Nouveaux mystères et aventures. Артур Конан Дойл
l’oncle Jérémie, de son pas traînant, entrait chez moi, un rouleau de manuscrits à la main, pour me lire des extraits de son grand poème épique.
Lorsque j’éprouvais le besoin d’une société, j’allais faire un tour dans le laboratoire de John, de même qu’il venait me trouver chez moi, quand la solitude lui pesait.
Parfois, je variais la monotonie de mes études en prenant mes livres et m’installant à l’aise dans les massifs où je passais le jour à travailler.
Quant à Copperthorne, je l’évitais autant que possible, et de son côté il n’avait nullement l’air empressé de cultiver ma connaissance.
Un jour, dans la seconde semaine de juin, John vint me trouver un télégramme à la main et l’air extrêmement ennuyé.
– En voilà, une affaire! s’écria-t-il. Le papa m’enjoint de partir séance tenante pour me rendre à Londres. Ce doit être pour quelque histoire de légalité. Il a toujours menacé de mettre ordre à ses affaires, et maintenant il lui a pris une crise d’énergie et il veut en finir.
– Vous ne serez pas longtemps absent, je suppose? dis-le.
– Une semaine ou deux peut-être. C’est une chose bien désagréable. Cela tombe juste au moment où je comptais réussir à décomposer cet alcaloïde.
– Vous le retrouverez tel quel quand vous reviendrez, dis-je en riant. Il n’y a personne ici qui se mêle de le décomposer en votre absence.
– Ce qui m’ennuie le plus, c’est de vous laisser ici, reprit-il. Il me semble que c’est mal remplir les devoirs de l’hospitalité que de faire venir un camarade dans ce séjour solitaire et de s’en aller brusquement en le plantant là.
– Ne vous tourmentez pas à mon sujet répondis-je. J’ai beaucoup trop de besogne pour me sentir seul. En outre, j’ai trouvé ici des attractions sur lesquelles je ne comptais pas du tout. Je ne crois pas qu’il y ait dans ma vie six semaines qui m’aient paru aussi courtes que les dernières.
– Oh! elles ont passé si vite que cela? dit John, en se moquant.
Je suis convaincu qu’il était toujours dans son illusion de me croire amoureux fou de la gouvernante.
Il partit ce même jour par un train du matin, en promettant d’écrire et de nous envoyer son adresse à Londres, car il ne savait pas dans quel hôtel son père descendrait.
Je ne me doutais pas des conséquences qui résulteraient de ce mince détail, je ne me doutais pas non plus de ce qui allait arriver avant que je pusse revoir mon ami.
À ce moment-là, son départ ne me faisait aucune peine.
Il en résultait simplement que nous quatre qui restions nous allions être en contact plus intime et il semblait que cela dût favoriser la solution du problème auquel je prenais de jour en jour un plus vif intérêt.
À un quart de mille environ de la maison de Dunkelthwaite se trouve un petit village formé d’une longue rue, qui porte le même nom, et composé de vingt ou trente cottages aux toits d’ardoises, et d’une église vêtue de lierre toute voisine de l’inévitable cabaret.
L’après-midi du jour même où John nous quitta, miss Warrender et les deux enfants se rendirent au bureau de poste et je m’offris à les accompagner.
Copperthorne n’eût pas demandé mieux que d’empêcher cette excursion ou de venir avec nous, mais, heureusement pour nous, l’oncle Jérémie était en proie aux affres de l’inspiration et ne pouvait se passer des services de son secrétaire.
Ce fut, je m’en souviens, une agréable promenade, car la route était bien ombragée d’arbres où les oiseaux chantaient joyeusement.
Nous fîmes le trajet à loisir, en causant de bien des choses, pendant que le bambin et la fillette couraient et cabriolaient devant nous.
Avant d’arriver au bureau de poste, il faut passer devant le cabaret dont il a été question.
Comme nous parcourions la rue du village, nous nous aperçûmes qu’un petit rassemblement s’était formé devant cette maison.
Il y avait là dix ou douze garçons en guenilles ou fillettes aux nattes sales, quelques femmes la tête nue, et deux ou trois hommes sortis du comptoir où ils flânaient.
C’était sans doute le rassemblement le plus nombreux qui ait jamais fait figure dans les annales de cette paisible localité.
Nous ne pouvions pas voir quelle était la cause de leur curiosité; mais nos bambins partirent à toutes jambes, et revinrent bientôt, bourrés de renseignements.
– Oh! miss Warrender, cria Johnnie qui accourait tout haletant d’empressement. Il y a là un homme noir comme ceux des histoires que vous nous racontez.
– Un bohémien, je suppose, dis-je.
– Non, non, dit Johnnie d’un ton décisif. Il est plus noir encore que ça, n’est-ce pas, May?
– Plus noir que ça, redit la fillette.
– Je crois que nous ferions mieux d’aller voir ce que c’est que cette apparition extraordinaire, dis-je.
En parlant, je regardai ma compagne, et je fus fort surpris de la voir toute pâle, avec les yeux pour ainsi dire resplendissants d’agitation contenue.
– Est-ce que vous vous trouvez mal? demandai-je.
– Oh non! dit-elle avec vivacité, en hâtant le pas. Allons, allons!
Ce fut certainement une chose curieuse qui s’offrit à notre vue quand nous eûmes rejoint le petit cercle de campagnards.
J’eus aussitôt présente à la mémoire la description du Malais mangeur d’opium que De Quincey vit dans une ferme d’Écosse.
Au centre de ce groupe de simples paysans du Yorkshire, se tenait un voyageur oriental de haute taille, au corps élancé, souple et gracieux; ses vêtements de toile salis par la poussière des routes et ses pieds bruns sortant de ses gros souliers.
Évidemment, il venait de loin et avait marché longtemps.
Il tenait à la main un gros bâton, sur lequel il s’appuyait, tout en promenant ses yeux noirs et pensifs dans l’espace, sans avoir l’air de s’inquiéter de la foule qui l’entourait.
Son costume pittoresque, avec le turban de couleur qui couvrait sa tête à la teinte basanée, produisait un effet étrange et discordant en ce milieu prosaïque.
– Pauvre garçon! me dit miss Warrender d’une voix agitée et haletante. Il est fatigué. Il a faim, sans aucun doute, et il ne peut faire comprendre ce qu’il lui faut. Je vais lui parler.
Et, s’approchant de l’Hindou, elle lui adressa quelques mots dans le dialecte de son pays.
Jamais je n’oublierai l’effet que produisirent ces quelques syllabes.
Sans prononcer un mot, le voyageur se jeta la face contre terre sur la poussière de la route, et se traîna littéralement aux pieds de ma compagne.
J’avais vu dans des livres de quelle façon les Orientaux manifestent leur abaissement en présence d’un supérieur, mais je n’aurais jamais pu m’imaginer qu’aucun être humain descendît jusqu’à une humilité aussi abjecte que l’indiquait l’attitude de cet homme.
Miss Warrender reprit la parole d’un ton tranchant, impérieux.
Aussitôt il se redressa et resta les mains jointes, les yeux baissés, comme un esclave devant sa maîtresse.
Le petit rassemblement qui semblait croire que ce brusque prosternement était le prélude de quelque tour de passe-passe ou d’un chef d’œuvre d’acrobatie, avait l’air de s’amuser et de s’intéresser à l’incident.
– Consentiriez-vous à emmener les enfants et à mettre les lettres à la poste? demanda la gouvernante. Je voudrais bien dire un mot à cet homme.
Je