Private Letters of Edward Gibbon (1753-1794) Volume 2 (of 2). Edward Gibbon
vous ignorez jusqu'à quel point vous l'avez, que ma carrière politique a été plus semée d'épines que de roses. Eh! quel objet, quel motif, pourroit me consoler de l'ennui des affaires, et de la honte de la dépendance? La gloire? Comme homme de lettres, j'en jouis, comme orateur je ne l'aurai jamais, et le nom des simples soldats est oublié dans les victoires aussi bien que dans les défaites. Le devoir? Dans ces combats à l'aveugle, où les chefs ne cherchent que leur avantage particulier, il y a toujours à parier que les subalternes feront plus de mal que de bien. L'attachement personnel? Les ministres sont rarement dignes de l'inspirer; jusqu'à présent Lord North n'a pas eu à se plaindre de moi, et si je me retire du Parlement, il lui sera très aisé d'y substituer un autre muet, tout aussi affidé que son ancien serviteur. Je suis intimément convaincu, et par la raison, et par le sentiment, qu'il n'y a point de parti, qui me convienne aussi bien que de vivre avec vous, et auprès de vous à Lausanne; et si je parviens à la place (Commissioner of the Excise or Customs) où je vise, il y aura toutes les semaines cinq longues matinées, qui m'avertiront de la folie de mon choix. Vous vous trompez à la vérité à l'égard de l'instabilité de ces emplois; ils sont presque les seuls qui ne ressentent jamais des révolutions du ministère.
Cependant si cette place s'offroit bientôt, je n'aurois pas le bon sens et le courage de la refuser. Quels autres conseillers veux-je prendre, sinon mon cœur et ma raison? Il en est de puissans et toujours écoutés: les égards, la mauvaise honte, tous mes amis, ou soi-disant tels, s'écrieront que je suis un homme perdu, ruiné, un fou qui se dérobe à ses protecteurs, un misanthrope qui s'exile au bout du monde, et puis les exagérations sur tout ce qui seroit fait en ma faveur, si surement, si promptement, si libéralement. Mylord Sheffield opinera à me faire interdire et enfermer; mes deux tantes et ma belle mère se plaindront que je les quitte pour jamais, &c. Et l'embarras de prendre mon bonnet de nuit, comme disoit le sage Fontenelle, lorsqu'il n'etoit question que de decoucher, combien de bonnets de nuit ne me faudra-t-il pas prendre, et les prendre tout seul? car tout le monde, amis, parens, domestiques, s'opposera à ma fuite. Voilà à la vérité des obstacles assez peu redoutables, et en les décrivant, je sens qu'ils s'affoiblissent dans mon esprit. Grace à ce long bavardage vous connoissez mon intérieur, comme moi même, c'est à dire assez mal; mais cette incertitude, très amicale pour moi, seroit très facheuse pour vous. Votre réponse me parviendra vers la fin de Juillet, et huit jours après, je vous promets une réplique nette et décisive: je pars ou je reste. Si je pars, ce sera au milieu de Septembre; je mangerai les raisins de votre treille les premiers jours d'Octobre, et vous aurez encore le tems de me charger de vos commissions. Ne me dites plus, Monsieur, et très cher ami; le premier est froid, le second est superflu.*
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M. Deyverdun à M. Gibbon
*Me voilà un peu embarrassé actuellement; je ne dois vous appeller ni Monsieur, ni ami. Eh bien! vous saurez qu'étant parti Samedi de Strasbourg, pendant que je venois ici, votre seconde lettre alloit là, et qu'ainsi je reçus votre troisième, Dimanche, et votre seconde, hier. La mention que vous y faisiez du Suisse George, dont je n'ai pu rien trouver dans la première, m'a fait comprendre qu'il y en avoit une seconde, et j'ai cru devoir attendre un courier, la troisième n'exigeant pas de réponse.
