Gabriel. Жорж Санд

Gabriel - Жорж Санд


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PRÉCEPTEUR

      Non, à moins que vous ne m'interrompiez sans cesse.

GABRIEL

      Je suis muet.

LE PRÉCEPTEUR

      Je vous ai souvent expliqué ce que c'est qu'un majorat, et comment la succession d'une principauté avec les titres, les droits, privilèges, honneurs et richesses y attachés…

(Gabriel bâille en se cachant.)

      Vous ne m'écoutez pas?

GABRIEL

      Pardonnez-moi.

LE PRÉCEPTEUR

      Je vous ai dit…

GABRIEL

      Oh! pour Dieu, l'abbé, ne recommencez pas. Je puis achever la phrase, je la sais par coeur: «Et richesses y attachés, peuvent passer alternativement, dans les familles, de la branche aînée à la branche cadette, et repasser de la branche cadette à la branche aînée, réciproquement, par la loi de transmission d'héritage, à l'aîné des enfants mâles d'une des branches, quand la branche collatérale ne se trouve plus représentée que par des filles.» Est-ce là tout ce que vous aviez de nouveau et d'intéressant à me dire! Vraiment, si vous ne m'aviez jamais appris rien de mieux, j'aimerais autant ne rien savoir du tout.

LE PRÉCEPTEUR

      Ayez un peu de patience, songez qu'il m'en faut souvent beaucoup avec vous.

GABRIEL

      C'est vrai, mon ami, pardonnez-moi. Je suis mal disposé aujourd'hui.

LE PRÉCEPTEUR

      Je m'en aperçois. Peut être vaudrait-il mieux remettre la conversation à demain ou à ce soir.

(Léger bruit dans le cabinet.)GABRIEL

      Qui est là-dedans?

LE PRÉCEPTEUR

      Vous le saurez si vous voulez m'entendre.

GABRIEL, vivement

      Lui! mon grand-père, peut-être?

LE PRÉCEPTEUR

      Peut-être.

GABRIEL, courant vers la porte

      Comment peut-être! et vous me faites languir!..

(Il essaie d'ouvrir. La porte est fermée en dedans.)

      Quoi! il est ici, et on me le cache!

LE PRÉCEPTEUR

      Arrêtez, il repose.

GABRIEL

      Non! il a remué, il a fait du bruit.

LE PRÉCEPTEUR

      Il est fatigué, souffrant; vous ne pouvez pas le voir.

GABRIEL

      Pourquoi s'enferme-t-il pour moi? Je serais entré sans bruit; je l'aurais veillé avec amour durant son sommeil; j'aurais contemplé ses traits vénérables. Tenez, l'abbé, je l'ai toujours pressenti, il ne m'aime pas. Je suis seul au monde, moi: j'ai un seul protecteur, un seul parent, et je ne suis pas connu, je ne suis pas aimé de lui!

LE PRÉCEPTEUR

      Chassez, mon cher élève, ces tristes et coupables pensées. Votre illustre aïeul ne vous a pas donné ces preuves banales d'affection qui sont d'usage dans les classes obscures…

GABRIEL

      Plût au ciel que je fusse né dans ces classes! Je ne serais pas un étranger, un inconnu pour le chef de ma famille.

LE PRÉCEPTEUR

      Gabriel, vous apprendrez aujourd'hui un grand secret qui vous expliquera tout ce qui vous a semblé énigmatique jusqu'à présent; je ne vous cache pas que vous touchez à l'heure la plus solennelle et la plus redoutable qui ait encore sonné pour vous. Vous verrez quelle immense, quelle incroyable sollicitude s'est étendue sur vous depuis l'instant de votre naissance jusqu'à ce jour. Armez-vous de courage. Vous avez une grande résolution à prendre, une grande destinée à accepter aujourd'hui. Quand vous aurez appris ce que vous ignorez, vous ne direz pas que vous n'êtes pas aimé. Vous savez, du moins, que votre naissance fut attendue comme une faveur céleste, comme un miracle. Votre père était malade, et l'on avait presque perdu l'espoir de lui voir donner le jour à un héritier de son titre et de ses richesses. Déjà la branche cadette des Bramante triomphait dans l'espoir de succéder au glorieux titre que vous porterez un jour…

GABRIEL

      Oh! je sais tout cela. En outre, j'ai deviné beaucoup de choses que vous ne me disiez pas. Sans doute, la jalousie divisait les deux frères Julien et Octave, mon père et mon oncle; peut-être aussi mon grand-père nourrissait-il dans son âme une secrète préférence pour son fils aîné… Je vins au monde. Grande joie pour tous, excepté pour moi, qui ne fus pas gratifié par le ciel d'un caractère à la hauteur de ces graves circonstances.

