Le vicomte de Bragelonne, Tome I.. Dumas Alexandre
royale. Charles II, avec un violent effort, quitta la fenêtre, dévora ses larmes et revint s'asseoir auprès d'Athos.
– Sire, dit celui-ci, jusqu'aujourd'hui j'avais cru que l'heure n'était pas encore venue d'employer cette dernière ressource, mais les yeux fixés sur l'Angleterre, je sentais qu'elle approchait. Demain j'allais m'informer en quel lieu du monde était Votre Majesté, et j'allais aller à elle. Elle vient à moi, c'est une indication que Dieu est pour nous.
– Monsieur, dit Charles d'une voix encore étranglée par l'émotion, vous êtes pour moi ce que serait un ange envoyé par Dieu; vous êtes mon sauveur suscité de la tombe par mon père lui- même; mais croyez-moi, depuis dix années les guerres civiles ont passé sur mon pays, bouleversant les hommes, creusant le sol; il n'est probablement pas plus resté d'or dans les entrailles de ma terre que d'amour dans les coeurs de mes sujets.
– Sire, l'endroit où Sa Majesté a enfoui le million est bien connu de moi, et nul, j'en suis bien certain, n'a pu le découvrir. D'ailleurs le château de Newcastle est-il donc entièrement écroulé; l'a-t-on démoli pierre à pierre et déraciné du sol jusqu'à sa dernière fibre?
– Non, il est encore debout, mais en ce moment le général Monck l'occupe et y campe. Le seul endroit où m'attend un secours, où je possède une ressource, vous le voyez, est envahi par mes ennemis.
– Le général Monck, Sire, ne peut avoir découvert le trésor dont je vous parle.
– Oui, mais dois-je aller me livrer à Monck pour le recouvrer, ce trésor? Ah! vous le voyez donc bien, comte, il faut en finir avec la destinée, puisqu'elle me terrasse à chaque fois que je me relève. Que faire avec Parry pour tout serviteur, avec Parry, que Monck a déjà chassé une fois?
– Non, non, comte, acceptons ce dernier coup.
– Ce que Votre Majesté ne peut faire, ce que Parry ne peut plus tenter, croyez-vous que moi je puisse y réussir?
– Vous, vous comte, vous iriez!
– Si cela plaît à Votre Majesté, dit Athos en saluant le roi, oui, j'irai, Sire.
– Vous si heureux ici, comte!
– Je ne suis jamais heureux, Sire, tant qu'il me reste un devoir à accomplir, et c'est un devoir suprême que m'a légué le roi votre père de veiller sur votre fortune et de faire un emploi royal de son argent. Ainsi, que Votre Majesté me fasse un signe, et je pars avec elle.
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