Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre


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XVIII pour le faire monter dessus, et que, si le citoyen Gohier ne veut pas, en sa qualité de président, le lui rendre de bonne volonté, il le lui rendra de force.

      – Ah bah! fit le jeune officier avec un air de doute qui allait jusqu'à la raillerie.

      Mais le père Courtois insista par un signe de tête affirmatif.

      – C'est possible, dit le jeune homme; mais, quant à cela, ce n'est pas la seconde nouvelle, c'est la première; et maintenant que vous me connaissez, voulez-vous m'ouvrir?

      – Vous ouvrir! je crois bien; que diable fais-je donc?

      Et le geôlier ouvrit la porte avec autant d'empressement qu'il avait paru d'abord y mettre de répugnance.

      Le jeune homme entra; sir John le suivit.

      Le geôlier referma la grille avec soin et marcha le premier;

      Roland le suivit, lAnglais suivit Roland.

      Il commençait à s'habituer au caractère fantasque de son jeune ami.

      Le spleen, c'est la misanthropie moins les boutades de Timon et l'esprit d'Alceste.

      Le geôlier traversa tout le préau, séparé du palais de justice par une muraille de quinze pieds de hauteur, faisant vers son milieu retour en arrière, de quelques pieds, sur la partie antérieure de laquelle on avait scellé, pour donner passage aux prisonniers sans que ceux-ci eussent besoin de tourner par la rue, une porte de chêne massif. Le geôlier, disons-nous, traversa tout le préau et gagna, dans l'angle gauche de la cour, un escalier tournant qui conduisait à l'intérieur de la prison.

      Si nous insistons sur ces détails, c'est que nous aurons à revenir un jour sur ces localités; et que, par conséquent, nous désirons qu'arrivé à ce moment-là de notre récit, elles ne soient point complètement étrangères à nos lecteurs.

      L'escalier conduisait d'abord à l'antichambre de la prison, c'est- à-dire à la chambre du concierge du présidial; puis, de cette chambre, par un escalier de dix marches, on descendait dans une première cour, séparée de celle des prisonniers par une muraille dans le genre de celle que nous avons décrite, mais percée de trois portes; à lextrémité de cette cour, un couloir conduisait à la chambre du geôlier, laquelle donnait de plain-pied, à l'aide d'un second couloir, dans des cachots pittoresquement appelés cages.

      Le geôlier s'arrêta à la première de ces cages, et, frappant à la porte:

      – C'est ici, dit-il; j'avais mis là madame votre Mère et mademoiselle votre soeur, afin que, si les chères dames avaient besoin de moi ou de Charlotte, elles n'eussent qu'à frapper.

      – Est-ce qu'il y a quelqu'un dans le cachot?

      – Personne.

      – Eh bien, faites-moi la grâce de m'en ouvrir la porte; voici mon ami, lord Tanlay, un Anglais philanthrope, qui voyage pour savoir si l'on est mieux dans les prisons de France que dans celles d'Angleterre. Entrez, milord, entrez.

      Et, le père Courtois ayant ouvert la porte, Roland poussa sir John dans un cachot formant un carré parfait de dix à douze pieds sur toutes les faces.

      – Oh! oh! fit sir John, l'endroit est lugubre.

      – Vous trouvez? Eh bien, mon cher lord, voilà lendroit où ma mère, la plus digne femme qu'il y ait au monde, et ma soeur, vous la connaissez, ont passé six semaines, avec la perspective de n'en sortir que pour aller faire un tour sur la place du Bastion; remarquez bien qu'il y a cinq ans de cela; ma soeur en avait, par conséquent, douze à peine.

      – Mais quel crime avaient-elles donc commis?

