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deux à deux, était privée de son sujet de conversation ordinaire maintenant qu'elles étaient réunies toutes ensemble, en petit comité d'amitié, et que par conséquent il n'y avait rien de mieux à faire que de se liguer contre l'ennemi commun.

      En vertu de ces considérations, une grosse dame ouvrit le feu en commençant par demander, d'un air d'intérêt sympathique, comment se portait M. Quilp; à quoi la belle-mère répondit avec aigreur: «Oh! très-bien. Vous pouvez être tranquille à son sujet: mauvaise herbe prospère toujours.»

      Alors toutes les dames soupirèrent à l'unisson, secouèrent gravement la tête et regardèrent Mme Quilp comme on regarderait une martyre.

      «Ah! dit la première qui avait pris la parole, si vous pouviez lui communiquer un peu de votre expérience, mistress Jiniwin!.. Personne, mieux que vous, ne sait ce que nous autres femmes nous nous devons à nous-mêmes.

      – Ce que nous nous devons est bien dit, madame, répliqua mistress Jiniwin. Du vivant de mon pauvre mari, votre père, ma fille, s'il s'était jamais hasardé à prononcer vis-à-vis de moi un mot de travers, j'aurais…»

      La brave vieille dame n'acheva point la phrase, mais elle tordit la tête d'une crevette avec un air de vengeance, qui semblait en quelque sorte la traduction de son silence. Ce geste éloquent fut parfaitement saisi et approuvé par la grosse dame, qui répliqua immédiatement:

      «Vous entrez juste dans ma pensée, madame, et c'est exactement ce que je ferais moi-même.

      – Mais rien ne vous y oblige, dit Mme Jiniwin. Heureusement pour vous, ma chère, vous n'en avez pas plus occasion que je ne l'avais autrefois.

      – Nulle femme n'en aurait jamais besoin, dit la grosse dame, si elle se respectait.

      – Vous entendez, Betzy? dit Mme Jiniwin d'un ton sentencieux. Combien de fois ne vous ai-je pas adressé les mêmes avis, en me mettant presque à vos genoux pour vous prier de les suivre!»

      La pauvre mistress Quilp, qui promenait un regard de victime de visage en visage, pour y lire partout un sentiment de pitié, rougit, sourit et secoua la tête d'un air de doute. Ce fut le signal d'une clameur générale, commençant par un murmure confus, et bientôt s'agrandissant jusqu'à devenir une explosion violente où tout le monde parlait à la fois; il n'y avait qu'une voix pour dire que mistress Quilp, étant trop jeune pour avoir le droit d'opposer son opinion à celle de personnes expérimentées qui savaient bien qu'elle se trompait, ce serait fort mal à elle de ne pas écouter les conseils de gens qui ne voulaient que son bien; que se conduire ainsi, c'était presque se montrer ingrate; que, si elle ne se respectait pas elle-même, du moins devait-elle respecter les autres femmes que son humilité compromettait toutes ensemble; que, si elle manquait d'égards envers les autres femmes, un temps viendrait où les autres femmes en manqueraient pour elle, et qu'elle en aurait bien du regret, elle pouvait en être sûre. Après ce déluge d'avertissements, les dames livrèrent un assaut plus vif encore que jamais au thé, mélangé de pain tendre, de beurre frais, de crevettes et de cresson de fontaine, disant qu'elles souffraient tellement de la voir se conduire ainsi, qu'à peine pouvaient-elles avaler une bouchée.

      «Tout cela est bel et bon, dit Mme Quilp avec beaucoup de simplicité; mais cela n'empêche pas que, si je venais à mourir, aujourd'hui pour demain, Quilp pourrait épouser qui bon lui semblerait; il le pourrait, j'en suis sûre.»

      Il y eut à cette idée un cri général d'indignation. Épouser qui bon lui semblerait! Elles voudraient bien voir qu'il eût l'audace de faire à aucune d'elles une proposition de ce genre; elles voudraient bien voir qu'il en fît seulement semblant! Une dame (c'était une veuve) s'écria qu'elle était femme à le poignarder dès la première allusion à cette prétention insolente.

      «À merveille, reprit mistress Quilp, balançant sa tête; tout cela est bel et bon, comme je le disais tout à l'heure; mais je répète que je suis certaine de mon fait, oui, certaine. Quilp sait si bien s'arranger quand il veut, que la plus belle de vous ne le refuserait pas si j'étais morte, qu'elle fût libre, et qu'il se mit dans la tête de lui faire la cour, allez!»