Pour votre parole, permettez que je vous en dispense encore, et même jusqu'au dernier jour, je sens bien qu'un procédé contraire vous conviendroit; mais certes il ne me convient pas du tout. Ceci, comme vous le dites, est une espèce de mariage, et pensez vous que malgré les engagemens les plus solemnels, je n'eusse pas reconduit chez elle, du pied des autels, la femme la plus aimable qui m'eut temoigné des regrets? Jamais je ne me consolerois, si je vous voyois mécontent dans la suite, et dans le cas de me faire des reproches. C'est à vous à faire, si vous croyez nécessaire, des démarches de votre côté, qui fortifient votre résolution; pour moi, je n'en ferai point d'essentielles, jusqu'à ce que j'aye reçu encore une lettre de vous. Après ce petit préambule, parlons toujours comme si l'affaire étoit décidée, et repassons votre lettre. Tout ce que vous dites des grandes et petites villes, est très vrai, et votre comparaison des détroits et de la pleine mer, est on ne peut pas plus juste et agréable; mais enfin, comme on fait son lit, on se couche, disoit Sancho Pancha d'agréable mémoire, et qui peut mieux faire son lit à sa guise qu'un étranger, qui, n'ayant ni devoirs d'état ni de sang à remplir, peut vivre entièrement isolé, sans que personne y puisse trouver à redire? Moi même, bourgeois et citoyen de la ville, je suis presqu'entièrement libre. L'été, par exemple, je déteste de m'enfermer le soir dans des chambres chaudes, pour faire une partie. Eh bien! on m'a persécuté un peu la première année; à présent on me laisse en repos. Il y aura sans doute quelque changement dans votre manière de vivre: mais il me semble qu'on se fait aisément à cela. Les dîners, surtout en femmes, sont très rares; les soupers peu grands; on reste plutôt pour être ensemble, que pour manger, et plusieurs personnes ne s'asseyent point. Je crois, tout compté et rabattu, que vouz aurez encore plus de tems pour le cabinet qu'à Londres; on sort peu le matin, et quand nos amis communs viendront chez moi, et vous demanderont, je leur dirai; "ce n'est pas un oisif comme vous autres, il travaille dans son cabinet," et ils se tairont respectueusement.
Pour les bibliothèques publiques, votre idée ne pourroit, je pense, se réaliser pour un lecteur ou même un écrivain ordinaire, mais un homme qui joue un rôle dans la république des lettres, un homme aimé et considéré, trouvera, je m'imagine, bien des facilités; d'ailleurs, j'ai de bons amis à Berne, et je prendrai ici des informations.
Passons à la table. Si j'étois à Lausanne, cet article seroit plus sûr, je pourrois revoir mes papiers, consulter; j'ai une chienne de mémoire. A vue de pays cela pourra aller de 20 à 30 Louis par mois, plus ou moins, vous sentez, suivant la friandise, et le plus ou moins de convives. Marquez moi dans votre première combien vous coûte le vôtre.
SOCIAL HABITS AT LAUSANNE.
Je sens fort bien tous les bonnets de nuit: point de grands changemens sans embarras, même sans regrets; vous en aurez quelquefois sans doute: par exemple, si votre salle à manger, votre salle de compagnie, sont plus riantes, vous perdrez pour le vase de la bibliothèque. Pour ce qui est des représentations, des discours au moins inutiles, il me semble que le mieux seroit de masquer vos grandes opérations, de ne parler que d'une course, d'une visite chez moi, de six mois ou plus ou moins. Vous feriez bien, je pense, d'aller chez mon ami Louis Teissier; c'est un brave et honnête homme, qui m'est attaché, qui aime notre pays; il vous donnera tout plein de bons conseils avec zèle, et vous gardera le secret.
Vous aurez quelquefois à votre table un poëte; – oui, Monsieur, un poëte: – nous en avons un enfin. Procurez vous un volume 8vo. Poësies Helvétiennes, imprimées l'année passée chez Mouser, à Lausanne.44 Vouz trouverez entr'autres dans l'épitre au jardinier de la grotte, votre ami et votre parc. Toute la prose est de votre très humble serviteur, qui désire qu'elle trouve grace devant vous.
Le Comte de Cagliostro45 a fait un séjour à Londres. On ne sait qui il est, d'où il est, d'où il tire son argent; il exerce gratis ses talens pour la médecine; il a fait des cures admirables; mais c'est d'ailleurs le composé le plus étrange. J'ai cessé de prendre ses remèdes qui m'échauffoient – l'homme d'ailleurs me gâtoit le médecin. Je suis revenu à Basle avec mon ami. Adieu; récrivez moi le plutôt possible.*
464.
A. M. Deyverdun
HIS DECISION TO LEAVE ENGLAND.
*Après avoir pris ma résolution, l'honneur, et ce qui vaut encore mieux l'amitié, me défendent de vous laisser un moment dans l'incertitude. Je pars. Je vous en donne ma parole, et comme je suis bien aise de me fortifier d'un nouveau lien, je vous prie très sérieusement de ne pas m'en dispenser. Ma possession, sans doute, ne vaut pas celle de Julie; mais vous serez plus inexorable que St. Preux. Je ne sens plus qu'une vive impatience pour notre réunion. Mais le mois d'Octobre est encore loin; 92 jours, et nous aurons tout le tems de prendre, et de nous donner des éclaircissemens dont nous avons besoin. Après un mûr examen, je renonce
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Cagliostro, whose real name is said to have been Giuseppe Balsamo, came to Strasbourg in 1780. Jean Benjamin de la Borde, in his