Le magasin d'antiquités. Tome I. Чарльз Диккенс

Le magasin d'antiquités. Tome I - Чарльз Диккенс


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Mais ce qui maintenant me fait un peu peur, c'est que je me suis égarée.

      – Et d'où vient que vous vous adressez à moi? Supposé que je voulusse vous tromper…

      – Je suis sûre que vous n'en feriez rien, dit la petite créature; car vous êtes un vieux gentleman, et vous marchez si lentement!»

      Je ne saurais dire quelle impression je reçus de cette réplique et de l'énergie qui la caractérisa. Une larme brilla dans les yeux vifs de la jeune fille; et, tandis qu'elle me regardait en face, un tremblement se lisait sur sa figure délicate.

      «Venez, lui dis-je; je vais vous conduire où vous allez.»

      Elle mit sa main dans la mienne avec autant de confiance que si elle m'avait connu depuis le berceau, et nous voilà partis de compagnie. La petite créature réglait son pas sur le mien, et elle semblait, en vérité, moins recevoir de moi une protection que me soutenir et me guider. Je remarquai que de temps en temps elle me lançait un regard à la dérobée, comme pour se bien assurer que je ne la trompais point; je crus m'apercevoir aussi que chacun de ces regards rapides et perçants augmentait sa confiance envers moi.

      Pour ma part, ma curiosité, mon intérêt n'étaient pas moindres à l'égard de cette enfant: je dis enfant, car certainement c'en était une, quoique je pensasse, d'après ce que j'en pouvais voir, que c'était sa constitution chétive et délicate qui lui donnait un caractère particulier d'extrême jeunesse. Bien que ses vêtements fussent très-simples, ils étaient d'une propreté parfaite et ne trahissaient ni la pauvreté ni la négligence.

      «Qui donc, lui demandai-je, vous a envoyée si loin toute seule?

      – Quelqu'un qui est très-bon pour moi, monsieur.

      – Et qu'êtes-vous allée faire?

      – Je ne dois pas le dire.»

      Dans le ton et les termes de cette réplique, il y avait un je ne sais quoi qui me fit regarder la petite créature avec une involontaire expression de surprise. Quel pouvait être le message pour lequel elle était ainsi d'avance préparée à répondre de la sorte? Ses yeux pénétrants semblaient lire à travers mes pensées. En rencontrant mon regard, elle ajouta qu'il n'y avait aucun mal dans ce qu'elle était allée faire, mais que c'était un grand secret, un secret qu'elle-même ne connaissait pas.

      Ces paroles avaient été prononcées sans la moindre apparence d'artifice ou de tromperie, mais au contraire avec cet air de franchise non suspecte, indice certain de la vérité. L'enfant continuait de marcher comme précédemment; plus nous avancions, plus elle devenait familière avec moi; elle causait gaiement chemin faisant, mais ne parlait pas de sa maison autrement que pour remarquer que nous prenions une direction qui lui était inconnue et me demander si c'était là le plus court.

      Tandis que nous allions ainsi, je roulais dans mon esprit cent explications différentes de l'énigme et les rejetais l'une après l'autre. J'eusse rougi de me prévaloir de l'ingénuité ou de la reconnaissance de cette enfant, au profit de ma curiosité. J'aime ces petits êtres, et ce n'est pas chose à dédaigner quand ceux-là aussi nous aiment, qui viennent de sortir tout frais des mains de Dieu. Comme sa confiance m'avait plu tout d'abord, je résolus d'en rester digne et de justifier le mouvement qui l'avait portée à s'abandonner à moi.

      Cependant il n'y avait pas de raison pour que je m'abstinsse de voir la personne qui avait pu, avec une telle imprudence, l'envoyer si loin, de nuit, toute seule. Or, comme il était à présumer que l'enfant, dès qu'elle apercevrait son logis, me souhaiterait le bonsoir et contrarierait ainsi mon dessein, j'eus soin d'éviter les rues les plus fréquentées et de prendre les plus détournées. Ainsi elle ne sut pas où nous étions avant que nous fussions dans sa rue même. Ma nouvelle connaissance frappa joyeusement des mains, s'élança à quelques pas devant moi, s'arrêta à une porte, où elle se tint sur la marche jusqu'à mon arrivée, et, dès que je l'eus rejointe, elle fit retentir la sonnette.

