Correspondance, 1812-1876 — Tome 5. Жорж Санд
et vraiment fière de Napoléon Ier me paraissait un blasphème. Je l'aurais dit si je n'eusse craint d'empiéter sur le domaine de la politique, interdite au petit journal où j'insère cet article, à la demande de mon éditeur.
Vous m'avez fait espérer que je vous verrais un de ces jours, mon grand ami. J'ai tellement peur de vous manquer, que je ne bougerai pas de la semaine. Je vous aime de tout mon coeur.
G. SAND.
DLXXXVI
A M. ERNEST PÉRIGOIS, A LA CHÂTRE
Palaiseau, 26 mars 1865.
Cher ami, D'abord, dites à Angèle que je la remercie de sa pelote et de sa charmante lettre; j'attends encore que les dames Fleury m'envoient la première. Berthe m'a promis de me la faire parvenir, et puis Lina, et personne ne m'a tenu parole. Il faudra donc que j'aille moi-même réclamer mon bien; mais je vais très peu à Paris, et, quand j'y vais, c'est toujours pour quelque affaire pressée. Il y a des siècles que je n'ai fait de visites à mes amis. Il fait si froid et si humide pour se promener en sapin, que je remets au printemps les courses qui ne sont pas absolument obligatoires. Mes enfants sont paresseux pour venir à Palaiseau. Je le leur pardonne; ils ont été enrhumés comme des loups, et je suis un peu loin du chemin de fer, sans omnibus ni fiacre, avec des chemins souvent chétifs; mais je sais que la pièce de Maurice est reçue pour l'hiver prochain au Châtelet, et que son roman a paru.
Votre étude sur César est bien plus savante et plus approfondie que la mienne, et je la relirai avec soin quand je rendrai compte du second volume. Mais le journal qui m'a demandé ce travail et que je tiens à obliger parce qu'il appartient à Michel Lévy, mon éditeur, et qu'il est dirigé par notre ami Aucante, ne souffre ni longs développements, ni érudition trop sérieuse, ni allusions politiques. Il y en avait déjà un peu trop dans mon premier article. Mais, quant au jugement sur l'ouvrage, je n'ai pas eu à surmonter l'embarras que vous me supposez. Si j'eusse trouvé l'ouvrage mauvais, comme le journal n'eût pas inséré une critique trop rude, je n'eusse pas fait l'article. C'était bien simple. Je suis la première personne qui ait été à même de le lire, et mon compte rendu est le premier qui ait été fait. J'étais donc très libre de mon jugement et j'ai trouvé que le livre avait du mérite. Je savais pertinemment qu'il était tout entier, et sans correction aucune, du fait de celui qui le signe. Donc, je devais mon éloge impartial au talent, qui est réel. Quant à approuver la préface et à admirer César, le diable ne m'aurait pas fait départir de ma façon de penser, et je dois dire qu'on a bien pris la chose.
Cette publication sera un bien, en ce sens que, de tous côtés, on se met à faire ce que nous faisons: on démolit César, avec un peu plus ou un peu moins d'indulgence ou de passion; la critique le découronne généralement et il ne sortira pas blanc de la sellette où le livre impérial le fait asseoir. Bien peu de gens, en somme, savent l'histoire, et il est bon qu'on leur mette le nez dessus. Le livre n'aura pas de succès. C'est un talent froid et concis, sans profondeur réelle et qui n'a d'intérêt littéraire que pour les gens du métier. Encore tous ne sont pas comme moi, qui suis un peu panthéiste en fait d'art et qui aime toutes les manières, celles qui sont un peu exubérantes et celles qui ne le sont pas du lout. J'aime ce qui est bien fait, n'importe par quel procédé, et, pour mon compte, je n'en ai pas, ou, si j'en ai, c'est sans m'en rendre compte. Les lettrés sont généralement plus forts que moi sur ce point, et, quant au gros public, peu lui importe qu'on serve l'erreur ou la vérité, pourvu qu'on l'amuse ou l'étonne. Or il ne trouvera dans le livre impérial rien d'assez épicé pour lui et il ne l'achètera pas, c'a été ma première impression. Heureusement que les éditeurs n'ont pas de droits d'auteur à payer; car ils auraient fait là une mauvaise affaire.
