Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
de formalités qui accompagne cette lettre; un billet me semble plus pressé et plus pressant qu'une dépêche; je me permets donc d'adresser un billet à Votre Majesté.
Je rentre chez moi brisée de douleur et de fatigue, Sire, et j'implore de Votre Majesté la faveur d'une audience dans laquelle je pourrai dire la vérité à mon roi.
Signé: Louise de La Vallière.»
– Eh bien? demanda le roi en reprenant la lettre des mains de
Saint Aignan tout étourdi de ce qu'il venait de lire.
– Eh bien? répéta Saint-Aignan.
– Que penses-tu de cela?
– Je ne sais trop.
– Mais enfin?
– Sire, la petite aura entendu gronder la foudre, et elle aura eu peur.
– Peur de quoi? demanda noblement Louis.
– Dame! que voulez-vous, Sire! Votre Majesté a mille raisons d'en vouloir à l'auteur ou aux auteurs d'une si méchante plaisanterie, et la mémoire de Votre Majesté, ouverte dans le mauvais sens, est une éternelle menace pour l'imprudente.
– Saint-Aignan, je ne vois pas comme vous.
– Le roi doit voir mieux que moi.
– Eh bien! je vois dans ces lignes: de la douleur, de la contrainte, et maintenant surtout que je me rappelle certaines particularités de la scène qui s'est passée ce soir chez Madame… Enfin…
Le roi s'arrêta sur ce sens suspendu.
– Enfin, reprit Saint-Aignan, Votre Majesté va donner audience, voilà ce qu'il y a de plus clair dans tout cela.
– Je ferai mieux, Saint-Aignan.
– Que ferez-vous, Sire?
– Prends ton manteau.
– Mais, Sire…
– Tu sais où est la chambre des filles de Madame?
– Certes.
– Tu sais un moyen d'y pénétrer?
– Oh! quant à cela, non.
– Mais enfin tu dois connaître quelqu'un par là?
– En vérité, Votre Majesté est la source de toute bonne idée.
– Tu connais quelqu'un?
– Oui.
– Qui connais-tu? Voyons.
– Je connais certain garçon qui est au mieux avec certaine fille.
– D'honneur?
– Oui, d'honneur, Sire.
– Avec Tonnay-Charente? demanda Louis en riant.
– Non, malheureusement; avec Montalais.
– Il s'appelle?
– Malicorne.
– Bon! Et tu peux compter sur lui?
– Je le crois, Sire. Il doit bien avoir quelque clef… Et s'il en a une, comme je lui ai rendu service… il m'en fera part.
– C'est au mieux. Partons!
– Je suis aux ordres de Votre Majesté.
Le roi jeta son propre manteau sur les épaules de Saint-Aignan et lui demanda le sien. Puis tous deux gagnèrent le vestibule.
Chapitre CXXXIII – Ce que n'avaient prévu ni naïade ni dryade
De Saint-Aignan s'arrêta au pied de l'escalier qui conduisait aux entresols chez les filles d'honneur, au premier chez Madame. De là, par un valet qui passait, il fit prévenir Malicorne, qui était encore chez Monsieur.
Au bout de dix minutes, Malicorne arriva le nez au vent et flairant dans l'ombre.
Le roi se recula, gagnant la partie la plus obscure du vestibule.
Au contraire, de Saint-Aignan s'avança.
Mais, aux premiers mots par lesquels il formula son désir,
Malicorne recula tout net.
– Oh! oh! dit-il, vous me demandez à être introduit dans les chambres des filles d'honneur?
– Oui.
– Vous comprenez que je ne puis faire une pareille chose sans savoir dans quel but vous la désirez.
– Malheureusement, cher monsieur Malicorne, il m'est impossible de donner aucune explication; il faut donc que vous vous fiiez à moi comme un ami qui vous a tiré d'embarras hier et qui vous prie de l'en tirer aujourd'hui.
– Mais moi, monsieur, je vous disais ce que je voulais; ce que je voulais, c'était ne point coucher à la belle étoile, et tout honnête homme peut avouer un pareil désir; tandis que vous, vous n'avouez rien.
– Croyez, mon cher monsieur Malicorne, insista de Saint-Aignan, que, s'il m'était permis de m'expliquer, je m'expliquerais.
– Alors, mon cher monsieur, impossible que je vous permette d'entrer chez Mlle de Montalais.
– Pourquoi?
– Vous le savez mieux que personne, puisque vous m'avez pris sur un mur, faisant la cour à Mlle de Montalais; or, ce serait complaisant à moi, vous en conviendrez, lui faisant la cour, de vous ouvrir la porte de sa chambre.
– Eh! qui vous dit que ce soit pour elle que je vous demande la clef?
– Pour qui donc alors?
– Elle ne loge pas seule, ce me semble?
– Non, sans doute.
– Elle loge avec Mlle de La Vallière?
– Oui, mais vous n'avez pas plus affaire réellement à Mlle de La Vallière qu'à Mlle de Montalais, et il n'y a que deux hommes à qui je donnerais cette clef: c'est à M. de Bragelonne, s'il me priait de la lui donner; c'est au roi, s'il me l'ordonnait.
– Eh bien! donnez-moi donc cette clef, monsieur, je vous l'ordonne, dit le roi en s'avançant hors de l'obscurité et en entrouvrant son manteau. Mlle de Montalais descendra près de vous, tandis que nous monterons près de Mlle de La Vallière: c'est, en effet, à elle seule que nous avons affaire.
– Le roi! s'écria Malicorne en se courbant jusqu'aux genoux du roi.
– Oui, le roi, dit Louis en souriant, le roi qui vous sait aussi bon gré de votre résistance que de votre capitulation. Relevez- vous, monsieur; rendez nous le service que nous vous demandons.
– Sire, à vos ordres, dit Malicorne en montant l'escalier.
– Faites descendre Mlle de Montalais, dit le roi, et ne lui sonnez mot de ma visite.
Malicorne s'inclina en signe d'obéissance et continua de monter.
Mais le roi, par une vive réflexion, le suivit, et cela avec une rapidité si grande, que, quoique Malicorne eût déjà la moitié des escaliers d'avance, il arriva en même temps que lui à la chambre.
Il vit alors, par la porte demeurée entrouverte derrière Malicorne, La Vallière toute renversée dans un fauteuil, et à l'autre coin Montalais, qui peignait ses cheveux, en robe de chambre, debout devant une grande glace et tout en parlementant avec Malicorne.
Le roi ouvrit brusquement la porte et entra.
Montalais poussa un cri au bruit que fit la porte, et, reconnaissant le roi, elle s'esquiva.
À cette vue, La Vallière, de son côté, se redressa comme une morte galvanisée et retomba sur son fauteuil.
Le roi s'avança lentement vers elle.
– Vous voulez une audience, mademoiselle, lui dit-il avec froideur, me voici prêt à vous entendre. Parlez.
De Saint-Aignan, fidèle à son rôle de sourd, d'aveugle et de muet, de Saint-Aignan s'était placé,