Metella. Жорж Санд

Metella - Жорж Санд


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était un peu troublée, bah! elle l'a dit elle-même en confidence, à Aix, à une de ses amies intimes, qui l'a répété à tous les buveurs d'eau…

      – Mais qu'est-ce donc qu'elle a dit? s'écria le comte en coupant avec impatience un fruit et un peu de son doigt.

      – Elle a dit qu'à son arrivée en Italie elle était si aigrie contre l'injustice des hommes et si offensée d'avoir été victime de leurs calomnies, qu'elle se sentait disposée à fouler aux pieds les lois du préjugé, et à mener une aussi joyeuse vie que la plupart des grands personnages de ce pays-ci.»

      Le comte ôta son bonnet de voyage et le remit gravement sur sa tête sans dire une seule parole. Olivier continua.

      «Mais ce fut en vain. La noble lady fit ce voeu sans connaître son propre coeur. N'ayant point encore aimé, et s'en croyant incapable, elle allait y renoncer, lorsqu'un jeune homme tomba éperdument amoureux d'elle et lui écrivit sans façon pour lui demander un rendez-vous.

      – Vous a-t-on dit le nom de ce jeune homme? demanda Buondelmonte.

      – Ma foi! je ne m'en souviens plus. C'était un Florentin; et vous devez le connaître, car il est encore…»

      Le comte l'interrompit afin d'éluder la question: «Et que répondit lady Mowbray?

      – Elle accorda le rendez-vous, résolue à punir le jeune homme de sa fatuité et à le couvrir de ridicule. Elle avait préparé, à cet effet, je ne sais quel guet-apens de bonne compagnie, dont je ne sais pas bien les détails.

      – N'importe, dit le comte.

      – Le Florentin arriva donc; mais il était si beau, si aimable, si spirituel, que lady Mowbray chancela dans sa résolution. Elle l'écouta parler, hésita et l'écouta encore. Elle s'attendait à voir un impertinent qu'il faudrait châtier; elle trouva un jeune homme sincère, ardent et romanesque… Que vous dirai-je! Elle se sentit émue, et essaya pourtant de lui faire peur en lui parlant de prétendus dangers qui l'environnaient. Le Florentin était brave; il se mit à rire. Elle tenta alors de l'effrayer en le menaçant de sa froideur et de sa coquetterie; il se mit à pleurer, et elle l'aima… Si bien que le comte de… ma foi! je crois que son nom va me revenir… Buonacorsi… Belmonte… Buondelmonte, ah! m'y voici! le comte de Buondelmonte eut le pouvoir d'attendrir ce coeur rebelle. Lady Mowbray fixa à Florence ses affections et sa vie. Le comte de Buondelmonte fut son premier et son seul amant sur la joyeuse terre d'Italie. Maintenant que je vous ai raconté cette histoire telle qu'on me l'a donnée, dites-moi, vous qui êtes de Florence, si elle est vraie de tout point… Et cependant, si elle ne l'est pas, ne me dites pas que'c'est un conte fait à plaisir; il est trop beau pour que je sois désabusé sans regret!

      – Monsieur, dit le comte, dont la figure avait pris une expression grave et pensive, cette histoire est belle et vraie. Le comte de Buondelmonte a vécu dix ans le plus heureux et le plus envié des hommes aux pieds de lady Mowbray.

      – Dix ans! s'écria Olivier.

      – Dix ans, monsieur, reprit Buondelmonte. Il y a dix ans que ces choses se sont passées.

      – Dix ans! répéta le jeune homme; lady Mowbray ne doit plus être très-jeune.»

      Le comte ne répondit rien.

      «On m'a pourtant assuré à Aix, poursuivit Olivier, qu'elle était toujours belle comme un ange, qu'elle était grande, légère, agile, qu'elle galopait au bord des précipices sur un vigoureux cheval, qu'elle dansait à merveille. Elle doit avoir trente ans environ, n'est-ce pas, monsieur?

      – Qu'importe son âge! dit le comte avec impatience. Une femme n'a jamais que l'âge qu'elle paraît avoir, et tout le monde vous l'a dit: lady Mowbray est toujours belle. On vous l'a dit, n'est-ce pas?

      – On me l'a dit partout, à Aix, à Berne, à Gênes, dans tous les lieux où elle a passé.

      – Elle est admirée et respectée, dit le comte.

      – Oh! monsieur, vous la connaissez, vous êtes son ami peut-être? Je vous en félicite; quelle réputation plus glorieuse que celle de savoir aimer? Que ce Buondelmonte a dû être lier de retremper cette belle âme et de voir refleurir cette plante courbée par l'orage!»

