Le magasin d'antiquités, Tome II. Чарльз Диккенс
ses paroles. Permettez- moi de faire entrer M. Abel Garland, monsieur, son jeune maître, mon élève en vertu du contrat d'apprentissage, et, de plus, mon meilleur ami. Mon meilleur ami, monsieur, répéta le notaire tirant son mouchoir de soie et l'étalant dans tout son luxe devant son visage.
– Votre serviteur, monsieur, dit l'étranger.
– Je suis bien le vôtre, monsieur, dit M. Abel d'une voix flûtée.
Vous désirez parler à Christophe, monsieur?
– En effet, je le désire. Le permettez-vous?
– Parfaitement.
– L'affaire qui m'amène n'est pas un secret, ou plutôt, je veux dire qu'elle ne doit pas être un secret ici, ajouta l'étranger en remarquant que M. Abel et le notaire se disposaient à s'éloigner. Elle concerne un marchand d'antiquités chez qui travaillait ce garçon, et à qui je porte un profond intérêt. Durant bien des années, messieurs, j'ai vécu hors de ce pays, et, si je manque aux formes et aux usages, j'espère que vous voudrez bien me le pardonner.
– Vous n'avez pas besoin d'excuses, monsieur, dit le notaire.
– Vous n'en avez nullement besoin, répéta M. Abel.
– J'ai fait des recherches dans le voisinage de la maison qu'habitait son ancien maître, et j'ai appris que le marchand avait eu ce garçon à son service. Je me suis rendu chez sa mère, qui m'a adressé ici comme au lieu le plus proche où je pourrais le trouver. Tel est le motif de la visite que je vous fais ce matin.
– Je me félicite, dit le notaire, du motif, quel qu'il soit, qui me vaut l'honneur de votre visite.
– Monsieur, répliqua l'étranger, vous parlez en homme du monde; mais je vous estime mieux que cela. C'est pourquoi je vous prie de ne point abaisser votre caractère par des compliments de pure forme.
– Hum! grommela le notaire; vous parlez avec bien de la franchise, monsieur.
– Et j'agis de même, monsieur. Ma longue absence et mon inexpérience m'amènent à cette conclusion: que, si la franchise en paroles est rare dans cette partie du monde, la franchise en action y est plus rare encore. Si mon langage vous choque, monsieur, j'espère que ma conduite, quand vous me connaîtrez, me fera trouver grâce à vos yeux.»
M. Witherden parut un peu déconcerté par la tournure que le vieux gentleman donnait à la conversation. Quant à Kit, il regardait l'étranger avec ébahissement et la bouche ouverte, se demandant quelle sorte de discours il allait lui adresser à lui, lorsqu'il parlait si librement, si franchement à un notaire. Ce fut cependant sans dureté, mais avec une sorte de vivacité et d'irritabilité nerveuse que l'étranger, s'étant tourné vers Kit, lui dit:
«Si vous pensez, mon garçon, que je poursuis ces recherches dans un autre but que de trouver et de servir ceux que je désire rencontrer, vous me faites injure, et vous vous faites illusion. Ne vous y trompez donc pas, mais fiez-vous à moi. Le fait est, messieurs, ajouta l'étranger, se tournant vers le notaire et son clerc, que je me trouve dans une position pénible et inattendue. Je me vois tout à coup arrêté, paralysé dans l'exécution de mes projets par un mystère que je ne puis pénétrer. Tous les efforts que j'ai faits à cet égard n'ont servi qu'à le rendre plus obscur et plus sombre; j'ose à peine travailler ouvertement à en poursuivre l'explication, de peur que ceux que je recherche avec anxiété ne fuient encore plus loin de moi. Je puis vous assurer que, si vous me prêtez assistance, vous n'aurez pas lieu de le regretter, surtout si vous saviez combien j'ai besoin de votre concours, et de quel poids il me délivrerait.»
Dans cette confidence, il y avait un ton de simplicité qui provoqua une prompte réponse du brave notaire. Il s'empressa de dire, avec non moins de franchise, que l'étranger ne s'était pas trompé dans ses espérances, et que, pour sa part, s'il pouvait lui être utile, il était tout à son service.
