Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre


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droite ligne; mais, cette fois encore, les craintes dont nous avons parlé le retinrent.

      Une allée de tilleuls longeait la muraille et conduisait à la maison.

      Il fit un détour et s'engagea sous la voûte obscure et feuillue.

      Puis, arrivé à l'extrémité de lallée, il traversa, rapide comme un daim effarouché, l'espace libre, et se trouva au pied de la muraille, dans lombre épaisse projetée par la maison.

      Il fit quelques pas à reculons, les yeux fixés sur la fenêtre, mais de manière à ne pas sortir de l'ombre.

      Puis, arrivé au point calculé par lui, il frappa trois fois dans ses mains.

      À cet appel, une ombre s'élança du fond de l'appartement, et vint, gracieuse, flexible, presque transparente, se coller à la fenêtre.

      Morgan renouvela le signal.

      Aussitôt la fenêtre s'ouvrit, la jalousie se leva, et une ravissante jeune fille, en peignoir de nuit avec sa chevelure blonde ruisselant sur ses épaules, parut dans lencadrement de verdure.

      Le jeune homme tendit les bras à celle dont les bras étaient tendus vers lui, et deux noms, ou plutôt deux cris sortis du coeur, se croisèrent, allant au-devant l'un de lautre.

      – Charles!

      – Amélie!

      Puis le jeune homme bondit contre la muraille, s'accrocha aux tiges des vigies, aux aspérités de la pierre, aux saillies des corniches, et en une seconde se trouva sur le balcon.

      Ce que les deux beaux jeunes gens se dirent alors ne fut qu'un murmure d'amour perdu dans un interminable baiser.

      Mais, par un doux effort, le jeune homme entraîna d'un bras la jeune fille dans la chambre, tandis que l'autre lâchait les cordons de la jalousie, qui retombait bruyante derrière eux.

      Derrière la jalousie la fenêtre se referma.

      Puis la lumière s'éteignit, et toute la façade du château des

      Noires-Fontaines se trouva dans l'obscurité.

      Cette obscurité durait depuis un quart d'heure à peu près, lorsqu'on entendit le roulement d'une voiture sur le chemin qui conduisait de la grande route de Pont-d'Ain à l'entrée du château.

      Puis le bruit cessa; il était évident que la voiture venait de s'arrêter devant la grille.

      X – LA FAMILLE DE ROLAND

      Cette voiture qui s'arrêtait à la porte était celle qui ramenait à sa famille Roland, accompagné de sir John.

      On était si loin de l'attendre, que, nous l'avons dit, toutes les lumières de la maison étaient éteintes, toutes les fenêtres dans l'obscurité, même celle d'Amélie.

      Le postillon, depuis cinq cents pas, faisait bien claquer son fouet à outrance; mais le bruit était insuffisant pour réveiller des provinciaux dans leur premier sommeil.

      La voiture une fois arrêtée, Roland ouvrit la portière, sauta à terre sans toucher le marchepied, et se pendit à la sonnette.

      Cela dura cinq minutes pendant lesquelles, après chaque sonnerie,

      Roland se retournait vers la voiture en disant:

      – Ne vous impatientez pas, sir John.

      Enfin, une fenêtre s'ouvrit et une voix enfantine, mais ferme, cria:

      – Qui sonne donc ainsi?

      – Ah! c'est toi, petit Édouard, dit Roland; ouvre vite!

      L'enfant se rejeta en arrière avec un cri joyeux et disparut.

      Mais, en même temps, on entendit sa voix qui criait dans les

      corridors:

      – Mère! réveille-toi, c'est Roland!.. Soeur! réveille-toi, c'est le grand frère.

      Puis, avec sa chemise seulement et ses petites pantoufles, il se précipita par les degrés en criant:

      – Ne t'impatiente pas, Roland, me voilà! me voilà!

