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pour lui ce sourire-là, c'était bien une invitation discrète, le signal rêvé qu'il attendait. Il voulait dire, ce sourire: « Êtes-vous bête, êtes-vous niais, êtes-vous jobard, d'être resté là, comme un pieu, sur votre siège depuis hier soir.

      « Voyons, regardez-moi, ne suis-je pas charmante? Et vous demeurez comme ça toute une nuit en tête à tête avec une jolie femme sans rien oser, grand sot. »

      Elle souriait toujours en le regardant; elle commençait même à rire; et il perdait la tête, cherchant un mot de circonstance, un compliment, quelque chose à dire enfin, n'importe quoi. Mais il ne trouvait rien, rien. Alors, saisi d'une audace de poltron, il pensa: « Tant pis, je risque tout »; et brusquement, sans crier « gare », il s'avança, les mains tendues, les lèvres gourmandes, et, la saisissant à pleins bras, il l'embrassa.

      D'un bond elle fut debout criant: « Au secours », hurlant d'épouvante. Et elle ouvrit la portière, elle agita ses bras dehors, folle de peur, essayant de sauter, tandis que Morin éperdu, persuadé qu'elle allait se précipiter sur la voie, la retenait par sa jupe en bégayant: « Madame… oh !.. madame. »

      Le train ralentit sa marche, s'arrêta. Deux employés se précipitèrent aux signaux désespérés de la jeune femme qui tomba dans leurs bras en balbutiant: « Cet homme a voulu… a voulu… me… me… » Et elle s'évanouit.

      On était en gare de Mauzé. Le gendarme présent arrêta Morin.

      Quand la victime de sa brutalité eut repris connaissance, elle fit sa déclaration. L'autorité verbalisa. Et le pauvre mercier ne put regagner son domicile que le soir, sous le coup d'une poursuite judiciaire pour outrage aux bonnes mœurs dans un lieu public.

II

      J'étais alors rédacteur en chef du Fanal des Charentes; et je voyais Morin, chaque soir, au Café du commerce.

      Dès le lendemain de son aventure, il vint me trouver, ne sachant que faire. Je ne lui cachai pas mon opinion: « Tu n'es qu'un cochon. On ne se conduit pas comme ça. »

      Il pleurait; sa femme l'avait battu; et il voyait son commerce ruiné, son nom dans la boue, déshonoré, ses amis, indignés, ne le saluant plus. Il finit par me faire pitié, et j'appelai mon collaborateur Rivet, un petit homme goguenard et de bon conseil, pour prendre ses avis.

      Il m'engagea à voir le procureur impérial, qui était de mes amis. Je renvoyai Morin chez lui et je me rendis chez ce magistrat.

      J'appris que la femme outragée était une jeune fille, Mlle Henriette Bonnel, qui venait de prendre à Paris ses brevets d'institutrice et qui, n'ayant plus ni père ni mère, passait ses vacances chez son oncle et sa tante, braves petits bourgeois de Mauzé.

      Ce qui rendait grave la situation de Morin, c'est que l'oncle avait porté plainte. Le ministère public consentait à laisser tomber l'affaire si cette plainte était retirée. Voilà ce qu'il fallait obtenir.

      Je retournai chez Morin. Je le trouvai dans son lit, malade d'émotion et de chagrin. Sa femme, une grande gaillarde osseuse et barbue, le maltraitait sans repos. Elle m'introduisit dans la chambre en me criant par la figure: « Vous venez voir ce cochon de Morin? Tenez, le voilà, le coco! »

      Et elle se planta devant le lit, les poings sur les hanches. J'exposai la situation; et il me supplia d'aller trouver la famille. La mission était délicate; cependant je l'acceptai. Le pauvre diable ne cessait de répéter: « Je t'assure que je ne l'ai pas même embrassée, non, pas même. Je te le jure! »

      Je répondis: « C'est égal, tu n'es qu'un cochon. » Et je pris mille francs qu'il m'abandonna pour les employer comme je le jugerais convenable.

      Mais comme je ne tenais pas à m'aventurer seul dans la maison des parents, je priai Rivet de m'accompagner. Il y consentit, à la condition qu'on partirait immédiatement, car il avait, le lendemain dans l'après-midi, une affaire urgente à la Rochelle.

