Nos femmes de lettres. Flat Paul

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que l'on écarte l'hypothèse du devoir d'élève ou du pastiche prémédité, il faut toujours chercher un élément de sincérité dans cette ouverture sur l'âme humaine qu'est une page littéraire… Sincérité, c'est-à-dire aveu, confession, manifestation du trait individuel qui échappe à la conscience. Car, ne l'oublions pas, la sincérité est d'autant plus réelle qu'elle est plus inconsciente; on pourrait même soutenir qu'il n'y a de vraie sincérité que celle qui est parfaitement inconsciente de sa valeur, et je note, comme tout à fait digne qu'on s'y arrête pour la méditer, à notre époque de repliement et d'examen perpétuel, cette observation de Carlyle: «Toujours la caractéristique d'une bonne réalisation est une certaine spontanéité. Les gens bien portants ne connaissent pas leur santé, mais seulement les malades. De sorte que le vieux précepte du critique, si dur qu'il parût à son ambitieux disciple, pourrait contenir une vérité des plus fondamentales, applicable à nous tous et dans beaucoup de choses autres que la littérature: «Toutes les fois que vous avez écrit quelque phrase qui paraît particulièrement excellente, prenez garde de l'effacer.»

      Avec Thomas Carlyle, nous croyons à la valeur de cette spontanéité, jour ouvert sur une âme mise à nu. Eh bien, une sincérité, une spontanéité de cet ordre, nous allons les trouver, et ne ferons nulle difficulté de les reconnaître chez celle que l'on pouvait croire tout uniment composée d'artifice littéraire. Qu'on n'aille pas les chercher dans ses romans, où l'obligation de créer des personnages crée la nécessité correspondante d'ordonner des séries de sensations en leur imprimant l'unité – non point dans ses romans, mais dans ses poèmes, et parmi ceux-ci, dans ceux qui sont le plus proches de la sensation initiale. Le voici donc ce lien, qui rattache l'enfant à la mère. Attitude des personnages, style de l'auteur, et ce qu'il y a de tendu en lui, c'est bien influence romantique. Mais cette prédominance en eux de la sensation, pourquoi la chercher ailleurs qu'en Mme de Noailles, quand nous la voyons absorbante au point où nous la montrent certains de ses poèmes?

      Comment s'opère chez elle le contact avec la Nature? Quelles réactions détermine la sensation initiale? Lorsque nous nous trouvons en face d'un spectacle qui, pour une raison quelconque, suscite notre attention, le détail des objets qui le composent se fond presque toujours en une harmonieuse unité. Chez Mme de Noailles au contraire, les objets se présentent successivement avec tout le cortège des images qui peuvent impressionner la vue, l'ouïe, l'odorat. Je ne sais rien de plus curieux que cette pièce: le Verger, où vous suivrez leur succession:

      Dans le jardin sucré d'œillets et d'aromates,

      Lorsque l'aube a mouillé le serpolet touffu,

      Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,

      Chancellent, de rosée et de sève pourvus…

      L'air chaud sera laiteux, sur toute la verdure,

      Sur l'effort généreux et prudent des semis,

      Sur la salade vive et le buis des bordures,

      Sur la cosse qui gonfle et qui s'ouvre à demi.

      Des brugnons roussiront, sur leurs feuilles, collées

      Au mur où le soleil s'écrase chaudement;

      La lumière emplira les étroites allées,

      Sur qui l'ombre des fleurs est comme un vêtement.

      J'ai souligné exprès ce qui est plus particulièrement expressif de la sensation immédiate. En fait, c'est tout qu'il faudrait souligner, car c'est l'ensemble qui donne la vraie note de cette poésie. Quiconque a connu et goûté le genre de sensation que note ici Mme de Noailles, quiconque s'est trouvé, par un brûlant après-midi d'été, en face de ces objets qui, par le détail se mirent en elle, peut observer la saisissante exactitude du tableau qu'elle nous en présente. Mais qui donc serait habile à le présenter ainsi, s'il n'était doué, au préalable, de ce genre particulier de vision? La voilà bien la sincérité, sa sincérité à elle. Sincérité et Don, termes égaux, réciproquement convertibles. On ne saurait imaginer plus exacte correspondance entre la réalité précise vue par de certains yeux et la sensation du poète qui fixe cette réalité. Tellement absorbante que l'art la transforme à peine; il la fixe simplement, grâce à une intuition singulière de ses analogies, de ses correspondances avec les sens voisins. Cet autre petit tableau exquis: Le Jardin et la Maison donnera une idée exacte du talent de Mme de Noailles, de sa vraie sincérité, en face des spectacles de la Nature, que l'on ne peut s'empêcher d'opposer aux artifices littéraires constatés plus haut.

      Voici l'heure où le pré, les arbres et les fleurs

      Dans l'air dolent et doux soupirent leurs odeurs,

      Les baies du lierre obscur où l'ombre se recueille,

      Sentant venir le soir, se couchent dans leurs feuilles.

      Le jet d'eau du jardin qui monte et redescend

      Fait dans le bassin clair son bruit rafraîchissant.

      La paisible maison respire, au jour qui baisse,

      Les petits orangers fleurissants dans leurs caisses;

      Le feuillage qui boit les vapeurs de l'étang,

      Lassé des feux du jour, s'apaise et se détend.

      Peu à peu la maison entr'ouvre ses fenêtres,

      Où tout le soir vivant et parfumé pénètre,

      Et comme elle, penché sur l'horizon, mon cœur

      S'emplit d'ombre, de paix, de rêve et de fraîcheur.

      Pesez chaque mot, chaque groupe de mots, non seulement en lui-même, mais dans ses rapports avec le groupe voisin – puisque la beauté émane toujours d'un rapport – vous ne pourrez être qu'émerveillé de la perfection d'un tableau si mesuré, si éloigné du grossissement romantique, où toutes les sensations visuelles, olfactives, gustatives, s'appellent, se confondent, se pénètrent l'une l'autre, nous découvrant chez l'auteur un organisme merveilleusement approprié à ressentir comme à fixer ces correspondances dont Th. Gautier et Baudelaire firent le credo de leur esthétique, si bien que Mme de Noailles a pu très justement conclure dans son Offrande à la Nature:

      Nature au cœur profond, sur qui les cieux reposent,

      Nul n'aura comme moi, si chaudement aimé

      La lumière des jours et la douceur des choses,

      L'eau luisante, et la Terre où la vie a germé.

      La Forêt, les étangs, et la plaine féconde,

      Ont plus touché mes yeux que les regards humains.

      Je me suis appuyée à la beauté du Monde,

      Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.

      Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature.

      Ah! faut-il que mes yeux s'emplissent d'ombre un jour

      Et que j'aille au pays sans vent et sans verdure,

      Que ne visitent pas la lumière et l'amour!

      MADAME LUCIE DELARUE-MARDRUS

      Parmi la pureté du matin triomphant,

      Je vais, le souvenir encore si frais dans l'âme,

      Du temps où je n'étais qu'un embryon de femme,

      Qu'il me semble donner la main à quelque enfant.

      L'herbe est froide à mes pieds comme de l'eau qui coule.

      La mer au bord des prés vient chanter son bruit clair,

      Et la falaise aussi déferle dans la mer,

      De tout le terrain jaune et mou qui s'en éboule.

      Les troupeaux, comme au long d'un poème latin,

      Paissent avec des ronds de soleil sur leur croupe,

      Et


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