Kit subit alors un interrogatoire, et fut longuement questionné par l'inconnu sur son ancien maître et sa petite-fille, sur leur genre de vie solitaire, leurs habitudes de retraite et de stricte réclusion. Toutes ces questions et toutes les réponses portèrent sur les sorties nocturnes du vieillard, sur l'existence isolée de l'enfant pendant ces heures d'absence, sur la maladie du grand- père et sa guérison, sur la prise de possession de la maison par Quilp, et sur la disparition soudaine du vieillard et de Nelly. Finalement, Kit apprit au gentleman que la maison était à louer, et que l'écriteau placé au-dessus de la porte renvoyait pour tous renseignements à M. Samson Brass, procureur, à Bevis Marks, lequel donnerait peut-être de plus amples détails.
– J'ai peur d'en être pour mes frais, dit le gentleman, qui secoua la tête. Je demeure dans sa maison.
– Vous demeurez chez l'attorney Brass!.. s'écria M. Witherden un peu surpris, car sa profession le mettait en rapport avec le procureur: il connaissait l'homme.
– Oui, répondit l'étranger, depuis quelques jours la lecture de l'écriteau m'a déterminé par hasard à prendre un appartement chez lui. Peu m'importe le lieu où je demeure; mais j'espérais trouver là quelques indications que je ne pourrais trouver ailleurs. Oui, je demeure chez Brass, à ma honte, n'est-ce pas?
– Mon Dieu! dit le notaire en levant les épaules, c'est une question délicate: tout ce que je sais, c'est que Brass passe pour un homme d'un caractère douteux.
– Douteux? répéta l'étranger. Je suis charmé d'apprendre qu'il y ait quelque doute à cet égard. Je supposais que l'opinion était fixée depuis longtemps sur ce personnage. Mais me permettriez-vous de vous dire deux ou trois mots en particulier?»
M. Witherden y consentit. Ils entrèrent dans le cabinet du notaire, où ils causèrent un quart d'heure environ; après quoi, ils revinrent à l'étude. L'étranger avait laissé son chapeau dans le cabinet de M. Witherden, et semblait s'être posé sur un pied d'amitié pendant ce court intervalle.
«Je ne veux pas vous retenir davantage, dit-il à Kit en lui mettant un écu dans la main et dirigeant un regard vers le notaire. Vous entendrez parler de moi. Mais pas un mot de tout ceci, sinon à votre maître et à votre maîtresse.
– Ma mère serait bien contente de savoir… dit Kit en hésitant.
– Contente de savoir quoi?
– Quelque chose… d'agréable pour miss Nelly.
– En vérité?.. Eh bien, vous pouvez l'en instruire si elle est capable de garder un secret. Mais du reste songez-y, pas un mot de ceci à aucune autre personne. N'oubliez point mes recommandations. Soyez discret.
– Comptez sur moi, monsieur, dit Kit. Je vous remercie, monsieur, et vous souhaite le bonjour.»
Le gentleman, dans son désir de bien faire comprendre à Kit qu'il ne devait parler à personne de ce qui avait eu lieu entre eux, le suivit jusqu'en dehors de la maison pour lui répéter ses recommandations. Or, il arriva qu'en ce moment M. Richard Swiveller, qui passait par là, tourna les yeux de ce côté et aperçut à la fois Kit et son mystérieux ami.
C'était un simple hasard dont voici la cause. M. Chukster, étant un gentleman d'un goût cultivé et d'un esprit raffiné, appartenait à la Loge des Glorieux Apollinistes, dont M. Swiveller était président perpétuel. M. Swiveller, conduit dans cette rue en vertu d'une commission que lui avait donnée M. Brass et apercevant un membre de sa Glorieuse Société qui veillait sur un poney, traversa la rue pour donner à M. Chukster cette fraternelle accolade qu'il est du devoir des présidents perpétuels d'octroyer à leurs co- sociétaires. À peine lui avait-il serré les mains en accompagnant cette démonstration de remarques générales sur le temps qu'il faisait, que, levant les yeux, il aperçut le gentleman de Bevis Marks en conversation suivie avec Christophe Nubbles.
«Oh! oh! dit Richard, qui est là?
– C'est un monsieur qui est venu voir mon patron ce matin, répondit M. Chukster; je n'en sais pas davantage, je ne le connais ni d'Ève ni d'Adam.
– Au moins, savez-vous son nom?»
À quoi M. Chukster répondit, avec l'élévation de langage particulière à un membre de