      Et, deux heures plus tard, nous sonnions à la porte d'une jolie maison de campagne. Une belle jeune fille vint nous ouvrir. C'était elle assurément. Je dis tout bas à Rivet: « Sacrebleu, je commence à comprendre Morin. »

      L'oncle, M. Tonnelet, était justement un abonné du Fanal, un fervent coreligionnaire politique qui nous reçut à bras ouverts, nous félicita, nous congratula, nous serra les mains, enthousiasmé d'avoir chez lui les deux rédacteurs de son journal. Rivet me souffla dans l'oreille: « Je crois que nous pourrons arranger l'affaire de ce cochon de Morin. »

      La nièce s'était éloignée; et j'abordai la question délicate. J'agitai le spectre du scandale; je fis valoir la dépréciation inévitable que subirait la jeune personne après le bruit d'une pareille affaire; car on ne croirait jamais à un simple baiser.

      Le bonhomme semblait indécis; mais il ne pouvait rien décider sans sa femme qui ne rentrerait que tard dans la soirée. Tout à coup il poussa un cri de triomphe: « Tenez, j'ai une idée excellente. Je vous tiens, je vous garde. Vous allez dîner et coucher ici tous les deux; et, quand ma femme sera revenue, j'espère que nous nous entendrons. »

      Rivet résistait; mais le désir de tirer d'affaire ce cochon de Morin le décida; et nous acceptâmes l'invitation.

      L'oncle se leva, radieux, appela sa nièce, et nous proposa une promenade dans sa propriété en proclamant: « A ce soir les affaires sérieuses. »

      Rivet et lui se mirent à parler politique. Quant à moi, je me trouvai bientôt à quelques pas en arrière, à côté de la jeune fille. Elle était vraiment charmante, charmante !

      Avec des précautions infinies, je commençai à lui parler de son aventure pour tâcher de m'en faire une alliée.

      Mais elle ne parut pas confuse le moins du monde; elle m'écoutait de l'air d'une personne qui s'amuse beaucoup.

      Je lui disais: « Songez donc, mademoiselle, à tous les ennuis que vous aurez. Il vous faudra comparaître devant le tribunal, affronter les regards malicieux, parler en face de tout ce monde, raconter publiquement cette triste scène du wagon. Voyons, entre nous, n'auriez-vous pas mieux fait de ne rien dire, de remettre à sa place ce polisson sans appeler les employés; et de changer simplement de voiture. »

      Elle se mit à rire. « C'est vrai ce que vous dites! mais que voulez-vous? J'ai eu peur; et, quand on a peur, on ne raisonne plus. Après avoir compris la situation, j'ai bien regretté mes cris; mais il était trop tard. Songez aussi que cet imbécile s'est jeté sur moi comme un furieux, sans prononcer un mot, avec une figure de fou. Je ne savais même pas ce qu'il me voulait. »

      Elle me regardait en face, sans être troublée ou intimidée. Je me disais: « Mais c'est une gaillarde, cette fille. Je comprends que ce cochon de Morin se soit trompé.

      Je repris, en badinant: « Voyons Mademoiselle, avouez qu'il était excusable, car, enfin, on ne peut pas se trouver en face d'une aussi belle personne que vous sans éprouver le désir absolument légitime de l'embrasser. »

      Elle rit plus fort, toutes les dents au vent: « Entre le désir et l'action, monsieur, il y a place pour le respect. »

      La phrase était drôle, bien que peu claire. Je demandai brusquement: « Eh bien, voyons, si je vous embrassais, moi, maintenant; qu'est-ce que vous feriez? »

      Elle s'arrêta pour me considérer du haut en bas, puis elle dit, tranquillement: « Oh, vous, ce n'est pas la même chose. »

      Je le savais bien, parbleu, que ce n'était pas la même chose, puisqu'on m'appelait dans toute la province « le beau Labarbe ». J'avais trente ans, alors, mais je demandai: « Pourquoi ça? »

      Elle haussa les épaules, et répondit: « Tiens! parce que vous n'êtes pas aussi bête que lui. » Puis elle ajouta, en me regardant en dessous: « Ni aussi laid. »

      Avant qu'elle eût pu faire un mouvement pour m'éviter, je lui avais planté un bon baiser sur la joue. Elle sauta de côté, mais trop tard. Puis elle dit: « Eh bien vous n'êtes pas gêné non plus, vous. Mais ne recommencez pas ce jeu-là. »

      Je pris un air humble et je dis à mi-voix: « Oh! mademoiselle, quant à moi, si j'ai un désir au cœur, c'est de passer devant un tribunal


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