Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд


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toujours cependant! Dans ce moment-ci, par exemple, il n'y fait pas trop bon; le temps est bien en malice, et il y en aura pour toute la nuit.

      – Vous croyez?

      – J'en suis sûr. Si vous suivez le vallon de la Creuse, vous aurez l'orage pour compagnie jusqu'à demain midi, mais je pense bien que vous ne vous êtes pas mis en route si tard sans avoir un abri prochain en vue?

      – A vous dire le vrai, je crois que l'endroit où je vais est plus éloigné que je ne l'avais pensé d'abord. Je me suis imaginé qu'on voulait me retenir à Éguzon, en m'exagérant la distance et les mauvais chemins; mais je vois, au peu que j'ai fait depuis une heure, que l'on ne m'avait guère trompé.

      – Et, sans être trop curieux, où allez-vous?

      – A Gargilesse. Combien comptez-vous jusque-là!

      – Pas loin, Monsieur, si l'on voyait clair pour se conduire; mais si vous ne connaissez pas le pays, vous en avez pour toute la nuit: car ce que vous voyez ici n'est rien en comparaison des casse-cous que vous avez à descendre pour passer du ravin de la Creuse à celui de la Gargilesse, et vous y risquez la vie par-dessus le marché.

      – Eh bien, l'ami, voulez-vous, pour une honnête récompense, me conduire jusque-là?

      – Nenni, Monsieur, en vous remerciant.

      – Le chemin est donc bien dangereux, que vous montrez si peu d'obligeance?

      – Le chemin n'est pas dangereux pour moi, qui le connais aussi bien que vous connaissez peut-être les rues de Paris; mais quelle raison aurais-je de passer la nuit à me mouiller pour vous faire plaisir?

      – Je n'y tiens pas, et je saurai me passer de votre secours; mais je n'ai point réclamé votre obligeance gratis: je vous ai offert …

      – Suffit! suffit! vous êtes riche et je suis pauvre, mais je ne tends pas encore la main, et j'ai des raisons pour ne pas me faire le serviteur du premier venu … Encore si je savais qui vous êtes …

      – Vous vous méfiez de moi? dit le jeune homme, dont la curiosité était éveillée par le caractère hardi et fier de son compagnon. Pour vous prouver que la méfiance est un mauvais sentiment, je vais vous payer d'avance. Combien voulez-vous?

      – Pardon, excuse, Monsieur, je ne veux rien; je n'ai ni femme ni enfants, je n'ai besoin de rien pour le moment: d'ailleurs j'ai un ami, un bon camarade, dont la maison n'est pas loin, et je profiterai du premier éclairci pour y aller souper et dormir à couvert. Pourquoi me priverais-je de cela pour vous? Voyons, dites! est-ce parce que vous avez un bon cheval et des habits neufs?

      – Votre fierté ne me déplaît pas, tant s'en faut! Mais je la trouve mal entendue de repousser un échange de services.

      – Je vous ai rendu service de tout mon pouvoir, en vous disant de ne pas vous risquer la nuit par un temps si noir et des chemins qui, dans une demi-heure, seront impossibles. Que voulez-vous de plus?

      – Rien … En vous demandant votre assistance, je voulais connaître le caractère des gens du pays, et voilà tout. Je vois maintenant que leur bon vouloir pour les étrangers se borne à des paroles.

      – Pour les étrangers! s'écria l'indigène avec un accent de tristesse et de reproche qui frappa le voyageur. Et n'est-ce pas encore trop pour ceux qui ne nous ont jamais fait que du mal? Allez, Monsieur, les hommes sont injustes; mais Dieu voit clair, et il sait bien que le pauvre paysan se laisse tondre, sans se venger, par les gens savants qui viennent des grandes villes.

      – Les gens des villes ont donc fait bien du mal dans vos campagnes? C'est un fait que j'ignore et dont je ne suis pas responsable, puisque j'y viens pour la première fois.

      – Vous allez à Gargilesse. Sans doute, c'est M. Cardonnet que vous allez voir? Vous êtes, j'en suis sûr, son parent ou son ami?

      – Qu'est-ce donc que ce M. Cardonnet, à qui vous semblez en vouloir? demanda le jeune homme après un instant d'hésitation.

      – Suffit, Monsieur, répondit le paysan; si vous ne le connaissez pas, tout ce que je vous en dirais ne vous intéresserait guère, et si vous êtes riche vous n'avez rien à craindre de lui. Ce n'est qu'aux pauvres gens qu'il en veut.

