Partie carrée. Gautier Théophile

Partie carrée - Gautier Théophile


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aux parents les plus positifs et aux jeunes filles les plus romanesques.

      Elle avait même paru accepter volontairement les soins de M. de Volmerange, et, dans les entrevues qui avaient précédé l'arrangement de leur mariage, souvent ses yeux se tournaient vers le jeune comte avec une indéfinissable expression de mélancolie et d'amour. Mais, en général, la présence de M. de Volmerange causait à Édith un malaise et une inquiétude visibles seulement pour l'observateur, qui ne s'accordaient pas avec certains regards pleins d'un feu étrange pour une jeune fille d'ailleurs si modeste en apparence.

      Haïssait-elle, aimait-elle M. de Volmerange? C'était un mystère difficile à pénétrer. Si elle ne l'aimait pas, pourquoi l'épousait-elle? Si elle l'aimait, pourquoi cette pâleur, pourquoi ces larmes, pourquoi cet abattement?

      Édith, enfant unique, adorée de son père et de sa mère, n'avait qu'un mot à dire pour rompre cet hymen s'il lui déplaisait. Qui l'empêchait de dire ce mot? Tout autre mari proposé par elle eût été agréé de lord Harley et de sa femme, qui n'avaient d'autre but que le bonheur de leur fille chérie, et qu'aucun préjugé de caste n'eût décidé à la contrarier dans ses inclinations. Ils eussent accepté même un poète.

      Quand les femmes d'Édith se furent acquittées de leur service, rendu plus long par l'inertie et la préoccupation de la jeune fille, qui se prêtait à peine à leurs soins, elle leur fit signe qu'elle était fatiguée et désirait rester seule quelques instants.

      Aussitôt qu'elles se furent retirées, un coup porté discrètement avec le doigt, et qu'on aurait pu prendre pour ce petit bruit que fait derrière les tentures, en frappant la muraille de ses antennes, pour appeler sa femelle, cet insecte vulgairement nommé l'horloge de la mort, crépita dans l'angle de la chambre, à un endroit occupé par une porte condamnée.

      En entendant ce bruit, qui devait être un signal, Édith tressaillit comme si elle n'eût pas été prévenue. Une vive expression d'anxiété se peignit sur sa figure, et elle se leva brusquement du fauteuil où elle s'était jetée.

      Un second coup un peu plus fort, mais pourtant retenu, résonna au bout de quelques minutes.

      La jeune fille fit quelques pas chancelants vers la porte, et appuya ses mains sur son cœur, dont les battements l'étouffaient.

      Un troisième coup, sec, impérieux, et où le dépit semblait l'emporter sur la crainte d'être entendu d'une autre personne qu'Édith, annonça l'impatience du visiteur mystérieux.

      La pauvre Édith déplaça un petit meuble qui masquait à moitié la fausse porte, et tira les verrous d'une main tremblante.

      Une clef manœuvrée du dehors grinça dans la serrure, et le battant entre-bâillé et refermé aussitôt donna passage à un homme qui n'était pas M. de Volmerange.

      Le personnage introduit d'une façon si singulière et si secrète chez une jeune fille qui, dans quelques heures, devait être la femme d'un autre, avait une physionomie dont il eût été difficile de trouver d'abord le caractère. Son teint légèrement olivâtre, d'un ton mat, faisait ressortir deux yeux singulièrement mobiles et dont l'expression était amortie à dessein; la bouche était bien coupée; mais les lèvres, minces et serrées, semblaient garder un secret, et la lèvre inférieure, fréquemment mordue, indiquait des élans comprimés et des soumissions nécessaires acceptées par la volonté, mais non par le sang. Le nez, trop fin dans son arête, trop pointu malgré sa correction, donnait au reste de la figure une expression d'astuce. C'était une de ces têtes auxquelles ou ne saurait reprocher aucun défaut, que l'on est forcé d'avouer belles, et qui pourtant produisent un effet de répulsion dont on ne peut se rendre compte. Cette figure attirait et repoussait à la fois par une espèce de grâce dangereuse et de charme inquiétant. Les couleurs qui brillent gaiement sur l'aile de l'oiseau prennent, sans perdre de leur éclat, sur la peau tachetée du reptile, une nuance malsaine et venimeuse qui fait qu'on admire et qu'on est effrayé. L'homme à qui miss Édith venait d'ouvrir cette porte condamnée pour tous était joli comme une vipère et charmant comme un tigre. Lui assigner un âge eût été difficile. Son front lisse n'offrait aucune de ces rides, aucun de ces plis au moyen desquels les dates s'écrivent sur la face humaine; il aurait paru sorti à peine de l'adolescence sans cette froideur glaciale et cette absence de spontanéité, signe d'une longue dissimulation; ce n'était pas un visage, c'était un masque.

