Les Maîtres sonneurs. Жорж Санд

Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд


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vieux arbres sont mal famés pour la hantise des sorciers et des autres.

      Je n'osai respirer tant que nous fûmes dans la fougeraie, je m'attendais toujours à voir repasser ce qui m'était apparu en songe de l'âme ou en vérité des sens. Tout resta tranquille, et il n'y eut d'autre bruit que celui des branches sèches qui se cassaient à notre passage, ou d'un restant de glace qui craquait sous nos pieds.

      Joseph, marchant le premier, ne prit point la grande allée, mais coupa à travers le fourré. On eût dit d'un lièvre au fait de tous les recoins, et il me mena si vite au gué de l'Igneraie, sans traverser le bourg des potiers, que je me crus arrivé par enchantement. Là, il me quitta sans avoir desserré les dents, sinon pour me dire qu'il voulait se faire voir à sa mère, puisqu'elle était en peine de lui, et il reprit le chemin de Saint-Chartier, tandis que je tranchais droit sur ma demeurance par les grands communaux.

      Je ne me sentis pas plutôt dans le pays que je connaissais, que mon angoisse me quitta et que j'eus grande honte de ne pas l'avoir surmontée. Sans doute, Joseph m'aurait parlé des choses que je désirais savoir, si je l'eusse questionné; car, pour la première fois, il avait quitté son air endormi, et je lui avais, surpris, pour un moment, comme un rire dans la voix et comme une intention d'assistance dans la conduite.

      Pourtant, après que j'eus dormi sur l'aventure, mes sens étant bien calmés, je m'assurai de n'avoir point rêvé ce qui s'était passé dans la fougeraie, et je trouvais, dans la quiétise de Joseph, quelque chose de louche. Les bêtes que j'avais vues là, en si grosse quantité, n'étaient point d'une présence ordinaire. Dans nos pays on n'a, par troupeaux, que des ouailles, et ma vision était d'animaux d'une autre couleur et d'une autre mesure. Ce n'était ni chevaux, ni bœufs, ni moutons, ni chèvres; et on ne souffrait, d'ailleurs, aucun bétail paître dans la forêt.

      À l'heure où je vous parle, je trouve que j'étais bien sot. Pourtant, il y a bien de l'inconnu dans les affaires de ce monde où l'homme met le nez; à meilleure enseigne, dans celles dont le bon Dieu s'est réservé le secret.

      Tant il y a que je n'osai point questionner Joseph, car si l'on peut être curieux des bonnes idées, on ne doit point l'être des mauvaises, et mêmement, on répugne toujours à se fourrer dans les affaires où l'on peut trouver plus qu'on ne cherche.

      Quatrième veillée

      Une chose me donna encore plus à penser par la suite des jours. C'est que l'on s'aperçut à l'Aulnières que Joset découchait de temps en temps.

      On l'en plaisantait, s'imaginant qu'il avait une amourette: mais on eût beau le suivre et l'observer, jamais on ne le vit s'approcher d'un lieu habité, ni rencontrer une personne vivante. Il s'en allait à travers champs et gagnait le large, si vite et si malignement, qu'il n'y avait aucun moyen de surprendre son secret. Il revenait au petit jour et se trouvait à son ouvrage comme les autres, et, au lieu de paraître las, il paraissait plus léger et plus content qu'à son habitude.

      Cela fut observé par trois fois dans le courant de l'hiver, qui eut pourtant grande rigueur et longue durée cette année-là. Il n'y eût neige ou bise capable d'empêcher Joset de courir de nuit, quand l'heure était venue pour sa fantaisie. On s'imagina aussi qu'il était de ceux qui marchent ou travaillent dans le sommeil; mais, de tout cela, il n'était rien, comme vous verrez.

      Mêmement, la nuit de Noël, comme Véret le sabotier s'en allait faire réveillon chez ses parents à l'Ourouer, il vit sous l'orme Râteau, non pas le géant qu'on dit s'y promener souvent avec son râteau sur l'épaule, mais un grand homme noir qui n'avait pas bonne mine et qui marmottait tout bas quelque chose avec un autre homme moins grand et d'une figure un peu plus chrétienne. Véret n'eut pas absolument peur et passa assez près d'eux pour pouvoir écouter ce qu'ils se disaient. Mais dès que les deux autres l'eurent vu, ils se séparèrent; l'homme noir dévalla on ne sait où, et son camarade, s'approchant de Véret, lui dit d'une voix qui lui parut tout étranglée:

      – Où vas-tu donc comme ça, Denis Véret?