      – Mais enfin, reprit le voyageur avec une sorte d'agitation contenue, j'ai peut-être des raisons pour désirer de savoir ce qu'on pense dans le pays de ce M. Cardonnet. Si vous refusez de motiver la mauvaise opinion que vous avez de lui, c'est que vous avez contre lui une rancune personnelle peu honorable pour vous-même.

      – Je n'ai de comptes à rendre à personne, répondit le paysan, et mon opinion est à moi. Bonsoir, Monsieur. Voilà la pluie qui s'arrête un peu. Je suis fâché de ne pouvoir vous offrir un abri; mais je n'en ai pas d'autre que le château que vous voyez là, et qui n'est pas à moi. Cependant, ajouta-t-il après avoir fait quelques pas, et en s'arrêtant comme s'il se fût repenti de ne pas mieux exercer les devoirs de l'hospitalité, si le cœur vous disait d'y venir demander le couvert pour la nuit, je peux vous répondre que vous y seriez bien reçu.

      – Cette ruine est donc habitée? demanda le voyageur, qui avait à descendre le ravin pour traverser la Creuse, et qui se mit en marche à côté du paysan, en soutenant son cheval par la bride.

      – C'est une ruine, à la vérité, dit son compagnon en étouffant un soupir; mais quoique je ne sois pas des plus vieux, j'ai vu ce château-là debout bien entier, et si beau, en dehors comme en dedans, qu'un roi n'y eût pas été mal logé. Le propriétaire n'y faisait pas de grandes dépenses, mais il n'avait pas besoin d'entretien, tant il était solide et bien bâti; et les murs étaient si bien découpés, les pierres des cheminées et des fenêtres si bien travaillées, qu'on n'aurait pu y rien apporter de plus riche que ce que les maçons et les architectes y avaient mis en le construisant. Mais tout passe, la richesse comme le reste, et le dernier seigneur de Châteaubrun vient de racheter pour quatre mille francs le château de ses pères.

      – Est-il possible qu'une telle masse de pierres, même dans l'état où elle se trouve, ait aussi peu de valeur?

      – Ce qui reste là vaudrait encore beaucoup, si on pouvait l'ôter et le transporter; mais où trouver dans le pays d'ici des ouvriers et des machines capables de jeter bas ces vieux murs? Je ne sais pas avec quoi l'on bâtissait dans l'ancien temps, mais ce ciment-là est si bien lié, qu'on dirait que les tours et les grands murs sont faits d'une seule pierre. Et puis, vous voyez comme ce bâtiment est planté sur la pointe d'une montagne, avec des précipices de tous côtés! Quelles voitures et quels chevaux pourraient charrier de pareils matériaux? A moins que la colline ne s'écroule, ils resteront là aussi longtemps que le rocher qui les porte, et il y a encore assez de voûtes pour mettre à l'abri un pauvre monsieur et une pauvre demoiselle.

      – Ce dernier des Châteaubrun a donc une fille? demanda le jeune homme en s'arrêtant pour regarder le manoir avec plus d'intérêt qu'il n'avait encore fait. Et elle demeure là?

      – Oui, oui, elle demeure là, au milieu des gerfauts et des chouettes, et elle n'en est pas moins jeune et jolie. L'air et l'eau ne manquent pas ici, et malgré les nouvelles lois contre la liberté de la chasse, on voit encore quelquefois des lièvres et des perdrix sur la table du seigneur de Châteaubrun. Allons, si vous n'avez pas des affaires qui vous obligent de risquer votre vie pour arriver avant le jour, venez avec moi, je me charge de vous faire bien accueillir au château. Et quand même vous y arriveriez seul et sans recommandation, il suffit que la nuit soit mauvaise, et que vous ayez la figure d'un chrétien, pour que vous soyez bien reçu et bien traité chez M. Antoine de Châteaubrun.

      – Ce gentilhomme est pauvre, à ce qu'il paraît, et je me ferais scrupule d'user de sa bonté d'âme.

      – Vous lui ferez plaisir, au contraire. Allons, vous voyez bien que l'orage va recommencer plus fort que tout à l'heure, et je n'aurais pas la conscience en repos si je vous laissais ainsi tout seul dans la montagne. Voyez-vous, il ne faut pas m'en vouloir pour vous avoir refusé mes services: j'ai mes raisons, que vous ne pouvez pas juger, et que je n'ai pas besoin de dire; mais je dormirai plus tranquille si vous suivez mon conseil. D'ailleurs je connais M.


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