corps vivant qui t'aime, te répond, vit de ta vie et frissonne sous tes baisers, tu ne tiendrais qu'un cadavre froid, inerte, insensible, et avec lequel tu tenterais vainement de partager cette flamme précieuse qui, une fois éteinte, ne se rallume plus!

      –Mais non, dit avec étonnement Luisa; il ne m'a rien dit de tout cela, le mauvais garçon! Il m'a dit seulement que tu étais tombé aux mains des sanfédistes, et que, grâce à ton courage et à ton sang froid, tu t'en étais tiré.

      –Eh bien, dit Salvato, connais enfin ton frère de lait pour un affreux menteur. Moi, je m'étais laissé prendre comme un sot, et j'allais être pendu comme un chien, lorsque… Mais attends: sa punition va être de te raconter la chose lui-même.

      –Mon général, dit Michele, le plus pressé, je crois, est de faire passer la dépêche au général Schipani: elle doit être d'une certaine importance, à en juger par le danger que vous avez affronté pour vous la procurer. Il y a une barque en bas prête à partir au premier ordre que vous donnerez.

      –Es-tu sûr de ceux qui la montent?

      –Autant qu'un homme peut l'être d'autres hommes; mais au nombre des matelots, déguisé en matelot, sera Pagliucella, dont je suis sûr comme de moi-même. Je vais expédier la barque et la dépêche. Vous, pendant ce temps-là, racontez à Luisa comment je vous ai sauvé la vie: vous raconterez la chose beaucoup mieux que moi.

      Et, poussant Luisa dans les bras de Salvato, il referma la porte sur les deux amants, et descendit l'escalier en chantant la chanson, si populaire à Naples, des Souhaits, et qui commence par ce couplet:

      Que ne suis-je, hélas! l'enfant sans demeure

      Qui marche courbé sous son tombereau!

      Devant ton palais, j'irais à toute heure

      Criant: «Voici l'eau! Je suis porteur d'eau.»

      Tu dirais: «Quel est cet enfant qui crie?

      De cette eau qu'il vend qu'il me monte un seau.»

      Et je répondrais: «Cruelle Marie,

      Ce sont pleurs d'amour et non pas de l'eau!»

      LXVI

      LA NUIT DU 13 AU 14 JUIN

      La nuit du 13 au 14 juin descendit sombre sur cette plage couverte de cadavres et sur ces rues rouges de sang.

      Le cardinal Ruffo avait réussi dans son projet: avec son histoire de cordes et son apparition de saint Antoine, il était arrivé à allumer la guerre civile au coeur de Naples.

      Le Jeu avait cessé au pont de la Madeleine et sur la plage de Portici et de Resina; mais on se fusillait dans les rues de Naples.

      Les patriotes, voyant que l'on avait commencé à égorger dans les maisons, avaient résolu de ne pas attendre chez eux une mort sans vengeance.

      Chacun s'était donc armé, était sorti et s'était réuni au premier groupe qu'il avait rencontré, et, à chaque coin de rue où se rencontrait une patrouille de patriotes et une bande de lazzaroni, on échangeait des coups de fusil.

      Ces coups de fusil, qui avaient leur écho jusque dans le Château-Neuf, semblaient, comme autant de remords, venir dire à Salvato qu'il y avait quelque chose de mieux à faire que de dire à sa maîtresse qu'on l'aime, lorsque la ville est abandonnée à une populace sans frein comme sans pitié.

      D'ailleurs, il lui pesait lourdement d'avoir été deux heures le jouet de trente lazzaroni et de ne pas encore s'être vengé de cet affront.

      Michele, qui le fit demander, lui fut un prétexte pour sortir.

      Michele venait lui annoncer qu'il avait vu la barque se mettre en mer et Pagliucella prendre place au gouvernail.

      –Maintenant, lui dit Salvato, sais-tu où bivaquent Nicolino et ses hussards?

      –A l'Immacolatella, répondit Michele.

      –Où sont tes hommes? demanda Salvato.

      –Ils sont en bas, où je leur ai fait donner à boire et à manger. Ai-je mal fait?

      –Non pas, et, au contraire, ils ont bien gagné leur repos. Seulement, les crois-tu disposés à te suivre de nouveau?

      –Je les crois disposés à descendre en enfer ou à monter à la lune avec moi, mais à la condition que vous leur direz un mot d'encouragement.

      –Qu'à cela ne tienne. Allons!

      Salvato et Michele entrèrent dans la salle basse où les lazzaroni buvaient et mangeaient.

      A la vue de leur chef et du jeune officier, ils poussèrent des cris de «Vive Michele! Vive le général Salvato!»

      –Mes enfants, leur dit Salvato, si vous étiez réunis au grand complet, combien seriez-vous?

      –Six ou sept cents, au moins.

      –Où sont vos compagnons?

      –Heu! qui sait cela! répondirent deux autres lazzaroni en allongeant les lèvres.

      –Est-il impossible de réunir vos compagnons?

      –Impossible, non; difficile, oui.

      –Si je vous donnais à chacun deux carlins par homme que vous réunirez, regarderiez-vous toujours la chose comme aussi difficile?

      –Non; cela aiderait beaucoup.

      –Voilà d'abord deux ducats par homme; c'est sur le pied de dix compagnons chacun. Vous êtes payés d'avance pour trois cents.

      –A la bonne heure! voilà qui est parler. A votre santé, général!

      Puis, d'une seule voix:

      –Commandez, général, dirent-ils.

      –Écoute bien ce que je vais dire, Michele, et fais exécuter ponctuellement ce que j'aurai dit.

      –Vous pouvez être tranquille, mon général, je ne perdrai pas une de vos paroles.

      –Que chacun de tes hommes, reprit Salvato, réunisse le plus qu'il pourra de compagnons et se fasse chef de la petite bande qu'il aura réunie; prenez rendez-vous à la strada del Tendeno; une fois là, comptez-vous; si vous êtes quatre cents, divisez-vous en quatre bandes; si vous êtes six cents, en six; dans les rues de Naples, des bandes de cent hommes peuvent résister à tout, et, si elles sont résolues, tout vaincre. Quand onze heures sonneront à Castel-Capuano, mettez-vous en marche en poussant tout ce que vous rencontrerez sur Tolède et en tirant des coups de fusil pour indiquer où vous êtes. Trouvez-vous cela trop difficile?

      –Non, c'est bien facile, au contraire. Faut-il partir?

      –Pas encore. Trois hommes de bonne volonté.

      Trois hommes se présentèrent.

      –Vous êtes chargés tous trois de la même mission.

      –Pourquoi trois hommes là où il n'est besoin que d'un?

      –Parce que, sur trois hommes, deux peuvent être pris ou tués.

      –C'est juste, dirent les lazzaroni, à qui ce langage ferme et tranchant donnait un surcroît de courage.

      –Cette mission dont vous êtes chargés tous trois, c'est de parvenir, par où vous voudrez, par les chemins qu'il vous plaira de choisir, jusqu'au couvent de San-Martino, où sont réunis six ou sept cents patriotes que Mejean a refusé de recevoir à Saint-Elme: vous leur direz d'attendre onze heures.

      –Nous le leur dirons.

      –Aux premiers coups de fusil qu'ils jugeront partir de vos rangs, ils descendront sans résistance aucune; – ce


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