      Le comte fit une légère grimace de dédain. Il n'aimait pas les phrases de roman, peut-être parce qu'il les avait aimées jadis. Il regarda fixement le Genevois; mais voyant que celui-ci se grisait décidément, il voulut en profiter pour échanger avec un homme sincère et confiant des idées qui le gênaient depuis longtemps.

      Sans se donner la peine de feindre beaucoup de désintéressement, car Olivier n'était plus en était de faire de très-clairvoyantes observations, le comte posa sa main sur la sienne, afin d'appeler son attention sur le sens de ses paroles.

      «Pensez-vous, lui demanda-t-il, qu'il ne soit pas plus glorieux pour un homme d'ébranler la réputation, d'une femme que de la rétablir quand elle a' reçu, à tort ou à raison de notables échecs?

      – Ma foi, ce n'est pas mon opinion, dit Olivier. J'aimerais mieux relever un temple que de l'abattre.

      – Vous êtes un peu romanesque, dit le comte.

      – Je ne m'en défends pas, cela est de mon âge; et ce qui prouve que les exaltés n'ont pas toujours tort, c'est que Buondelmonte fut récompensé d'une heure d'enthousiasme par dix ans d'amour.

      – Lui seul pourrait être juge dans cette question,» reprit le comte; et il se promena dans la chambre, les mains derrière le dos et le sourcil froncé. Puis, craignant de se laisser deviner, il jeta un regard de côté sur son compagnon. Olivier avait la tête penchée en avant, le coude dans son assiette, et l'ombre de ses cils, abaissés par un doux assoupissement, se dessinait sur ses joues, que la chaleur généreuse du vin colorait d'un rosé plus vif qu'à l'ordinaire. Le comte continua de marcher silencieusement dans la chambre jusqu'à ce que le claquement des fouets et les pieds des chevaux eussent annoncé que la calèche était prête. Le vieux domestique d'Olivier vint lui offrir une pelisse fourrée que le jeune homme passa en bâillant et en se frottant les yeux. Il ne s'éveilla tout à fait que pour prendre le bras de Buondelmonte et le forcer de monter le premier dans sa voiture, qui prit aussitôt la route, de Florence. «Parbleu! dit-il en regardant la nuit qui était sombre, ce temps de voleurs me rappelle une histoire que j'ai entendu raconter sur lady Mowbray.

      – Encore? dit le comte; lady Mowbray vous occupe beaucoup.

      – Ne me demandiez-vous pas quel trait de son caractère m'avait le plus enthousiasme? Je ne saurais dire lequel; mais voici une aventure qui m'a rendu plus envieux de voir lady Mowbray que Rome, Venise et Naples. Vous allez me dire si celle-là est aussi vraie que la première. Un jour qu'elle traversait les Apennins avec son heureux amant Buondelmonte, ils furent attaqués par des voleurs; le comte se défendit bravement contre trois hommes; il en tua un, et luttait contre les deux autres lorsque lady Mowbray, qui s'était presque évanouie dans le premier accès de surprise, s'élança hors de la calèche et tomba sur le cadavre du brigand que Buondelmonte avait tué. Dans ce moment d'horreur, ranimée par une présence d'esprit au-dessus de son sexe, elle vit à la ceinture du brigand un grand pistolet dont il n'avait pas eu le temps de faire usage, et que sa main semblait encore presser. Elle écarta cette main encore chaude, arracha le pistolet de la ceinture, et se jetant au milieu des combattants, qui ne s'attendaient à rien de semblable, elle déchargea le pistolet à bout portant dans la figure d'un bandit qui tenait Buondelmonte à la gorge. Il tomba roide mort, et Buondelmonte eut bientôt fait justice du dernier. N'est-ce pas là encore une belle histoire, monsieur?

      – Aussi belle que vraie, répéta Buondelmonte. Le courage de lady Mowbray la soutint encore quelque temps après cette terrible scène. Le postillon, à demi-mort de peur, s'était tapi dans un fossé, les chevaux effrayés avaient rompu leurs traits; le seul domestique qui accompagnât les voyageurs était blessé et évanoui. Buondelmonte et sa compagne furent obligés de réparer ce désordre en toute hâte; car à tout instant d'autres bandits, attirés par le bruit du combat, pouvaient fondre sur eux, comme cela arrive souvent. Il fallut battre le postillon pour le ranimer, bander la plaie du domestique, qui perdait tout son


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