Mais en voilà bien assez sur cela.
Quel rude et long hiver! J'attends la chaleur avec impatience. Du reste, je me plais ici: pays charmant, braves gens, solitude, silence, ouvriers avancés et pourtant sages, paysans laborieux, culture admirable, ni mendiants ni voleurs, pas de Parisiens, pas de flaneurs sur les chemins. Ce coin est inconnu, et, si ce pauvre Jean-Jacques l'eût découvert, il n'y serait pas mort de chagrin.
Bonsoir, mes chers enfants; embrassez pour moi les beaux mioches; rappelez-moi au souvenir de tous nos amis communs.
G. SAND.
Vous me demandez si je travaille. Oui certes, puisque je suis encore de ce monde. Je fais en même temps un roman pour ce printemps et une pièce pour l'hiver prochain. J'ai découvert que l'un me reposait de l'autre, et ça m'amuse comme ça.
DLXXXVII
A M. LOUIS RATISBONNE, A PARIS
Palaiseau, 30 mars 1865.
Votre bienveillante sympathie pour moi m'enhardit à vous demander, monsieur, votre appui pour mon fils. Son livre1, très enjoué à la surface, a, je crois, beaucoup de fond, car il fait revivre une figure de fantaisie que l'on peut croire historique, puisqu'elle résume une phase de l'état humain, si je puis dire ainsi. L'étude de cet être évanoui, l'homme d'il y a cinq cents ans, avec toutes ses erreurs, tous ses déportements, ses notions fausses, ses qualités natives, sa rudesse, son aveuglement et sa bonté, offre, je crois, quelque chose de plus sérieux que le récit des aventures arrangées pour le plaisir du lecteur; et, comme les aventures ne manquent pourtant pas dans ce roman et sont amusantes quand même, je crois, sans trop de prévention, maternelle, qu'il mérite quelque attention et l'encouragement de la critique sérieuse.
Me pardonnerez-vous de vous demander la vôtre pour qui n'oserait pas vous la demander lui-même, en vous promettant que nous en serons tous deux très flattés et très reconnaissants?
Agréez, monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
GEORGE SAND.
DLXXXVIII
A M. LEBLOIS, PASTEUR, A STRASBOURG
Palaiseau, 17 mai 1865.
J'apprends, monsieur, de quelle mortelle douleur vous avez été frappé. Ce n'est pas à vous, âme profondément religieuse, qu'il faut parler de courage et de foi. Vous en avez pour nous tous, pour vous-même par conséquent. Mais le courage et la foi n'empêchent pas la douleur d'être vive et cruelle, et vos amis, en respectant votre vraie piété, n'en plaignent pas moins votre infortune. Que leur affection et leur sollicitude adoucissent, autant que possible, le déchirement de votre âme, et veuillez me compter, monsieur, parmi ceux qui vous portent le plus sincère et le plus fervent intérêt.
GEORGE SAND.
DLXXXIX
A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON.(JÉROME). A PARIS
Palaiseau, 1er juin 1865.
Cher grand ami, Maurice m'envoie pour vous un mot du coeur que je vous transmets.
Si vous étiez un ambitieux, je vous dirais que ce qui arrive est bien heureux pour vous et vous place bien haut! Mais vous aimez le progrès pour lui-même et vous souffrez quand il s'arrête, même à votre profit. Et puis vous êtes loyal et votre âme souffre d'être méconnue. Je sens tout cela et je suis indignée de voir l'esprit du passé souffler sur toutes les idées vraies.
Quelle triste situation que celle d'un homme qui rêve le pouvoir absolu, et qui croit l'atteindre en étouffant la vérité! tout cela, voyez-vous, c'est la faute à César. On rêve de résumer, en soi une sagesse providentielle, et on oublie que les hommes d'aujourd'hui ont tous reçu de la Providence, c'est-à-dire de la loi qui préside à leur émancipation, une dose de sagesse qu'il faut connaître et consulter avant d'oser dire: «Il n'y a qu'un maître et c'est moi!» Comme c'est vieux, cette doctrine de l'autorité d'un seul, et comme c'est vide au temps où nous vivons! comme le genre humain tout entier proteste, sciemment ou non, contre