La Tempête. Уильям Шекспир
– Par une providence toute divine. Nous avions quelque nourriture et un peu d'eau fraîche qu'un noble Napolitain, Gonzalo, chargé en chef de l'exécution de ce dessein, nous avait données par pitié; il nous donna de plus de riches vêtements, du linge, des étoffes, et autres meubles nécessaires qui depuis nous ont bien servi; et de même, sachant que j'aimais mes livres, sa bonté me pourvut d'un certain nombre de volumes tirés de ma bibliothèque, et qui me sont plus précieux que mon duché.
MIRANDA. – Je voudrais bien voir quelque jour cet homme.
PROSPERO. – Maintenant je me lève; demeure encore assise, et écoute comment finirent nos tribulations maritimes. Nous arrivâmes dans cette île où nous sommes ici; devenu ton instituteur, je t'ai fait faire plus de progrès que n'en peuvent faire d'autres princesses qui ont plus de temps à dépenser en loisirs inutiles, et des maîtres moins vigilants.
MIRANDA. – Que le ciel vous en récompense! A présent, seigneur, dites-moi, je vous prie, car cela agite toujours mon esprit, quel a été votre motif pour soulever cette tempête?
PROSPERO. – Apprends encore cela. Par un hasard des plus étranges, la fortune bienfaisante, aujourd'hui ma compagne chérie, m'amène mes ennemis sur ce rivage, et ma science de l'avenir me découvre qu'une étoile propice domine à mon zénith, et que si, au lieu de soigner son influence, je la néglige, mon sort deviendra toujours moins favorable. Cesse ici tes questions; tu es disposée à t'endormir; c'est un favorable assoupissement; cède à sa puissance; je sais que tu n'es pas maîtresse d'y résister. (Miranda s'endort.) – Viens, mon serviteur, viens, me voilà prêt. Approche, mon Ariel; viens.
(Entre Ariel.)
ARIEL. – Profond salut, mon noble maître; sage seigneur, salut! Je suis là pour attendre ton bon plaisir: soit qu'il faille voler, ou nager, ou plonger dans les flammes, ou voyager sur les nuages onduleux, soumets à tes ordres puissants Ariel et toutes ses facultés.
PROSPERO. – Esprit, as-tu exécuté de point en point la tempête que je t'ai commandée?
ARIEL. – Jusqu'au plus petit détail. J'ai abordé le vaisseau du roi, et tour à tour sur la proue, dans les flancs, sur le tillac, dans les cabines, partout j'ai allumé l'épouvante. Tantôt, je me divisais et je brûlais en plusieurs endroits à la fois, tantôt je flambais séparément sur le grand mât, le mât de beaupré, les vergues; puis je rapprochais et unissais toutes ces flammes: les éclairs de Jupiter, précurseurs des terribles éclats du tonnerre, n'étaient pas plus passagers, n'échappaient pas plus rapidement à la vue; le feu, les craquements du soufre mugissant, semblaient assiéger le tout-puissant Neptune, faire trembler ses vagues audacieuses, et secouer jusqu'à son trident redouté.
PROSPERO. – Mon brave esprit, s'est-il trouvé quelqu'un d'assez ferme, d'assez constant pour que ce bouleversement n'atteignît pas sa raison?
ARIEL. – Pas une âme qui n'ait senti la fièvre de la folie, qui n'ait donné quelque signe de désespoir. Tous, hors les matelots, se sont jetés dans les flots écumants; tous ont abandonné le navire que je faisais en ce moment flamber de toutes parts. Le fils du roi, Ferdinand, les cheveux dressés sur la tête, semblables alors non à des cheveux, mais à des roseaux, s'est lancé le premier en criant: «L'enfer est vide, tous ses démons sont ici!»
PROSPERO. – Vraiment c'est bien, mon esprit. Mais n'était-on pas près du rivage?
ARIEL. – Tout près, mon maître.
PROSPERO. – Mais, Ariel, sont-ils sauvés?
ARIEL. – Pas un cheveu n'a péri; pas une tache sur leurs vêtements, qui les soutenaient sur l'onde, et qui sont plus frais qu'auparavant. Ensuite, comme tu me l'as ordonné, je les ai dispersés en troupes par toute l'île. J'ai mis à terre le fils du roi séparé des autres; je l'ai laissé dans un coin sauvage de l'île, rafraîchissant l'air de ses soupirs, assis, les bras tristement croisés de cette manière.
