Ivanhoe. 2. Le retour du croisé. Вальтер Скотт

Ivanhoe. 2. Le retour du croisé - Вальтер Скотт


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doit songer à restituer le fief d'Ivanhoe,» dit Bracy, qui, après avoir pris une part glorieuse au tournoi, avait déposé son casque et son bouclier, et s'était de nouveau mêlé à la foule des seigneurs qui entouraient le prince.

      «Oui, ajouta Waldemar-Fitzurse, probablement ce jeune vainqueur va réclamer le château et le manoir que Richard lui avait assignés et que la générosité de votre altesse a depuis donnés à Front-de-Boeuf.»

      «Front-de-Boeuf, reprit Jean, est un homme qui avalerait trois manoirs comme celui d'Ivanhoe, plutôt que de rendre gorge d'un seul. Du reste, messieurs, j'espère qu'ici personne ne me contestera le droit de conférer les fiefs de la couronne aux fidèles serviteurs qui m'entourent, et qui sont prêts à remplir le service militaire d'usage, en place de ceux qui, abandonnant leur patrie, pour mener une vie vagabonde en pays étranger, ne peuvent offrir ici leurs bras lorsque les circonstances l'exigent.» Les assistans avaient trop d'intérêt dans la question pour ne point se ranger de l'avis du prince; aussi tous s'écrièrent à l'envi: «C'est un prince généreux que notre seigneur et maître, qui s'impose à lui-même la tâche de récompenser de fidèles serviteurs!» Tous prononcèrent ces paroles, car tous avaient obtenu déjà, ou espéraient obtenir des garanties pareilles à celles dont jouissait Front-de-Boeuf aux dépens des serviteurs et des favoris du roi Richard. Le prieur Aymer joignit son adhésion au sentiment général; seulement il fit observer que Jérusalem la sainte ne pouvait être appelée un pays étranger, qu'elle était la mère commune, Communis mater; mais il ne voyait pas, ajouta-t-il, comment le chevalier d'Ivanhoe pouvait employer cette excuse, puisque lui prieur savait de bonne part que les croisés, sous les ordres de Richard, n'avaient jamais été beaucoup plus loin qu'Ascalon, et que cette ville, comme tout le monde le savait, appartenait aux Philistins, sans avoir droit à aucun des priviléges de la Cité sainte.

      Waldemar, que la curiosité avait attiré près du lieu où Ivanhoe s'était évanoui, revint alors auprès de Jean. «Ce chevalier, dit-il, ne donnera probablement aucune inquiétude sérieuse à votre altesse, et ne cherchera pas à disputer à Front-de-Boeuf la possession de ses domaines? Il a reçu des blessures graves.» – «Quoi qu'il en soit, reprit Jean, il est le vainqueur du tournoi; et, fût-il dix fois notre ennemi, ou l'ami dévoué de notre frère, ce qui peut-être est la même chose, il faut soigner ses blessures; que notre chirurgien se rende auprès de lui.»

      Un sourire amer contracta les lèvres du prince, pendant qu'il prononçait ces paroles. Waldemar Fitzurse se hâta de répondre qu'Ivanhoe était déjà transporté hors de la lice, et sous la garde de ses amis. «Je l'avoue, j'ai éprouvé quelque émotion en voyant la douleur de la reine de la beauté et de l'amour, dont cet événement a changé la souveraineté éphémère en un véritable deuil; je ne suis pas homme à me laisser amollir par les plaintes d'une femme en faveur de son amant; mais lady Rowena a su réprimer son chagrin avec une telle dignité, qu'il s'est révélé seulement lorsque, les mains jointes, elle a fixé un oeil sec et tremblant sur le corps sans mouvement étendu devant elle.» «Qui est donc cette lady Rowena dont nous avons si souvent oui parler?» – «C'est une riche héritière saxonne, répondit le prieur Aymer, une rose de beauté, un joyau de richesses, la plus belle entre mille, un bouquet de myrrhe, une pelotte de camphre, une bonbonnière d'aromates.»

      «Eh bien! nous dissiperons ses chagrins, nous anoblirons son sang en lui faisant épouser un Normand; elle paraît mineure, c'est donc à nous qu'il appartient de la marier: qu'en dis-tu, de Bracy? ne serais-tu pas disposé à obtenir de belles terres en épousant une Saxonne, après avoir suivi l'exemple des amis de Guillaume-le-conquérant?» – «Si ses domaines me plaisent, milord, répondit de Bracy, il serait difficile que l'épouse ne me plût pas, et je serais bien reconnaissant à votre altesse de cet acte généreux qui remplirait toutes les promesses qu'elle a faites à son fidèle serviteur et vassal.» – «Nous ne l'oublierons pas, dit le prince, et, afin que nous puissions ici nous mettre à l'oeuvre sur-le-champ, dis à notre sénéchal d'inviter à notre banquet de ce soir lady Rowena et sa compagnie; c'est-à-dire son vilain rustaud de tuteur, et cet autre boeuf de Saxon, que le chevalier noir a terrassé dans le tournoi… De Bigot, dit-il à son sénéchal, tu emploieras dans notre seconde invitation des expressions si adroites, si polies et si engageantes, que l'orgueil de ces fiers Saxons ait lieu d'être content, et qu'il leur soit impossible de refuser; quoique, par les os de saint Thomas Becket, user de courtoisie avec de pareils gens, ce soit jeter des perles à des pourceaux.»