LE PRÉCEPTEUR

      Que dites-vous?

GABRIEL

      Je dis que cette transmission d'héritage de mâle en mâle est une loi fâcheuse, injuste peut-être. Ce continuel déplacement de possession entre les diverses branches d'une famille ne peut qu'allumer le feu de la jalousie, aigrir les ressentiments, susciter la haine entre les proches parents, forcer les pères à détester leurs filles, faire rougir les mères d'avoir donné le jour à des enfants de leur sexe!.. Que sais-je! L'ambition et la cupidité doivent pousser de fortes racines dans une famille ainsi assemblée comme une meute affamée autour de la curée du majorat, et l'histoire m'a appris qu'il en peut résulter des crimes qui font l'horreur et la honte de l'humanité. Eh bien, qu'avez-vous à me regarder ainsi, mon cher maître? vous voilà tout troublé! Ne m'avez-vous pas nourri de l'histoire des grands hommes et des lâches? Ne m'avez-vous pas toujours montré l'héroïsme et la franchise aux prises avec la perfidie et la bassesse? Êtes-vous étonné qu'il m'en suit resté quelque notion de justice, quelque amour de la vérité?

LE PRÉCEPTEUR, baissant la voix

      Gabriel, vous avez raison; mais, pour l'amour du ciel, soyez moins tranchant et moins hardi en présence de votre aïeul.

(On remue avec impatience dans le cabinet.)GABRIEL, à voix haute

      Tenez, l'abbé, j'ai meilleure opinion de mon grand-père; je voudrais qu'il m'entendît. Peut-être sa présence va m'intimider; je serais bien aise pourtant qu'il put lire dans mon âme, et voir qu'il se trompe, depuis deux ans, en m'envoyant toujours des jouets d'enfant.

LE PRÉCEPTEUR

      Je le répète, vous ne pouvez comprendre encore quelle a été sa tendresse pour vous. Ne soyez point ingrat envers le ciel; vous pouviez naître déshérité de tous ces biens dont la fortune vous a comblé, de tout cet amour qui veille sur vous mystérieusement et assidûment…

GABRIEL

      Sans doute je pouvais naître femme, et alors adieu la fortune et l'amour de mes parents! J'eusse été une créature maudite, et, à l'heure qu'il est, j'expierais sans doute au fond d'un cloître le crime de ma naissance. Mais ce n'est pas mon grand-père qui m'a fait la grâce et l'honneur d'appartenir à la race mâle.

LE PRÉCEPTEUR, de plus en plus troublé

      Gabriel, vous ne savez pas de quoi vous parlez.

GABRIEL

      Il serait plaisant que j'eusse à remercier mon grand-père de ce que je suis son petit-fils! C'est à lui plutôt de me remercier d'être né tel qu'il me souhaitait; car il haïssait… du moins il n'aimait pas son fils Octave, et il eût été mortifié de laisser son titre aux enfants de celui-ci. Oh! j'ai compris depuis longtemps malgré vous: vous n'êtes pas un grand diplomate, mon bon abbé; vous êtes trop honnête homme pour cela…

LE PRÉCEPTEUR, à voix basse

      Gabriel, je vous conjure…

(On laisse tomber un meuble avec fracas dans le cabinet.)GABRIEL

      Tenez! pour le coup, le prince est éveillé. Je vais le voir enfin, je vais savoir ses desseins; je veux entrer chez lui.

(Il va résolument vers la porte, le prince la lui ouvre et parait sur le seuil. Gabriel, intimidé, s'arrête. Le prince lui prend la main et l'emmène dans le cabinet, dont il referme sur lui la porte avec violence.)

      SCÈNE IV

LE PRÉCEPTEUR, seul

      Le vieillard est irrité, l'enfant en pleine révolte, moi couvert de confusion. Le vieux Jules est vindicatif, et la vengeance est si facile aux hommes


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