PROSPERO. – Et les matelots des vaisseaux du roi, dis, qu'en as-tu fait? Et le reste de la flotte?
ARIEL. – Le vaisseau du roi est en sûreté dans cette baie profonde où tu m'appelas une fois à minuit pour t'aller recueillir de la rosée sur les Bermudes, toujours tourmentées par la tempête: c'est là qu'il est caché. Les matelots sont couchés épars sous les écoutilles: joignant la puissance d'un charme à la fatigue qu'ils avaient endurée, je les ai laissés tous endormis. Quant au reste des vaisseaux que j'avais dispersés, ils se sont ralliés tous; et maintenant ils voguent sur les flots de la Méditerranée, faisant voile tristement vers Naples, persuadés qu'ils ont vu s'abîmer le vaisseau du roi, et périr sa personne auguste.
PROSPERO. – Ariel, tu as rempli ton devoir avec exactitude; mais tu as encore à travailler. A quel moment du jour sommes-nous?
ARIEL. – Passé l'époque du milieu.
PROSPERO. – De deux sables au moins. Il nous faut employer précieusement le temps qui nous reste entre ce moment et la sixième heure.
ARIEL. – Encore du travail! Puisque tu me donnes tant de fatigue, permets-moi de te rappeler ce que tu m'as promis et n'as pas encore accompli.
PROSPERO. – Qu'est-ce que c'est, mutin? que peux-tu me demander?
ARIEL. – Ma liberté.
PROSPERO. – Avant que le temps soit expiré? Ne m'en parle plus.
ARIEL. – Je te prie, souviens-toi que je t'ai bien servi, que je ne t'ai jamais dit de mensonge, que je n'ai jamais fait de bévue, que je t'ai obéi sans humeur ni murmure. Tu m'avais promis de me rabattre une année de mon temps.
PROSPERO. – Oublies-tu donc de quels tourments je t'ai délivré?
ARIEL. – Non.
PROSPERO. – Tu l'oublies, et tu comptes pour beaucoup de fouler la vase des abîmes salés, de courir sur le vent aigu du nord, de travailler pour moi dans les veines de la terre quand elle est durcie par la gelée.
ARIEL. – Il n'en est point ainsi, seigneur.
PROSPERO. – Tu mens, maligne créature. As-tu donc oublié l'affreuse sorcière Sycorax, que la vieillesse et l'envie avaient courbée en cerceau? l'as-tu oubliée?
ARIEL. – Non, seigneur.
PROSPERO. – Tu l'as oubliée. Où était-elle née? Parle, dis-le moi.
ARIEL. – Dans Alger, seigneur.
PROSPERO. – Oui vraiment? Je suis obligé de te rappeler une fois par mois ce que tu as été et ce que tu oublies. Sycorax, cette sorcière maudite, fut, tu le sais, bannie d'Alger pour un grand nombre de maléfices et pour des sortilèges que l'homme s'épouvanterait d'entendre. Mais pour une seule chose qu'elle avait faite, on ne voulut pas lui ôter la vie. Cela n'est-il pas vrai?
ARIEL. – Oui, seigneur.
PROSPERO. – Cette furie aux yeux bleus fut conduite ici grosse, et laissée par les matelots. Toi, mon esclave, tu la servais alors, ainsi que tu me l'as raconté toi-même: mais étant un esprit trop délicat pour exécuter ses volontés terrestres et abhorrées, comme tu te refusas à ses grandes conjurations, aidée de serviteurs plus puissants, et possédée d'une rage implacable, elle t'enferma dans un pin éclaté, dans la fente duquel tu demeuras cruellement emprisonné pendant douze ans. Dans cet intervalle, la sorcière mourut, te laissant dans cette prison, où tu poussais des gémissements aussi fréquents que les coups que frappe la roue du moulin. Excepté le fils qu'elle avait mis bas ici, animal bigarré, race de sorcière, cette île n'était alors honorée d'aucune figure humaine.
ARIEL. – Oui, Caliban, son fils.
PROSPERO. – C'est ce que je dis, imbécile; c'est lui, ce Caliban que je tiens maintenant à mon service. Tu sais mieux que personne dans quels tourments je te trouvai: tes gémissements faisaient hurler les loups, et pénétraient les entrailles des ours toujours furieux. C'était un supplice destiné aux damnés, et que Sycorax ne pouvait plus faire cesser. Ce fut mon art, lorsque j'arrivai dans ces lieux et que je t'entendis, qui força le pin de s'ouvrir et de te laisser échapper.
ARIEL.