      Une partie de cette porte était vitrée, sans contrevent qui la protégeât: ce que je ne pus remarquer d'abord, car, à l'intérieur, tout était ombre et silence: d'ailleurs, je n'attendais pas avec moins d'anxiété que l'enfant une réponse à notre appel. Elle avait sonné deux ou trois fois déjà, quand nous entendîmes du dedans le bruit d'une personne qui se meut, et enfin une faible lumière apparut à travers le vitrage. Comme cette lumière approchait très- lentement, celui qui la portait ayant à se frayer un chemin parmi une grande quantité d'objets épars et confus, cette circonstance me permit de voir à la fois, quelle était la nature de la personne qui s'avançait et du lieu dans lequel elle cheminait.

      C'était un petit vieillard aux longs cheveux gris. Tandis qu'il élevait la lumière au-dessus de sa tête et regardait en avant à mesure qu'il approchait, je pus distinguer parfaitement ses traits et sa physionomie. Malgré les ravages produits par l'âge, il me sembla reconnaître dans ses formes grêles et maigres quelque chose de la forme svelte et souple que j'avais remarquée chez l'enfant. Il y avait certainement de l'analogie dans leurs yeux bleus brillants; mais le vieillard était tellement ridé par l'âge et les chagrins, que là s'arrêtait toute ressemblance.

      La salle qu'il traversait à pas lents était un de ces réceptacles d'objets curieux et antiques qui semblent se cacher dans les coins les plus bizarres de notre ville, et, par jalousie et méfiance, dérober leurs trésors moisis aux regards du public. Il y avait là des assortiments de cottes de mailles, toutes droites et figurant des fantômes de chevaliers armés; il y avait des bas-reliefs fantastiques empruntés aux cloîtres des moines d'autrefois; il y avait diverses sortes d'armes rouillées; il y avait des figures contournées en porcelaine, en bois et en fer; il y avait des ouvrages d'ivoire; il y avait des tapisseries et des meubles étranges, dont le dessin paraissait dû à la fièvre des rêves. La physionomie égarée du petit vieillard était merveilleusement en harmonie avec la localité. Cet homme devait être allé à tâtons parmi les vieilles églises, les tombes et les maisons abandonnées, pour en recueillir les dépouilles de ses propres mains. Dans toute sa collection, il n'y avait rien qui ne fût en parfaite analogie avec lui, rien qui fût plus que lui vieux et délabré.

      Tout en tournant la clef dans la serrure, il me contemplait avec une surprise qui fut loin de diminuer lorsque son regard se porta de moi sur ma compagne de route. La porte s'ouvrit, et l'enfant, s'adressant à son grand-père, lui raconta la petite histoire de notre rencontre.

      «Dieu te bénisse! s'écria le vieillard en passant la main sur la tête de l'enfant; comment se fait-il que tu aies pu t'égarer en chemin? O Nell, si je t'avais perdue!

      – Grand-père, répondit avec fermeté la petite fille, j'eusse retrouvé mon chemin pour revenir vers vous, n'ayez pas peur.»

      Le vieillard l'embrassa; puis il se tourna de mon côté et m'invita à entrer, ce que je fis. La porte fut fermée de nouveau à double tour. Mon hôte, me précédant avec son flambeau, me conduisit, à travers la salle que j'avais déjà contemplée du dehors, dans une petite pièce située derrière: là se trouvait une autre porte ouvrant sur une sorte de cabinet où je vis un lit en miniature qui eût bien convenu à une fée, tant il était exigu et gentiment arrangé. L'enfant prit une lumière et se retira dans la petite chambre, me laissant avec le vieillard.

      «Vous devez être fatigué, monsieur, me dit-il en approchant pour moi une chaise du feu. Comment pourrais-je vous remercier?»

      Je répondis:

      «En ayant une autre fois plus de soin de votre petite-fille, mon bon ami.

      – Plus de soin!.. répéta le vieillard d'une voix aigre; plus de soin de Nelly!.. Qui jamais a aimé une enfant comme j'aime ma Nell?»

      Il prononça ces paroles avec une surprise si manifeste, que je me trouvai fort embarrassé pour répondre, d'autant plus que, s'il y avait dans ses manières quelque chose de heurté et d'égaré, ses traits offraient les indices d'une pensée profonde et triste, d'où je conclus que, contrairement à ma première impression, ce n'était ni un radoteur ni un imbécile.

      «Je ne crois pas, lui dis-je, que vous ayez assez souci de votre enfant.

      – Moi! je n'en ai pas souci!..


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