      Son vêtement était noir et brun d'une teinte neutre, et, quoique soigné dans un parti pris d'élégance austère, n'attirait l'œil par aucun détail visible et ne laissait dans la mémoire aucune trace.

      Il y eut un moment de silence pénible; Édith, embarrassée, semblait attendre que l'inconnu prît la parole; mais celui-ci ne paraissait pas disposé à lui éviter cette peine. Son attitude était respectueuse plutôt par habitude prise que par déférence réelle, et il laissait tomber d'aplomb sur la jeune fille un regard de maître.

      – Vous persistez donc, dit Édith en faisant un effort sur elle-même, à vouloir que je sois la femme de M. de Volmerange?

      – Ce n'est pas à présent que je changerais d'avis; ce mariage est plus que jamais nécessaire.

      – Vous savez cependant qu'il est impossible.

      – Si peu impossible, que, dans deux heures, il sera fait.

      – Écoutez, Xavier, il en est temps encore; ne me forcez pas à commettre un mensonge devant Dieu et les hommes; je puis me jeter aux pieds de mes parents, leur avouer tout, obtenir mon pardon… et le vôtre: mon crime est grand, mais leur indulgence est sans bornes.

      – Ne faites pas cela, je vous démentirais.

      – Si je prenais toute la faute sur moi?

      – Je soutiendrais que j'ai toujours été un étranger pour vous.

      – Cependant j'ai là des preuves qui pourraient vous confondre, s'écria Édith avec indignation en courant vers un petit coffret dont elle souleva le double fond.

      – Vous croyez! répondit Xavier, dont un sourire ironique crispa les lèvres minces.

      De ses mains convulsives, Édith fouilla violemment le coffret, d'où elle retira quelques papiers que la façon dont ils étaient pliés indiquait avoir été des lettres.

      Elle en déplia une feuille et la jeta à terre: elle était blanche. Elle en fit autant d'une seconde et d'une troisième.

      Alors, elle laissa tomber le paquet, et ses bras découragés s'affaissèrent le long de son corps.

      Toute trace d'écriture avait disparu! Les lettres étaient redevenues de simples feuilles de papier.

      – Heureusement, votre encre, miss Édith, était de meilleure composition que la mienne. Les menus caractères tracés par votre jolie main sont encore parfaitement visibles sur les billets que vous avez daigné m'écrire.

      – Xavier, il y a dans tout ceci une énigme que je ne puis comprendre… Je suis jeune, je suis belle; vous me l'avez dit sur plus de tons que le serpent n'en prit pour séduire Ève; l'unique faute de ma vie a été commise pour vous. Seul, vous avez le droit de me trouver innocente; ma fortune est considérable; le nom de ma famille compte parmi les plus honorables de l'Angleterre et n'a jamais été taché que par moi. Cette souillure inconnue, d'un mot vous la pouvez laver. Vous n'avez d'autres ressources que celles que vous donne votre instruction, qui vous rend digne d'un rang supérieur à celui que vous occupez. En m'épousant, vous voyez un monde nouveau s'ouvrir devant vous; de l'ombre, vous passez à la lumière; votre existence s'agrandit; vous pouvez déployer dans une vaste sphère les talents que vous possédez. Ce qui était chimère devient désir raisonnable. La politique et la diplomatie n'ont rien de trop haut pour vous.

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