Jim Harrison, boxeur. Артур Конан Дойл
à l'escadre de blocus sur laquelle servait mon père.
La ligne de vaisseaux de guerre louvoyant au large de Brest n'avait guère que de l'honneur à gagner. Mais les frégates qui les accompagnaient firent la capture d'un bon nombre de navires caboteurs, et, comme conformément aux règles de service elles étaient considérées comme dépendant de la flotte, le produit de leurs prises était réparti au marc le franc.
Mon père fut ainsi a même d'envoyer à la maison des sommes suffisantes pour faire vivre le cottage et payer mon séjour à l'école que dirigeait Mr Joshua Allen.
J'y restai quatre ans et j'appris tout ce qu'il savait.
Ce fut à l'école d'Allen que je fis la connaissance de Jim Harrison, du petit Jim, comme on la toujours appelé. Il était le neveu du champion Harrison, de la forge du village.
Je me le rappelle encore, tel qu'il était en ce temps-là, avec ses grands membres dégingandés, aux mouvements maladroits comme ceux d'un petit terre-neuve, et une figure qui faisait tourner la tête à toutes les femmes qui passaient.
C'est de ce temps-là que date une amitié qui a duré toute notre vie. Je lui appris ses lettres, car il avait horreur de la vue d'un livre, et de son côté, il m'enseigna la boxe et la lutte, il m'apprit à chatouiller la truite dans l'Adur, à prendre des lapins au piège sur la dune de Ditchling, car il avait la main aussi leste qu'il avait le cerveau lent.
Mais il était mon aîné de deux ans, de sorte que longtemps avant que j'aie quitté l'école, il était allé aider son oncle à la forge.
Friar's Oak est situé dans un pli des Dunes et la quarantième borne milliaire entre Londres et Brighton est posée sur la limite même du village.
Ce n'est qu'un hameau, à l'église vêtue de lierre, avec un beau presbytère et une rangée de cottages en briques rouges, dont chacun est isolé par son jardinet.
À une extrémité du village se trouvait la forge du champion
Harrison, à l'autre l'école de Mr Allen.
Le cottage jaune, un peu à l'écart de la route, avec son étage supérieur en surplomb et ses croisillons de charpente noircie fixés dans le plâtre, c'est celui que nous habitions.
Je ne sais s'il est encore debout.
Je crois que c'est assez probable, car ce n'est pas un endroit propre à subir des changements.
Juste en face de nous, sur l'autre bord de la large route blanche, était située l'auberge de Friar's Oak tenue en mon temps par John Cummings.
Ce personnage jouissait d'une très bonne réputation locale, mais quand il était en voyage, il était sujet à d'étranges dérangements, ainsi qu'on le verra plus tard.
Bien quil y eut un courant continu de commerce sur la route, les coches venant de Brighton en étaient encore trop près pour faire halte et ceux de Londres trop pressés d'arriver à destination, de sorte que s'il n'avait pas eu la chance d'une jante brisée, d'une roue disjointe, l'aubergiste n'aurait pu compter que sur la soif des gens du village.
C'était juste l'époque où le prince de Galles venait de construire à Brighton son bizarre palais près de la mer.
En conséquence, depuis mai jusqu'en septembre, il ne s'écoulait pas un jour que nous ne vissions défiler à grand bruit, devant nos portes, une ou deux centaines de phaétons.
Le petit Jim et moi, nous avons passé maintes soirées d'été allongés dans l'herbe à contempler tout ce grand monde, à saluer de nos cris les coches de Londres, arrivant avec fracas, au milieu d'un nuage de poussière et les postillons penchés en avant, les trompettes retentissantes, les cochers coiffés de chapeaux bas à bords très relevés, avec la figure aussi cramoisie que leurs habits.
Les voyageurs riaient toujours quand le petit Jim les interpellait à haute voix, mais s'ils avaient su comprendre ce que signifiaient ses gros membres mal articulés, ses épaules disloquées, ils l'auraient peut-être regardé de plus près et lui auraient accordé leurs encouragements.