      Le sabotier commença de s'étonner, et, sachant qu'on ne doit point répondre aux choses de la nuit, surtout à côté des mauvais arbres, il passa son chemin en détournant la tête; mais il fut suivi de celui qu'il jugeait être un esprit, et qui marchait derrière lui, mettant son pas dans le sien.

      Quand ils furent en haut de la plaine, le poursuivant tourna à main gauche, disant:

      – Bonsoir, Denis Véret!

      Et ce ne fut que là que Véret reconnut Joseph et se moqua de lui-même, mais toutefois sans pouvoir s'imaginer pour quel motif et en quelle société il s'était trouvé à l'orme, entre une et deux heures du matin.

      Quand cette dernière chose vint à ma connaissance, j'en eus du regret et me fis reproche de n'avoir point détourné Joseph du mauvais chemin qu'il paraissait vouloir prendre. Mais j'avais laissé passer tant de temps là-dessus, que je n'osai y revenir. J'en parlai à Brulette, qui ne fit que s'en moquer, d'où je commençai à croire qu'ils avaient une amour cachée et que j'avais été pris pour dupe, ainsi que les gens qui voulaient y voir de la magie et n'y voyaient que du feu.

      J'en fus plus affligé que courroucé; Joseph si toqué et si mou à l'ouvrage, me paraissait pour Brulette une triste compagnie et un pauvre soutien. Je pouvais bien lui dire que, sans parler de moi, elle aurait pu faire un meilleur tri; mais je ne m'en sentais point le courage, craignant de la fâcher et de perdre son amitié, qui me paraissait encore douce, même sans le restant de ses bonnes grâces.

      Un soir, revenant à mon logis, je trouvai Joseph assis au bord de la fontaine qu'on appelle la font de Fond. Ma maison, connue alors sous le nom de la croix de Par-Dieu, parce qu'elle se trouvait bâtie auprès d'un carroir de chemins dont on a retranché depuis la moitié, donnait sur cette grande pelouse fine que vous avez vue vendre et dépecer, comme bien communal et terre vague, il n'y a pas longtemps. C'est grand dommage pour le petit monde qui y nourrissait ses bêtes et qui n'a pu y rien acheter. C'était chemin et pâturage bien large, bien vert, et arrosé, à l'aventure, des belles eaux de la source, qui n'étaient point réglées et s'en allaient de ci et de là sur un herbage court, tondu à toute heure par les troupeaux et réjouissant à voir par son étendue.

      Je me contentais de dire bonsoir à Joseph, quand il se leva et se mit à marcher à mon côté, cherchant à avoir conversation avec moi, et paraissant si agité que j'en fus inquiet. – Qu'est-ce que tu as donc? lui dis-je enfin, voyant qu'il parlait tout de travers et se tourmentait le corps de soupirs et de contorsions comme s'il eût passé dans une fourmilière.

      – Tu me demandes ça? dit-il avec impatience. Ça ne te fait donc rien? Tu es donc sourd?

      – Qui? quoi? qu'est-ce que c'est? m'écriai-je, pensant qu'il avait quelque vision, et ne me souciant pas d'en avoir ma part.

      Puis j'écoutai, et saisis tout au loin le son d'une musette qui me parut n'avoir rien que de naturel.

      – Eh bien, lui dis-je, c'est quelque cornemuseux qui revient d'une noce du côté de la Berthenoux? En quoi est-ce que ça te gêne?

      Joseph répondit d'un air assuré: – C'est la musette à Carnat, mais ce n'est point lui qui en joue… C'est quelqu'un qui est encore plus maladroit que lui!

      – Maladroit? Tu trouves Carnat maladroit sur la musette?

      – Maladroit de ses mains, non pas! mais maladroit de son idée, Tiennet! Oh, le pauvre homme! Il n'est pas digne d'avoir le moyen d'une musette! Et celui qui s'en essaye, à cette heure, mériterait que le bon Dieu lui retire son vent de la poitrine.

      – Voilà des choses bien étranges que tu me dis, et je ne sais point où tu les prends. Comment peux-tu connaître que cette musette-là est celle à Carnat? Il me semble, à moi, que musette pour musette, ça braille toujours de la même mode. J'entends bien que celle qui sonne là-bas n'est pas soufflée comme il faut, et que l'air est estropié un si peu; mais ça ne me gêne point, car je n'en saurais pas faire autant. Est-ce que tu crois que tu ferais mieux?

      – Je ne sais pas! mais, pour sûr, il y en a qui font mieux que ce cornemuseux-là, et mieux que Carnat, son maître. Il y en a qui sont dans


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