Le Speronare. Dumas Alexandre

Le Speronare - Dumas Alexandre


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      Le Speronare

      LA SANTA-MARIA DI PIE DI GROTTA

      Le soir même de notre arrivée à Naples, nous courûmes sur le port, Jadin et moi, pour nous informer si par hasard quelque bâtiment, soit à vapeur, soit à voiles, ne partait pas le lendemain pour la Sicile. Comme il n'est pas dans les habitudes ordinaires des voyageurs d'aller à Naples pour y rester quelques heures seulement, disons un mot des circonstances qui nous forçaient de hâter notre départ.

      Nous étions partis de Paris dans l'intention de parcourir toute l'Italie, Sicile et Calabre comprises; et mettant religieusement ce projet à exécution, nous avions déjà visité Nice, Gênes, Milan, Florence et Rome, lorsqu'après un séjour de trois semaines dans cette dernière ville, j'eus l'honneur de rencontrer chez monsieur le marquis de T… chargé des affaires de France, monsieur le comte de Ludorf, ambassadeur de Naples. Comme je devais partir dans quelques jours pour cette ville, le marquis de T… jugea convenable de me présenter à son honorable confrère, afin de me faciliter d'avance les voies diplomatiques qui devaient m'ouvrir la barrière de Terracine. Monsieur de Ludorf me reçut avec ce sourire vide et froid qui n'engage à rien, ce qui n'empêcha point que deux jours après je ne me crusse dans l'obligation de lui porter mes passeports moi-même. Monsieur de Ludorf eut la bonté de me dire de déposer nos passeports dans ses bureaux, et de repasser le surlendemain pour les reprendre. Comme nous n'étions pas autrement pressés, attendu que les mesures sanitaires en vigueur, à propos du choléra, prescrivaient une quarantaine de vingt-huit jours, et que nous avions par conséquent près d'une semaine devant nous, je pris congé de monsieur de Ludorf, me promettant bien de ne plus me laisser présenter à aucun ambassadeur que je n'eusse pris auparavant sur lui les renseignements les plus circonstanciés.

      Les deux jours écoulés, je me présentai au bureau des passeports. J'y trouvai un employé qui, avec les meilleures façons du monde, m'apprit que quelques difficultés s'étant élevées au sujet de mon visa, il serait bon que je m'adressasse à l'ambassadeur lui-même pour les faire lever. Force me fut donc, quelque résolution contraire que j'eusse prise, de me présenter de nouveau chez monsieur de Ludorf.

      Je trouvai monsieur de Ludorf plus froid et plus compassé encore que d'habitude; mais comme je pensai que ce serait probablement la dernière fois que j'aurais l'honneur de le voir, je patientai. Il me fit signe de m'asseoir; je pris un siège. Il y avait progrès sur la première fois: la première fois il m'avait laissé debout.

      – Monsieur, me dit-il avec un certain embarras, et en tirant les uns après les autres les plis de son jabot, je suis désolé de vous dire que vous ne pouvez aller à Naples,

      – Comment cela? demandai-je, bien décidé à imposer à notre dialogue le ton qui me plairait: est-ce que les chemins seraient mauvais, par hasard?

      – Non, monsieur, les routes sont superbes, au contraire; mais vous avez le malheur d'être porté sur la liste de ceux qui ne peuvent pas entrer dans le royaume napolitain.

      – Quelque honorable que soit cette distinction, monsieur l'ambassadeur, repris-je en assortissant le ton aux paroles, comme elle briserait à la moitié le voyage que je compte faire, ce qui ne serait pas sans quelque désagrément pour moi, vous me permettrez d'insister, je l'espère, pour connaître la cause de cette défense. Si c'était une de ces causes légères comme il s'en rencontre à chaque pas en Italie, j'ai quelques amis de par le monde, qui, je le crois, auraient la puissance de les faire lever.

      – Ces causes sont très graves, monsieur, et je doute que vos amis, si haut placés qu'ils soient, aient l'influence de les faire lever.

      – Mais enfin, sans indiscrétion, monsieur, pourrait-on les connaître?

      – Oh! mon Dieu, oui, répondit négligemment monsieur de Ludorf, et je ne vois aucun inconvénient à vous les dire.

      – J'attends, monsieur.