      Le prince Jean avait à peine achevé ces mots, qu'au moment où il allait donner le signal du départ, on vint lui remettre un billet cacheté. «D'où vient ce billet?» dit-il en regardant la personne qui venait de l'apporter. «Je l'ignore, mon prince, reprit celui-ci, mais c'est probablement d'un pays lointain; un Français me l'a remis, et il a dit avoir voyagé nuit et jour afin de l'apporter à votre altesse.»

      Le prince examina soigneusement l'adresse, puis le cachet, placé de manière à fixer la petite bande de soie qui entourait le billet, lequel cachet portait l'empreinte des trois fleurs de lis. Il ouvrit alors le billet avec une certaine émotion, qui s'augmenta visiblement à mesure qu'il en parcourait le contenu, dans lequel se trouvaient ces mots: «Prenez garde à vous, le diable est déchaîné.» Le prince Jean devint pâle comme la mort; il fixa d'abord les yeux à terre, puis les leva vers le ciel, comme un homme qui craint d'entendre sa dernière sentence. Remis cependant de sa frayeur, il prit à part Waldemar Fitzurse et de Bracy, pour leur communiquer le fatal billet.

      «C'est peut-être, dit le dernier, une fausse alarme ou une lettre fabriquée.» – «Non, reprit Jean, c'est bien la main et le sceau du roi de France.» – «Il est temps alors, dit Waldemar, de rassembler nos partisans, soit à Yorck, soit dans quelqu'autre lieu central; le moindre retard pourrait devenir funeste, et votre altesse doit couper court à ces momeries.» – «Et les communes ne doivent pas être mécontentées; ce serait le faire que de les priver de leurs jeux.» – «Il me semble, dit Waldemar, que l'on peut tout concilier. Le jour n'est pas encore très avancé; que la lutte des archers ait lieu sur-le-champ, et que le prix soit adjugé. Le prince aura ainsi rempli ses engagemens, et ôté à ce troupeau de serfs saxons tous sujets de plainte.»

      «Je te remercie, Waldemar, dit le prince Jean; tu me fais souvenir aussi que j'ai une dette à acquitter envers cet insolent paysan, qui hier a insulté notre personne. Le banquet aura lieu ce soir, ainsi que nous l'avons décidé. Quand ce serait la dernière heure de mon autorité, je veux la consacrer à la vengeance et au plaisir. A demain nos nouveaux soucis.»

      Le son des trompettes ramena bientôt les spectateurs qui avaient déjà commencé à s'éloigner du tournoi, et les hérauts d'armes proclamèrent que le prince, rappelé tout à coup par de hauts et puissans intérêts publics, serait obligé de renoncer aux fêtes du lendemain; que cependant, ne voulant pas priver tant de braves yeomen du plaisir de montrer devant lui leur adresse, il avait décidé que les jeux indiqués pour le jour suivant se célébreraient à l'instant même; que le prix du vainqueur devait être un cor de chasse monté en argent, un superbe baudrier en soie, et un médaillon de saint Hubert, patron des jeux champêtres.

      Plus de trente yeomen se présentèrent d'abord en qualité de compétiteurs; la plupart étaient des gardes forestiers et des sous-gardes des chasses royales de Need-wood et de Charn-wood. Cependant, lorsqu'ils se furent mutuellement reconnus et qu'ils virent à quels antagonistes ils auraient affaire, plus de vingt se retirèrent volontairement, pour ne pas s'exposer à la honte d'une défaite presque inévitable; car dans ces temps l'habileté de chaque bon tireur était aussi connue à plusieurs lieues à la ronde, que les qualités d'un cheval dressé à New-Market9 sont familières aujourd'hui à ceux qui fréquentent cet endroit renommé.

      Ainsi la liste des archers se trouva définitivement fixée au nombre de huit concurrens. Le prince Jean descendit de son trône pour examiner de plus près ces archers, dont plusieurs portaient une livrée royale. Sa curiosité ainsi satisfaite, il chercha des yeux l'objet de son ressentiment, qu'il aperçut debout, à la même place de la veille, et avec l'effronterie et le sang-froid dont il avait déjà donné des preuves. «Coquin, dit le prince Jean, je devinais à ton insolente fanfaronnade que tu ne serais pas un partisan du long but, et je vois que tu n'oses


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Ville d'Angleterre où ont lieu les courses de chevaux; elle est située à environ soixante milles de Londres, et il y existe encore un palais où descend la famille royale quand elle assiste à ces courses, instituées par Charles II.A. M.