      – Oh! un crime énorme: dans la fête anniversaire que la ville de Bourg a cru devoir consacrer à la mort de l'Ami du peuple, ma mère a refusé de laisser faire à ma soeur une des vierges qui portaient les urnes contenant les larmes de la France. Que voulez-vous! pauvre femme, elle avait cru avoir assez fait pour la patrie en lui offrant le sang de son fils et de son mari, qui coulait pour l'un, en Italie, pour l'autre, en Allemagne: elle se trompait. La patrie, à ce qu'il paraît, réclamait encore les larmes de sa fille; pour le coup, elle a trouvé que c'était trop, du moment surtout où ses larmes coulaient pour le citoyen Marat. Il en résulta que, le soir même de la fête, au milieu de l'enthousiasme que cette fête avait excité, ma mère fut décrétée d'accusation. Par bonheur, Bourg n'était pas à la hauteur de Paris sous le rapport de la célérité. Un ami que nous avions au greffe fit traîner l'affaire, et, un beau jour, on apprit tout à la fois la chute et la mort de Robespierre. Cela interrompit beaucoup de choses, et, entre autres, les guillotinades; notre ami du greffe fit comprendre au tribunal que le vent qui venait de Paris était à la clémence; on attendit huit jours, on attendit quinze jours, et, le seizième, on vint dire à ma mère et à ma soeur qu'elles étaient libres; de sorte que, mon cher, vous comprenez – et cela fait faire les plus hautes réflexions philosophiques – de sorte que, si mademoiselle Térésa Cabarrus n'était pas venue d'Espagne en France; que si elle n'avait pas épousé M. Fontenay, conseiller au parlement; que si elle n'avait pas été arrêtée et conduite devant le proconsul Tallien, fils du maître d'hôtel du marquis de Bercy, ex-clerc de procureur, ex-prote d'imprimerie, ex-commis expéditionnaire, ex-secrétaire de la commune de Paris, pour le moment en mission à Bordeaux; que si l'ex-proconsul ne fût pas devenu amoureux d'elle, que si elle n'eût pas été emprisonnée, que si, le 9 thermidor, elle ne lui avait pas fait passer un poignard avec ces mots: «si le tyran ne meurt pas aujourd'hui, je meurs demain» que si Saint-Just n'avait pas été arrêté au milieu de son discours, que si Robespierre n'avait pas eu, ce jour là, un chat dans la gorge; que si Garnier (de l'Aube) ne lui avait pas crié: «C'est le sang de Danton qui tétouffe!» que si Louchet n'avait pas demandé son arrestation; que s'il n'avait pas été arrêté, délivré par la Commune, repris sur elle, eu la mâchoire cassée d'un coup de pistolet, été exécuté le lendemain, ma mère avait, selon toute probabilité, le cou coupé pour n'avoir pas permis que sa fille pleurât le citoyen Marat dans une des douze urnes que la ville de Bourg devait remplir de ces larmes. Adieu, Courtois, tu es un brave, homme; tu as donné à ma mère et à ma soeur un peu de vin pour mettre avec leur eau, un peu de viande pour mettre sur leur pain, un peu d'espérance à mettre sur leur coeur; tu leur as prêté ta fille pour qu'elles ne balayassent pas leur cachot elles- mêmes; cela vaudrait une fortune; malheureusement, je ne suis pas riche: j'ai cinquante louis sur moi, les voilà. Venez milord.

      Et le jeune homme entraîna sir John avant que le geôlier fût revenu de sa surprise et eût le temps de remercier Roland ou de refuser les cinquante louis; ce qui, il faut le dire, eût été une bien grande preuve de désintéressement pour un geôlier, surtout quand ce geôlier était d'une opinion contraire au gouvernement qu'il servait.

      En sortant de la prison, Roland et sir John trouvèrent la place des Lices encombrée de gens qui avaient appris le retour du général Bonaparte en France et qui criaient: «Vive Bonaparte!» à tue-tête, les uns parce qu'ils étaient effectivement les admirateurs du vainqueur d'Arcole, de Rivoli et des Pyramides, les autres parce qu'on leur avait dit, comme au père Courtois, que ce même vainqueur n'avait vaincu qu'au profit de Sa Majesté Louis XVIII.

      Cette fois, comme Roland et sir John avaient visité tout ce que la ville de Bourg offrait de curieux, ils reprirent le chemin du château des Noires-Fontaines, où ils arrivèrent sans que rien les arrêtât davantage.

      Madame de Montrevel et Amélie étaient sorties. Roland installa sir

      John dans un fauteuil en le priant d'attendre cinq minutes.

      Au bout de cinq minutes, il revint tenant à la main une espèce de brochure en papier gris, assez mal imprimée.

      – Mon cher hôte, dit-il, vous m'avez paru élever quelques doutes sur lauthenticité de la fête dont je vous parlais tout à l'heure, et qui a failli coûter la vie à ma mère et à ma soeur; je vous en apporte le programme: lisez-moi cela, et, pendant ce temps, j'irai voir ce que lon a fait de mes chiens; car je présume que vous me tenez quitte de la journée de pêche et que nous passerons tout de suite à la chasse.

      Et il sortit, laissant entre les mains de sir John larrêté


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