Le petit Jim n'avait connu ni son père ni sa mère, et toute sa vie s'était écoulée chez son oncle, le champion Harrison. Harrison, c'était le forgeron de Friar's Oak.
Il avait reçu ce surnom, le jour où il avait combattu avec Tom Johnson, qui était alors en possession de la ceinture d'Angleterre, et il l'aurait sûrement battu sans l'apparition des magistrats du comté de Bedford qui interrompirent la bataille.
Pendant des années, Harrison n'eut pas son pareil pour l'ardeur à combattre et pour son adresse à porter un coup décisif, bien qu'il ait toujours été, à ce que lon dit, lent sur ses jambes.
À la fin, dans un match avec le juif Baruch le noir, il termina le combat par un coup lancé à toute volée, qui non seulement rejeta son adversaire par-dessus la corde d'arrière, mais qui encore le mit pendant trois longues semaines entre la vie et la mort.
Harrison fut, pendant tout ce temps-là, dans un état voisin de la folie. Il s'attendait d'heure en heure à se voir prendre au collet par un agent de Bow Street et condamner à mort.
Cette mésaventure, ajoutée aux prières de sa femme, le décida à renoncer pour toujours au champ clos et à réserver sa grande force musculaire pour le métier où elle paraissait devoir trouver un emploi avantageux.
Grâce au trafic des voyageurs et aux fermiers du Sussex, il devait avoir de l'ouvrage en abondance à Friar's Oak.
Il ne tarda pas longtemps à devenir le plus riche des gens du village; et quand il se rendait, le dimanche, à l'église avec sa femme et son neveu, c'était une famille d'apparence aussi respectable qu'on pouvait le désirer. Il n'était point de grande taille, cinq pieds sept pouces au plus, et l'on disait souvent que s'il avait pu allonger davantage son rayon d'action, il aurait été en état de tenir tête à Jackson ou à Belcher, dans leurs meilleurs jours.
Sa poitrine était un tonneau.
Ses avant-bras étaient les plus puissants que j'aie jamais vus, avec leurs sillons profonds, entre des muscles aux saillies luisantes, comme un bloc de roche polie par l'action des eaux.
Néanmoins, avec toute cette vigueur, c'était un homme lent, rangé, doux, en sorte que personne n'était plus aimé que lui, dans cette région campagnarde.
Sa figure aux gros traits, bien rasée, pouvait prendre une expression fort dure, ainsi que je l'ai vu à l'occasion, mais pour moi et tous les bambins du village, il nous accueillait toujours un sourire sur les lèvres, et la bienvenue dans les yeux. Dans tout le pays, il n'y avait pas un mendiant qui ne sût que s'il avait des muscles d'acier, son coeur était des plus tendres.
Son sujet favori de conversation, c'était ses rencontres d'autrefois, mais il se taisait, dès qu'il voyait venir sa petite femme, car le grand souci qui pesait sur la vie de celle-ci était de lui voir jeter là le marteau et la lime pour retourner au champ clos. Et vous n'oubliez pas que son ancienne profession n'était nullement atteinte à cette époque de la déconsidération qui la frappa dans la suite. L'opinion publique est devenue défavorable, parce que cet état avait fini par devenir le monopole des coquins et parce qu'il encourageait les méfaits commis sur l'arène.
Le boxeur honnête et brave a vu lui aussi se former autour de lui un milieu de gredins, tout comme cela arrive pour les pures et nobles courses de chevaux. C'est pour cela que l'Arène se meurt en Angleterre et nous pouvons supposer que quand Caunt et Bendigo auront disparu, il ne se trouvera personne pour leur succéder. Mais il en était autrement à l'époque dont je parle.
L'opinion publique était des plus favorables aux lutteurs et il y avait de bonnes raisons pour qu'il en fût ainsi.
On était en guerre. L'Angleterre avait une armée et une flotte composées uniquement de volontaires, qui s'y engageaient pour obéir à leur instinct batailleur, et elle avait en face d'elle un pays où une loi despotique pouvait faire de chaque citoyen un soldat.
Si le peuple n'avait pas eu en surabondance cette humeur batailleuse, il est certain que l'Angleterre aurait succombé.
On pensait donc et on pense encore