      Un instant après, on entendit la clef qui grinçait dans la serrure, les verrous qui glissaient dans les tenons; puis une forme blanche apparut sur le perron et vola, plutôt qu'elle ne courut, vers la grille, qui, au bout d'un instant, grinça à son tour sur ses gonds et s'ouvrit.

      L'enfant sauta au cou de Roland et y resta pendu.

      – Ah! frère! ah! frère! criait-il en embrassant le jeune homme et en riant et pleurant tout à la fois; ah! grand frère Roland, que mère va être contente! et Amélie donc! Tout le monde se porte bien, c'est moi le plus malade… ah! excepté Michel, tu sais, le jardinier, qui s'est donné une entorse. Pourquoi donc n'es-tu pas en militaire?.. Ah! que tu es laid en bourgeois! Tu viens d'Égypte; m'as-tu rapporté des pistolets montés en argent et un beau sabre recourbé? Non! ah bien, tu n'es pas gentil et je ne veux plus t'embrasser; mais non, non, va, n'aie pas peur, je t'aime toujours!

      Et l'enfant couvrait le grand frère de baisers, comme il l'écrasait de questions.

      L'Anglais, resté dans la voiture, regardait, la tête inclinée à la portière, et souriait.

      Au milieu de ces tendresses fraternelles, une voix de femme

      éclata.

      Une voix de mère!

      – Où est-il, mon Roland, mon fils bien-aimé? demandait madame de Montrevel d'une voix empreinte d'une émotion joyeuse si violente, qu'elle allait presque jusqu'à la douleur; où est-il? Est-ce bien vrai qu'il soit revenu? est-ce bien vrai qu'il ne soit pas prisonnier, qu'il ne soit pas mort? est-ce bien vrai qu'il vive?

      L'enfant, à cette voix, glissa comme un serpent dans les bras de son frère, tomba debout sur le gazon, et, comme enlevé par un ressort, bondit vers sa mère.

      – Par ici, mère, par ici! dit-il en entraînant sa mère à moitié vêtue vers Roland.

      À la vue de sa mère, Roland n'y put tenir; il sentit se fondre cette espèce de glaçon qui semblait pétrifié dans sa poitrine; son coeur battit comme celui d'un autre.

      – Ah! s'écria-t-il, j'étais véritablement ingrat envers Dieu quand la vie me garde encore de semblables joies.

      Et il se jeta tout sanglotant au cou de madame de Montrevel sans se souvenir de sir John, qui, lui aussi, sentait se fondre son flegme anglican, et qui essuyait silencieusement les larmes qui coulaient sur ses joues et qui venaient mouiller son sourire.

      L'enfant, la mère et Roland formaient un groupe adorable de tendresse et d'émotion.

      Tout à coup, le petit Édouard, comme une feuille que le vent emporte, se détacha du groupe en criant:

      – Et soeur Amélie, où est-elle donc?

      Puis il s'élança vers la maison, en répétant:

      – Soeur Amélie, réveille-toi! lève-toi accours!

      Et l'on entendit les coups de pied et les coups de poing de l'enfant qui retentissaient contre une porte.

      Il se fit un grand silence.

      Puis presque aussitôt on entendit le petit Édouard qui criait:

      – Au secours, mère! au secours, frère Roland! soeur Amélie se trouve mal.

      Madame de Montrevel et son fils s'élancèrent dans la maison; sir John, qui, en touriste consommé qu'il était, avait dans une trousse des lancettes et dans sa poche un flacon de sels, descendit de voiture, et, obéissant à un premier mouvement, s'avança jusqu'au perron.

      Là, il s'arrêta, réfléchissant qu'il n'était point présenté, formalité toute puissante pour un Anglais.

      Mais, d'ailleurs, en ce moment, celle au-devant de laquelle il allait venait au-devant de lui.

      Au bruit que son frère faisait à sa porte, Amélie avait enfin paru sur le palier; mais sans doute la commotion qui l'avait frappée en apprenant le retour de Roland était trop forte,


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