      – D'abord, vous êtes le fils du général Mathieu Dumas, qui a été ministre de la Guerre à Naples pendant l'usurpation de Joseph.

      – Je suis désolé, monsieur l'ambassadeur, de décliner ma parenté avec l'illustre général que vous citez; mais vous êtes dans l'erreur, et malgré la ressemblance du nom, il n'y a même entre nous aucun rapport de famille. Mon père est, non pas le général Mathieu, mais le général Alexandre Dumas.

      – Du général Alexandre Dumas? reprit monsieur de Ludorf, en ayant l'air de chercher à quel propos il avait déjà entendu prononcer ce nom.

      – Oui, repris-je; le même qui, après avoir été fait prisonnier à Tarente au mépris du droit de l'hospitalité, fut empoisonné à Brindisi avec Mauscourt et Dolomieu, au mépris du droit des nations. Cela se passait en même temps que l'on pendait Caracciolo dans le golfe de Naples. Vous voyez, monsieur, que je fais tout ce que je puis pour aider vos souvenirs.

      Monsieur de Ludorf se pinça les lèvres.

      – Eh bien! monsieur, reprit-il après un moment de silence, il y a une seconde raison: ce sont vos opinions politiques. Vous nous êtes désigné comme républicain, et vous n'avez quitté, nous a-t-on dit, Paris, que pour affaires politiques.

      – A cela je répondrai, monsieur, en vous montrant mes lettres de recommandation: elles portent presque toutes le cachet des ministères et la signature de nos ministres. Voyez, en voici une de l'amiral Jacob, en voici une du maréchal Soult, et en voici une de M. Villemain; elles réclament pour moi l'aide et la protection des ambassadeurs français dans les cas pareils à celui où je me trouve.

      – Eh bien! dit monsieur de Ludorf, puisque vous aviez prévu le cas où vous vous trouvez, faites-y face, monsieur, par les moyens qui sont en votre pouvoir. Pour moi, je vous déclare que je ne viserai pas votre passeport. Quant à ceux de vos compagnons, comme je ne vois aucun inconvénient à ce qu'ils aillent où ils voudront, les voici. Ils sont en règle, et ils peuvent partir quand il leur plaira; mais, je suis forcé de vous le répéter, ils partiront sans vous.

      – Monsieur le comte de Ludorf a-t-il des commissions pour Naples? demandai-je en me levant.

      – Pourquoi cela, monsieur?

      – Parce que je m'en chargerais avec le plus grand plaisir.

      – Mais je vous dis que vous ne pouvez point y aller.

      – J'y serai dans trois jours.

      Je saluai monsieur de Ludorf, et je sortis le laissant stupéfait de mon assurance.

      Il n'y avait pas de temps à perdre si je voulais tenir ce que j'avais promis. Je courus chez un élève de l'école de Rome, vieil ami à moi, que j'avais connu dans l'atelier de monsieur Lethierre qui était, lui, un vieil ami de mon père.

      – Mon cher Guichard, il faut que vous me rendiez un service.

      – Lequel?

      – Il faut que vous alliez demander immédiatement à monsieur Ingres une permission pour voyager en Sicile et en Calabre.

      – Mais, mon très cher, je n'y vais pas.

      – Non, mais j'y vais, moi; et comme on ne veut pas m'y laisser aller avec mon nom, il faut que j'y aille avec le vôtre.

      – Ah! je comprends. Ceci est autre chose.

      – Avec votre permission, vous allez demander un passeport à notre chargé d'affaires. Suivez bien le raisonnement. Avec le passeport de notre chargé d'affaires, vous allez prendre le visa de l'ambassadeur de Naples, et, avec le visa de l'ambassadeur de Naples, je pars pour la Sicile.

      – A merveille. Et quand vous faut-il cela?

      – Tout de suite.

      – Le temps d'ôter ma blouse et de monter à l'Académie.

      – Moi, je vais faire mes paquets.

      – Où vous retrouverai-je?

      – Chez Pastrini, place d'Espagne.

      – Dans deux heures j'y serai.

      En effet, deux heures après, Guichard était à l'hôtel avec un passeport parfaitement en règle. Comme on n'avait pas pris la précaution de le présenter à monsieur de Ludorf, l'affaire avait marché toute seule.

      Le même soir, je pris la voiture d'Angrisani, et le surlendemain


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