      Chacune se redressa devant cette affirmation, comme pour dire: «C'est moi dont vous voulez parler!.. Eh bien! qu'il y vienne: on verra!» Et cependant, quelque raison cachée les animait toutes contre la veuve; pas une des dames qui ne murmurât à l'oreille de sa voisine, que cette veuve se figurait probablement être l'objet des allusions de Betzy… et que pourtant ce n'était pas le Pérou.

      «Ma mère sait, ajouta mistress Quilp, que je ne me trompe pas. Elle-même m'a souvent tenu ce langage avant mon mariage. N'est-il pas vrai, maman?»

      Cette question directe embarrassa singulièrement mistress Jiniwin, dont la position devenait des plus délicates; car la respectable dame avait certainement travaillé d'une manière active à marier sa fille à M. Quilp; et d'ailleurs, son orgueil maternel n'eût pas volontiers laissé s'accréditer l'idée qu'elle avait donné sa fille à un homme dont personne n'eût voulu. D'autre part, exagérer les qualités séduisantes de son gendre, c'eût été affaiblir la cause de la révolte, cette cause qu'elle avait embrassée avec ardeur. Partagée entre ces considérations contraires, mistress Jiniwin voulut bien reconnaître chez Quilp un esprit insinuant, mais elle lui refusa le droit de gouverner; et, avec un compliment bien placé à l'adresse de la grosse dame, elle ramena la discussion au point de départ.

      «Oh! mistress George a dit une chose fort juste, fort sensée Si les femmes savaient seulement se respecter elles-mêmes!.. Mais Betzy ne s'en doute pas, et c'est bien dommage; j'en suis honteuse pour elle.

      – Plutôt que de permettre à un homme de me mener comme Quilp la mène, dit mistress George, plutôt que de trembler devant un homme comme elle tremble devant lui, je… je me tuerais, après avoir commencé par écrire une lettre où je déclarerais que c'est lui qui m'a tuée!»

      Cette idée fut accueillie par un concert unanime d'approbations bruyantes. Alors une autre dame, des Minories, prit à son tour la parole en ces termes:

      «M. Quilp peut être un homme très-séduisant, je le suppose, je n'en doute même pas, puisque mistress Quilp et mistress Jiniwin le disent: or, si quelqu'un doit le savoir, c'est elles, assurément. Mais il n'est pourtant pas ce qu'on appelle un joli garçon, encore moins un jeune homme, ce qui pourrait au moins lui servir de circonstance atténuante; tandis que sa femme est jeune, agréable, et qu'enfin c'est une femme; et c'est tout dire!»

      Ces dernières paroles, prononcées du ton le plus pathétique, excitèrent l'enthousiasme dans l'auditoire. Encouragée par son triomphe, la dame ajouta:

      «Si un tel mari pouvait être bourru et déraisonnable avec une telle femme, il faudrait…

      – S'il l'est! interrompit la mère retournant sa tasse vide dans la soucoupe et secouant les miettes qui étaient tombées dans son giron, comme pour se préparer à une déclaration solennelle; s'il l'est!.. C'est le plus grand tyran qui ait jamais existé; elle n'ose pas penser par elle-même; il la fait trembler d'un geste, d'un regard, il lui cause des frayeurs mortelles, sans qu'elle ait la force de lui répondre un mot, pas le plus petit mot!»

      Quoique ces griefs fussent bien notoires et bien établis chez toutes ces dames amateurs de thé, et qu'ils eussent depuis un an servi de texte et de commentaire dans toutes leurs réunions du voisinage, cette communication officielle n'eut pas été plutôt reçue, qu'elles se mirent toutes à parler à la fois, rivalisant entre elles de véhémence et de volubilité. Mistress George s'écria que tout le monde s'en entretenait; que souvent elle en avait entendu causer auparavant; que mistress Simmons, qui avait vu quelques-unes de ces scènes, le lui avait dit vingt fois à elle- même, et qu'elle lui avait toujours répondu: «Non, ma chère Henriette Simmons, je n'y croirai jamais, à moins que je ne le voie de mes propres yeux et que je ne l'entende de mes propres oreilles.» Mme Simmons corrobora ce témoignage en y ajoutant des détails qui étaient à sa connaissance personnelle. La dame des Minories donna la recette d'un traitement infaillible auquel elle avait soumis son mari, et grâce auquel ce monsieur, qui, trois semaines après son mariage, s'était mis à manifester des symptômes non équivoques d'un naturel de tigre, s'était apprivoisé et était devenu doux comme un agneau. Une


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